À la veille de la visite d’Emmanuel Macron en Chine, Pékin a clairement laissé entendre que la signature d’un accord d’investissement avec l’UE l’année prochaine serait une priorité pour la politique européenne de la Chine.
Des déclarations dans ce sens ont été faites par le Premier ministre, Li Keqiang, lors de ses négociations avec Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi que le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, dans un entretien avec l’AFP lors de sa visite en France. Ce qui pourrait signifier que Pékin compte sur Paris pour signer rapidement ce document.
Le triangle Chine-UE-États-Unis
Le directeur du Centre d’études françaises de l’Institut de l’Europe de l’Académie des sciences de Russie, Youri Roubinski, a estimé, dans une interview accordée à Sputnik, qu’Emmanuel Macron mènerait les négociations en Chine au nom de la nouvelle composition des dirigeants de l’UE après avoir concerté ses positions avec la chancelière allemande.
«Dans le contexte de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, tous les participants au processus s’observent mutuellement […] L'UE prend en compte l'état de la confrontation américano-chinoise pour trouver non une simple solution avec la Chine, mais une solution qui empêcherait Donald Trump de recourir à des mesures sévères contre les Européens en réaction à une plus grande ouverture de leurs marchés à la Chine.»
Pour lui, le jeu est engagé non entre deux pôles, la Chine et l’UE, mais au sein du triangle Chine-UE-États-Unis. Sur fond de confrontation américano-chinoise, l'UE va maintenant essayer de négocier des conditions favorables pour soi afin de ne pas risquer le recours à des contre-mesures de la part des Américains, a souligné Youri Roubinski. Il sera nécessaire à la Chine et à l’UE de trouver un compromis et de faire des concessions. Et là, la France et l'Allemagne coordonnent étroitement leurs positions, a-t-il constaté, rappelant la récente réunion à Toulouse de ministres français et allemands.
«Ils y ont visiblement concerté les prochaines négociations d’Emmanuel Macron en Chine. Le Président de la République a reçu, à ce que je comprends, un certain mandat», a noté Youri Roubinski.
«La France possède ce potentiel»
Le potentiel de la France dans le domaine de la signature de l’accord a été également évalué pour Sputnik par le directeur de l'Institut des relations internationales auprès de l'Institut des langues de Pékin, Jia Leying.
«La France a toujours cherché à améliorer ses propres relations et celles de l’UE avec la Chine […] La diplomatie française se caractérise par une politique étrangère indépendante, Paris ne cherchant pas à rejoindre certaines grandes puissances occidentales dans ce domaine. Compte tenu de sa volonté politique, la France pourrait contribuer à élargir la collaboration en matière d’investissement entre la Chine et l’UE et faciliter la signature rapide d’un accord d’investissement. La France possède ce potentiel», a-t-il indiqué.
Entretemps, a-t-il fait remarquer, même si la France souhaite contribuer à une signature rapide d’un accord d’investissement entre la Chine et l’UE en partant de ses propres intérêts, elle doit tenir compte de la position de l’Allemagne et de l’Union européenne dans son ensemble.
«La France ne peut pas ignorer les intérêts de l'UE et se concentrer uniquement sur ses affaires. Elle devra rechercher un équilibre des intérêts de toutes les parties.»
Des relations plus étroites avec Berlin et Londres
Le rôle de la France dans l'accélération de la signature du document est considéré un peu autrement par Mary-Françoise Renard, responsable de l'Institut de Recherche sur l'économie de la Chine au CERDI (Centre d'études et de recherches en développement international). S’exprimant auprès de Sputnik, elle a estimé peu probable que Paris puisse accélérer la signature d’un accord d'investissement avec l'UE.
En Europe, la Chine entretient des relations bien plus étroites avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, et la France n'est pas un partenaire privilégié dans les négociations, a-t-elle constaté.
La voix de la France est-elle décisive?
Wang Yiwei, professeur à l'Institut des relations internationales de l'Université populaire de Chine, a dit croire que l’accord d’investissement serait signé l’année prochaine. La chancelière Angela Merkel a annoncé récemment que la Chine serait une priorité de la politique de l’UE en 2020, a-t-il rappelé, en rapport avec le fait que l'Allemagne assurera la présidence tournante de l’UE durant la seconde moitié de l’année prochaine.
«Les pays européens, y compris l'Allemagne et la France, ont manifesté un vif intérêt pour la signature de l'accord d'investissement entre la Chine et l’UE et ont exprimé l'espoir que cela serait fait lors de la présidence allemande de l'UE, a-t-il déclaré. En septembre prochain, le Président Xi Jinping se rendra en visite en Europe et participera au sommet à 27+1. Ainsi, on pourrait s’attendre à ce que l’accord d’investissement soit signé.»
Il a rappelé que les négociations entre l'UE et la Chine se poursuivaient depuis de nombreuses années et qu’il s’agissait aujourd’hui d’un document au format élargi. Lequel concerne non seulement les investissements proprement dits, mais aussi le commerce, la propriété intellectuelle, la politique industrielle, parmi d’autres aspects.
«À l’heure actuelle, l'UE souhaite lutter pour le marché chinois, tout en renforçant sa protection contre les produits chinois. En outre, l’UE est inquiète face aux répercussions des négociations commerciales sino-américaines sur son économie et craint une atteinte à ses propres intérêts, vu que l’UE et les États-Unis sont en concurrence sur le marché chinois», a poursuivi Wang Yiwei.
Selon lui, dans le contexte actuel d’incertitude mondiale et de montée du protectionnisme commercial, la signature d'un accord d'investissement est très importante pour la Chine, l'UE et le monde entier. Pour ce qui est des possibilités de signer ce document, beaucoup dépendra de la capacité des 27 membres de l’UE à parvenir à un consensus sur le dossier, a-t-il expliqué.
La visite d’Emmanuel Macron doit donner lieu à la signature de 30 à 40 contrats de collaboration. Le Président français se rendra à la deuxième exposition internationale sur les importations à Shanghaï. La France fait partie des 15 invités d'honneur de cette exposition qui rassemblera 17 grandes sociétés françaises dont Air Liquide, Saint-Gobain et Société Générale. Le pavillon de la France accueillera plus de 50 manifestations consacrées à l'innovation. Sont également prévues des expositions sur six agences gouvernementales et des régions françaises -dont la région parisienne.