Avec le développement des moyens de renseignement spatial, il devenait de plus en plus difficile de garantir la furtivité de l'emplacement du potentiel nucléaire. Dans les années 1970, il était déjà clair que la plupart des emplacements de silos terrestres étaient bien connus de l'ennemi potentiel, et qu'en cas de guerre d'envergure ils seraient attaqués par des dizaines de missiles. C'est pourquoi les sites où se trouvaient les silos ont été sérieusement renforcés et protégés par des couvercles de béton résistant à une pression de 100 bars.
Toutefois, même après avoir renforcé les silos, les militaires n'ont pas cessé d'essayer de cacher les missiles loin des yeux de l'ennemi. L'URSS et les États-Unis ont ainsi élaboré des systèmes lance-missiles terrestres mobiles capables de se rendre furtivement dans la zone de patrouille opérationnelle. Puis les ingénieurs ont décidé d'installer des missiles nucléaires dans un train. Dans les années 1960, les Américains ont conçu le train Mobile Minuteman. Il a été testé avec succès et mis en service, mais le projet a été abandonné à cause de sa complexité et de son coût élevé.
L'URSS, elle, a mené le projet jusqu'au bout. Son complexe stratégique ferroviaire mobile présentait plusieurs avantages considérables: il pouvait parcourir sans obstacles jusqu'à mille kilomètres par jour, et grâce à ses différences minimes en apparence par rapport aux trains civils, il était pratiquement impossible à identifier sur l'immense territoire de l'Union soviétique.
La ramification du réseau ferroviaire du pays permettait d'envoyer dans les plus brefs délais le train dans n'importe quelle région. Même en cas de destruction du reste de l'armement, grâce à ces trains l'URSS avait encore une chance de riposter en cas d'attaque nucléaire.
Système de missiles férroviaire Molodets
Le complexe stratégique ferroviaire mobile se compose de dix wagons, dont trois sont transformés en dispositifs de lancement de missiles intercontinentaux. Les autres sont des compartiments de contrôle et de liaison, de logement, des réserves de carburant et de nourriture. Pendant la conception du train nucléaire les ingénieurs ont été confrontés à de nombreuses tâches difficiles. Ainsi, le système de lancement était trop lourd - environ 200 tonnes avec le missile. Une partie des voies a dû être renforcée à cause de la surcharge sur la voie ferrée. Le wagon a été installé sur huit essieux au lieu de quatre. De plus, la charge était répartie entre les wagons à l'avant et à l'arrière à l'aide de dispositifs spéciaux.
Le missile spécial à combustible dur RT-23UTTH Molodets a été conçu pour le complexe stratégique ferroviaire mobile. Ses dix ogives nucléaires pouvaient éliminer une cible dans un rayon de plus de 10.000 km. Ce missile se distinguait des autres notamment par des ailerons pliables afin de réduire les gabarits, qui se dépliaient immédiatement après le lancement.
Le missile, de 100 tonnes et d'un peu plus de 20 mètres de long, était placé dans un wagon de transport standard. Si besoin, le train pouvait s'arrêter sur son itinéraire pour procéder au lancement. Le wagon contenant le missile était fixé par des supports amovibles, le câble électrique s'écartait, le toit s'ouvrait et le missile se dressait à la verticale. Après le lancement du missile intercontinental, le train quittait immédiatement son emplacement.
Avant la mise en service, le train a passé des essais poussés, en effectuant plusieurs lancements et en testant sa résistance à une explosion nucléaire. Lors d'un essai, plusieurs vecteurs et le poste de commandement du train ont été soumis à une onde de choc de mille tonne d'équivalent TNT. Le train a tenu le coup.
Le train d'achoppement
Le premier complexe stratégique ferroviaire mobile a été mis en service à Kostroma en 1987, avant la mise en service officielle. Sept autres régiments ont été lancés dans les années qui ont suivi et en 1999 les RVSN ont déployé trois divisions entières dotées de tels systèmes.
Néanmoins, au début des années 2000, la Russie a évoqué sérieusement la construction d'un nouveau train stratégique baptisé Bargouzine. Il était censé être un train identique à un train de transport ordinaire. Il était prévu d'installer dans ses wagons trois missiles intercontinentaux munis de 30 ogives de 550 kt chacune. En 2016, le Bargouzine a passé avec succès la première étape de vérification des missiles impliquant des essais de lancement.
Et bien qu'en 2017 le quotidien Rossiïskaïa gazeta ait annoncé la suspension des travaux sur le projet, le ministère de la Défense ayant déclaré que la Russie n'avait pas l'intention de renoncer entièrement aux complexes stratégiques ferroviaires mobiles. De plus, l'ingénieur général de l'Institut de technologie thermique de Moscou, l'académicien Iouri Solomonov, a annoncé le développement du missile unifié Iars qu'il sera possible d'installer sur des trains.