Les Vénézuéliens qui ont fui en nombre le pays commencent à revenir chez eux. Selon le ministère des Affaires étrangères, l'an dernier plus de 15.000 citoyens du pays sont rentrés au Venezuela. A cet égard le gouvernement a mis en place le programme «Plan de retour dans la patrie», qui prévoit des vols gratuits vers Caracas depuis plusieurs pays latino-américains. Les autorités ne parviennent pas à traiter toutes les requêtes des personnes qui désirent en profiter. La liste d'attente ne fait que s'allonger.
Peu importe où. Peu importe comment. Quitter à tout prix le pays où dans bien des cas la jeune génération, ou même plus très jeune, ne peut pas se développer et entretenir sa famille. Le pays traverse une crise. Le Venezuela. Une seule idée plane dans l'air: il faut fuir.
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 4,5 millions d'habitants ont quitté le Venezuela depuis fin 2015. Le HCR juge ces chiffres alarmants. Le gouvernement ne fournit pas les chiffres officiels pour confirmer cette information, mais il est évident que tout le pays parle de l'exode.
Tout le monde a des connaissances qui sont parties. Situation typique: un cousin, un père, un fils, un neveu ou un ami d'enfance qui est parti et pour qui tout va bien à l'étranger, ou dont on ignore comment il vit là-bas mais qui envoie parfois de l'argent à la famille qu'il a dû quitter.
Les Vénézuéliens qui émigrent et rentrent dans leur patrie
Le gouvernement de Nicolas Maduro a lancé la mise en œuvre du «Plan de retour dans la patrie». Ce programme existe depuis près d'un an et a été pensé pour aider les Vénézuéliens qui veulent revenir mais n'ont pas la possibilité de le faire. Dès qu'ils reviennent dans leur pays ils bénéficient d'un soutien dans le cadre de la sécurité sociale. Il n'existe aucune raison particulière pour monter à bord d'un tel vol: il faut être Vénézuélien et vouloir rentrer.
Il y a près d'un mois, Daniel, 29 ans, est revenu avec sa femme et son fils de 4 ans de la ville colombienne de Cali. Ils n'ont pas profité des vols gratuits du gouvernement. Ils sont revenus de la même manière qu'ils étaient partis: par le bus, à leurs frais. Ils ont constitué des économies. D'abord pour partir, ensuite pour revenir.
Daniel partage son histoire dans sa maison, où il vit avec toute sa famille (huit personnes avec ses frères et sœurs, neveux, etc.). Elle se situe dans le quartier densément peuplé de Manicomio à Caracas. «C'est la maison de mon père, c'est pourquoi je ne l'ai pas vendue», déclare Daniel.
Pour s'en aller il a tout vendu, laissant seulement un matelas au cas où les affaires iraient mal à Cali. On lui promettait un travail dans sa spécialité. Daniel est opérateur, il travaillait à la télévision vénézuélienne, dirigeait le tournage, installait les équipements, gérait les situations de stress pendant les flashs info. Quand son métier a cessé de rapporter le revenu nécessaire pour boucler le mois, le couple a songé à émigrer. C'est une histoire ordinaire pour un Vénézuélien moyen. La crise et l'hyperinflation provoquent une baisse du salaire et une dévaluation de la monnaie nationale.
«Ils possédaient même un drone, explique Daniel. Mais ensuite j'ai compris que tout n'était pas comme on me l'avait promis. Il n'y avait pas de travail, et telle était la réalité.»
Daniel avait choisi la Colombie avec sa famille en raison du fait que c'était un pays voisin, et ils pensaient que sa culture serait similaire. Rien que le trajet en bus rappelait le périple d'Ulysse. Ils n'ont pas réussi à trouver de billets dans les agences touristiques et ont dû verser une commission à un homme rencontré par hasard, qui avait promis de les embarquer dans le bus jusqu'à la destination.
Chacun d'eux a versé près de 30 dollars pour le voyage.
«Il est surtout difficile de comprendre que souvent le rêve qui nous a séduit ou a été montré par les réseaux sociaux n'est pas réel, explique Daniel. Cependant, on le comprend une fois sur place, et il faut chercher une solution.»
N'ayant pas obtenu le travail promis, il a commencé à chercher un emploi. Le problème du logement a pu être réglé car Daniel a commencé à travailler comme maçon dans l'église de la ville près de la capitale du département colombien du Valle del Cauca. En échange, le prêtre a mis à sa disposition un logement de la paroisse. La semaine il acceptait n'importe quel travail en intérim, parfois assistait un ami photographe, et le week-end il vendait des sucreries dans un magasin.
«Attention, c'est des Vénézuéliens, ils peuvent te voler. Nous entendions ce genre de choses tous les jours, dit-il. Il existe des préjugés même chez les Vénézuéliens. Nous étions tellement «frères» que nous étions en concurrence entre nous.»
Le racisme envers les Vénézuéliens ressemble à une tendance infondée. Daniel explique qu'un jour son fils lui a demandé de voir un camion de pompier à la station municipale. Il connaissait le chef et a décidé de demander. Mais son ami était absent, il était remplacé par son collègue, qui a demandé à Daniel s'il était Vénézuélien. Après une réponse affirmative, il a dit: «Je vous hais.»
