À l’en croire, le sommet de l’Otan laissera des traces pérennes, en dépit des petites phrases acrimonieuses. «En état de mort cérébrale», déclarait Macron à propos de l’organisation. Une «insulte», lui a répondu Trump. Pourtant, au delà des mots,
«la ligne de Macron est aussi ferme que cohérente», selon l’analyste Henri de Grossouvre*.
Deux adjectifs qui sembleront pour le moins contre-intuitifs aux critiques du Président de la République, mais notre interlocuteur n’en démord pas: «il faut replacer la politique internationale de Macron dans la continuité», plaide-t-il. En effet, depuis la rencontre de Trianon jusqu’au sommet de Londres, de ces multiples interventions depuis près de trois ans, deux tendances ressortiraient. D’une part, «la discussion avec la Russie», ou le refus d’en faire «un ennemi systématique», et ensuite le besoin de «relancer le processus européen», pour tirer les conséquences du Brexit. En filigrane, selon Grossouvre, un éloignement du grand large atlantique, pour une nouvelle orientation vers le continent.
Macron, les pieds sur terre?
Mais ce revirement de la diplomatie française ne serait-il pas dû à des circonstances très particulières, et plus précisément à l’une d’entre elles, Donald Trump, au centre du jeu?
«Bien sûr, la personnalisation du pouvoir joue un rôle, mais Trump est le symptôme d’une évolution des États-Unis, ce n’est pas qu’un accident», nous répond Grossouvre.
Face à cela, la politique internationale de Macron, bien que «paradoxale», serait «très innovante»: «il a une vraie stature à l’international, alors qu’il est dans une politique plus conventionnelle au plan intérieur.» Tandis que le gouvernement peine à répondre au défi «d’une certaine mondialisation» ayant conduit à la concentration des richesses dans les métropoles et au délaissement de territoires, qui se rebellent, les penchants internationaux de l’Élysée plaisent à Henri de Grossouvre, lui qui plaide pour l’axe Paris-Berlin-Moscou depuis près de deux décennies. L’analyste voit en effet une porte s’ouvrir:
«À partir du moment où les Anglais sortent, les choses deviendront plus faciles. Ceux-ci voulaient une Union européenne qui ne serait qu’un simple marché, ils ont poussé à l’élargissement, car avec un grand nombre, on ne peut plus s’entendre sur autre chose.»
Et Grossouvre d’en vouloir ainsi davantage: «une véritable avant-garde redevient d’actualité. Il était impossible d’être d’accord sur les sujets stratégiques à 27». De quoi parle-t-il? De «capitaines d’industrie», principalement, qui sauraient avancer de nouveaux défis stratégiques. Par exemple? «L’intelligence artificielle», nous répond du tac au tac l’analyste:
«Les Européens et Français sont forts, mais recrutés par nos amis anglo-saxons, et aucun pays de l’UE ne compte dans ce monde de le 1ER. Nous devons avoir une politique qui nous est propre là-dessus, sur le modèle de l’Europe du spatial, en dehors de l’UE.»
Une manière de ne pas se retrouver «en sandwich entre les États-Unis et la Chine».
Cette approche est-elle vraiment sur le point de damer le pion à l’atlantisme qui a caractérisé les années Sarkozy et Hollande? «C’est en effet le fond du problème», nous répond Grossouvre.
«Son entourage proche et la structure de l’État sont plutôt sur une ligne atlantiste, mais le Président de la République a le courage de s’orienter vers une ligne plus gaullienne.»
Et Grossouvre de souligner la présence dans l’entourage présidentiel «de gens très sages et d’expérience, comme Védrine, Chevènement, ou encore le journaliste Renaud Girard…». On se rappelle cette déclaration d’Emmanuel Macron, dans les pages de The Economist en juin 2017, dans les premiers jours de sa présidence: «avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans».
L’hebdomadaire Marianne, l’été dernier, relativisait pourtant le déclin de cette tendance atlantiste, dans une enquête très diplomatiquement incorrecte sur la «secte des néoconservateurs» qui sévirait au sein de la communauté des Affaires étrangères. Le «néoconservatisme», qui a tant fait parler de lui après le 11 septembre est, en théorie, une vision du monde où la démocratie libérale et sa morale devaient, par le truchement de la puissance américaine, garante d’ordre mondial, remplacer l’équilibre des forces et le concert des nations.
Les «néocons» toujours au poste
Grand paradoxe: c’est après la débâcle de l’Irak que les partisans de l’atlantisme parvinrent à s’emparer de places en France, au sein du ministère des Affaires étrangères, s’y déclinant entre autres par un refus catégorique sur le dossier du nucléaire iranien et une posture intransigeante à l’égard du Kremlin. La nomination de Philippe Errera au poste crucial de directeur général des Affaires politiques du Quai d’Orsay en juillet 2019 n’était pas passée inaperçue: ancien représentant de la France à l’Otan, celui-ci est réputé pour son atlantisme. S’appuyant sur l’essai d’Hadrien Desuin, La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (Le Cerf, 2017), l’hebdo Marianne relevait que les «néoconservateurs» les plus influents étaient toujours à des postes en vue, malgré un alignement moins évident avec les États-Unis. Instaurant une «vassalisation douce» ?
L’analyse résolument optimiste d’Henri de Grossouvre n’est dès lors pas partagée par tous. Selon une source au sein de l’administration, qui a bien voulu nous en dire plus sous couvert d’anonymat –nouvelle preuve de la sensibilité de la question– les actes présidentiels devraient davantage conduire au scepticisme:
«Il faut bien reconnaître que nous sommes dans une ambiguïté: si les belles années Sarkozy/Kouchner/Fabius/Hollande sont terminées, rien de conséquent n’a lieu. En réalité, il envoie des signaux à tous, donc tout le monde est content.»
La «tonalité nouvelle» ne saurait cacher les actes. Malgré ses propos sur la «mort cérébrale de l’Otan», Emmanuel Macron demeure «un croyant du pilier européen de l’Otan» et sa boutade s’avérerait en réalité un «wake-up call», selon les propres termes du Président, et non un plaidoyer pour euthanasier l’organisation. Idem pour l’Union européenne, «discours habituel» selon notre interlocuteur: il s’agit de «dire que la France est trop petite pour être souveraine, pour faire croire aux Français qu’ils retrouveront un rôle mondial via l’UE.» Or, pour notre interlocuteur à la logique souverainiste, pas de doute: «l’Union européenne, c’est le meilleur rabatteur des États-Unis».
Le baromètre russe
Le dossier russe se révélerait d’ailleurs «un formidable baromètre de notre politique étrangère». Malgré les rencontres avec Vladimir Poutine, les sanctions économiques demeurent. Toute comme les critiques visant les médias russes, RT et Sputnik, accusés de propagande depuis sa campagne électorale. L’Élysée affirme vouloir «parler à tout le monde». À défaut d’agir?
*Henri de Grossouvre a publié Pour une Europe européenne (Éd. Xénia, 2007), Paris-Berlin-Moscou: La voie de l’indépendance et de la paix (ÉD. L’âge d’homme, 2002) et Euro-District Strasbourg-Ortenau: La construction de l’Europe réelle (ÉD. Xénia 2009).