Les analystes estiment que l'intervention de la Fed dans le système financier du pays a atteint une ampleur «épique» à cause du risque grandissant d'une crise comparable à celle de 2008 dans le secteur bancaire.
Pénurie d'argent?
Après l'été, les États-Unis se sont soudainement retrouvés confrontés à une crise de liquidités: le 16 septembre, la demande de prêts à court terme de la Fed par les banques a soudainement doublé pour passer de 27 à 53,2 milliards de dollars, ce qui a entraîné une hausse des taux d'intérêt de 2,29% à 4,75%. Le lendemain, les banques ont déposé des requêtes de prêt pour plus de 80 milliards de dollars et les taux d'intérêt à court terme se sont envolés jusqu'à 10%.
En lui-même, le taux d'intérêt des fonds fédéraux (avec lequel les banques accordent des prêts à court terme à d'autres banques à partir des réserves excédentaires) a dépassé pour la première fois l'intervalle-cible de la Fed (2,3%) pour atteindre 2,35%.
Le dollar ne valait pas aussi cher sur le marché interbancaire ni en pleine crise de 2008 ni quand la bulle internet spéculative a éclaté en 2002.
Afin de sauver le marché financier d'une paralysie, pour la première fois depuis la crise financière mondiale, la Federal Reserve Bank of New York a entamé le rachat d'actifs aux banques (obligations américaines, obligations des agences fédérales et des engagements hypothécaires) pour assurer un afflux d'argent liquide dans l'économie. En seulement deux jours (les 18 et 19 septembre), les autorités financières ont ainsi injecté sur le marché 128 milliards de dollars.
En octobre, le patron de la Fed Jerome Powell a déclaré que le régulateur augmenterait ses achats d'actifs à court terme, le qualifiant de «mesures techniques» nécessaires pour améliorer le système financier. Depuis le 15 octobre, la Fed rachète 60 milliards de dollars par mois sur le marché les obligations du Trésor à court terme (sur un an).
En fait, la Fed a lancé un nouveau programme d'assouplissement quantitatif, comme le confirment les plans du régulateur d'injecter sur le marché interbancaire un volume record de liquidité d'ici fin décembre. Selon le document publié par la Federal Reserve Bank of New York, entre le 16 décembre et le 14 janvier auront lieu neuf opérations de rachat Repo (la première pour 50 milliards de dollars, et les autres pour 35 milliards de dollars).
De cette manière, la Fed injectera dans le système financier du pays près de 500 milliards de dollars en un mois.
«L'augmentation significative des injections monétaires sur le marché interbancaire est nécessaire pour éviter un bond des taux d'intérêt des prêts à court terme en fin d'année», a expliqué Jerome Powell.
Les réserves diminuent
Les analystes ont conclu que la crise de septembre sur le marché du financement court terme avait notamment été provoquée par la réticence des quatre plus grandes banques à accorder des prêts. Ces derniers mois, les actifs des créanciers primaires se sont concentrés sur les obligations du Trésor, ce qui a limité leur capacité à garantir le financement à court terme sur les marchés Repo, constate une étude de la Banque des règlements internationaux (BRI).
Le rapport n'indique pas quelles banques ont secoué le marché, mais, selon l'a déclaré au Financial Times un gestionnaire de portefeuille, il s'agit des principaux animateurs du marché, y compris JP Morgan.
Les fonds alternatifs ont également apporté leur contribution en augmentant la demande en financement garanti: ils utilisent de plus en plus souvent des contrats Repo pour les transactions d'arbitrage, indiquent les analystes de la BRI.
La crise a également des causes plus profondes, et notamment la réduction continue des réserves bancaires ces cinq dernières années, qui s'est particulièrement accélérée après l'adoption en août de la loi sur la prolongation du délai pour atteindre le plafond de la dette publique.
Entre le 14 août et le 17 septembre, le Trésor a dépensé plus de 120 milliards de dollars de réserves, en réduisant les réserves d'argent des plus grandes banques et donc leur capacité à placer des fonds sur le marché du financement court terme.
La situation est aggravée par le déficit budgétaire de 1.000 milliards de dollars, qui est couvert en grande partie grâce à la vente d'obligations publiques - mais la demande diminue.
Selon les chiffres officiels, la dette publique des États-Unis s'élève à 22.500 milliards de dollars (106% du PIB). Doutant de la solvabilité de Washington, les plus grands créanciers vendent progressivement ces «instruments les plus sûrs et les plus liquides du monde» que sont les obligations du Trésor.
Selon les fonds d'investissement, dans ces conditions la crise sur le marché du financement court terme ne fera que s'aggraver, et très prochainement Jerome Powell annoncera officiellement un nouveau cycle d'assouplissement quantitatif.
Même si le patron de la Fed affirme que la situation sur le marché du financement court terme n'affectera pas toute l'économie, les économistes en doutent. Si ce segment est effectivement «cassé», comme en témoigne la dépendance du secteur bancaire des injections quotidiennes de liquidités, il est fort probable que la crise s'étendra sur tous les marchés.
Mais les actions du régulateur risquent également d'entraîner de sérieuses conséquences. Un afflux d'argent non garanti accélérera l'inflation et provoquera un affaiblissement global du dollar.
Sachant que la monnaie américaine pourrait être confrontée à une chute brutale dès janvier: la hausse du solde de la Fed de 10% (jusqu'à un record de 4.500 milliards de dollars) en seulement un mois exercera une immense pression sur le cours monétaire.
Goldman Sachs pense que la Fed ne pourra pas renoncer aux injections monétaires dans l'économie.
«Le marché a besoin constamment de dollars à cause des placements gigantesques d'obligations publiques afin de couvrir le déficit budgétaire», constate la banque. Par conséquent, la monnaie américaine continuera de perdre de la valeur.