«Imaginez-vous dans une telle situation, sous les yeux de votre fils de quatre ans.»
Mieux vaut ne pas imaginer.
Comment vivent les migrants du Venezuela?
Une autre histoire choquante sur l'émigration et le retour dans la patrie est celle que nous raconte Efren Avellaneda, 53 ans. Ce chanteur et compositeur de salsa est rentré il y a un peu plus d'un mois par un vol dans le cadre du «Plan de retour dans la patrie» de Lima (Pérou).
Dans sa maison de Naiguatá, une ville côtière à 40 minutes de Caracas, il montre fièrement ses albums et partitions de ses chansons.
Quand il est parti, il avait mis tout cela dans sa valise parce qu'il voulait internationaliser sa musique et connaître le succès à l'étranger avec le chant de salsa. Il a été volé dans la rue et cette valise est la seule chose qu'il a ramenée.
Efren gagnait toujours sa vie au Venezuela avec la musique, mais la crise n'épargne pas la culture, c'est pourquoi il est parti en voyage à l'étranger. Il est d'abord arrivé à Bogota, où il a tenu trois mois:
«J'y vendais de la glace et du café avec un charriot, et je chantais dans la rue. J'ai décidé de partir au Pérou parce qu'on m'a dit qu'il y avait davantage d'opportunités, mais la réalité et tout autre», explique Efren.
Sur son balcon s'ouvre une vue sur les piscines et les yachts imposants du club Puerto Azul, l'un des plus anciens et exclusifs clubs privés du Venezuela. L'entrée est réservée aux membres. Rien que la cotisation d'entrée coûte 30.000 dollars, et la participation mensuelle est exorbitante. C'est dégoûtant d'observer cette incroyable réalité quand Efren explique ses souffrances pendant l'exil économique.
Cependant, Efren se réjouit d'être rentré. «J'ai pris un peu de poids, même mon visage a changé. Regarde-moi.» Il a travaillé à Lima comme chauffeur de camion de 7 heures à 23 heures et a commencé à être payé 200 dollars par mois. «Les salaires sont très bas parce que nous sommes Vénézuéliens, ils nous exploitent, et de plus nous devons les remercier pour la possibilité qu'ils nous offrent parce que nous n'avons pas de travail ici», explique Efren.
Quand il a exigé du patron d'améliorer ses conditions de travail, il a été viré. Sans salaire il ne pouvait plus louer sa chambre, et il s'est retrouvé dans la rue.
Efren a commencé à dormir dans des parcs, dans des galeries couvertes ou là où il pouvait se protéger du froid. Une nuit il s'est fait voler, le monde semblait s'effondrer.
«J'étais si déprimé que j'avais commencé à me jeter sous les voitures. Je voulais mourir. J'ai coupé tout mon corps avec une bouteille. Je voulais simplement mourir.»
Efren montre les profondes coupures encore visibles sur ses bras et son corps. Même malgré une chaleur insupportable sur le littoral caribéen il cache ses cicatrices sous une veste, mais elles resteront à vie.
Un dimanche matin il est venu à l'ambassade du Venezuela au Pérou, le garde lui a dit de revenir le lendemain parce qu'il n'y avait personne. Il est allé dans un parc cet a acheté des bananes avec quelques pièces dans sa poche.
«Je me suis allongé sur un banc pour me reposer, mais j'ai senti qu'il fallait revenir à l'ambassade, et c'est ce que j'ai fait», raconte Efren.
A son retour il a aperçu un groupe de 40 Vénézuéliens arrivant de l'aéroport. C'était les passagers d'un vol dans le cadre du programme «Plan pour le retour dans la patrie», leur avion n'avait pas réussi à décoller à cause d'un problème de carburant.
Efren a réussi à s'entretenir avec l'ambassadeur pour lui raconter son histoire. Il a été immédiatement inscrit sur la liste des passagers. Il a bénéficié d'un logement pendant trois jours et, enfin, son avion a décollé mercredi. Seulement quelques semaines plus tard ses yeux ont retrouvé l'éclat et il a complètement changé d'humeur. Pendant l'interview, Efren chante la salsa, montre la vidéo du chanteur flamenco El Sigal et joue au ballon avec son chien.
Ils racontent leur propre expérience et tentent de donner des conseils, cela n'aide pas toujours. Cependant, ce sont des histoires personnelles racontées par l'individu qui a vécu ces épreuves.
Les histoires des Vénézuéliens qui ont quitté le pays, puis sont revenus, sont remplies d'une forte déception. Cela fait penser au rêve américain, qui s'est transformé tout à coup en une folie désespérée. Ce n'est pas facile de se décider à faire sa valise, même quand les titres de la presse internationale embellissent ce voyage en parlant des aventures et des opportunités d'obtenir le sourire idéal. La tendance d'idéaliser la situation ailleurs par rapport à la sienne dure jusqu'au moment où l'individu se retrouve au fond du gouffre où l'attendent seulement l'humiliation et les insultes. Le retour dans la patrie se transforme en quelque chose qui est plus qu'une simple nécessité.