Un lauréat du prix Nobel explique comment le cancer apparaît dans les cellules ordinaires

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Mutant spontanément ou contaminées par un virus, certaines parties de l'ADN humain se mettent à produire des protéines inhabituelles forçant les cellules à se diviser de manière incontrôlée et à former une tumeur maligne. Harold Varmus a évoqué ces zones oncogènes pendant le festival NAUKA 0+ à l'université d’État Lomonossov de Moscou.

Certaines parties de l'ADN humain, mutant spontanément ou contaminées par un virus, se mettent à produire des protéines inhabituelles forçant les cellules à se diviser de manière incontrôlée et à former une tumeur maligne. Harold Varmus, prix Nobel de physiologie et de médecine, professeur à l'université Cornell et au Centre du génome «Gènes et cancer» de New York, l'un des auteurs de cette découverte, a évoqué ces zones oncogènes pendant le festival NAUKA 0+ à l'université d’État Lomonossov de Moscou.

Virus aviaire et cancer humain

En 1910, Peyton Rous, chercheur à l'Institut Rockefeller a conduit une expérience remarquable afin de déterminer la nature d'une tumeur cancéreuse: le sarcome du poulet. Il a prélevé des tissus infectés des muscles de la poitrine de la volaille, les a coupés et mélangés à du sable, puis les a fait passer par un filtre fin retenant tout sauf les microorganismes. Puis il a injecté ce filtrat à un poussin sain d'une autre ligne parentale, qui a contracté le sarcome.

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Un groupe de recherche du Collège impérial du Japon a effectué des expériences similaires indépendamment de Rous, et une autre confirmation est arrivée de Copenhague où des chercheurs ont provoqué la leucémie chez des poulets. Il s'est avéré que le cancer pouvait être provoqué par un virus, surnommé ensuite virus du sarcome de Rous (VSR).

Cependant, ces expériences n'ont pas attiré une attention particulière à l'époque parce qu'on jugeait que le virus ne pouvait pas provoquer le cancer chez l'homme, et qu'il était inutile d'étudier le cancer aviaire. Approximativement à la même période a été exprimée l'hypothèse selon laquelle les gènes étaient les porteurs de l'information héréditaire. Mais le fait que les virus en possèdent également a été appris trente ans plus tard. C'est alors qu'on s'est souvenu des expériences de Peyton Rous.

Des tumeurs de nature infectieuse ont été découvertes chez les lapins, les souris, les chats et les primates. Le premier virus lié au cancer humain a été retrouvé dans les années 1960: le virus d'Epstein-Barr (herpès).

Le mystère des oncogènes

Le VSR découvert par Rous se rapporte à la classe des rétrovirus dont l'appareil génétique est enveloppé sous la forme d'ARN. Cette dernière inclut de nombreuses infections humaines, notamment le VIH. En 1957, les chercheurs américains Howard Temin et Harry Rubin ont déterminé que le VSR poussait une cellule ordinaire de l'organisme vivant à changer de comportement.

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En prélevant les tissus d'un embryon d'oiseau, ils ont mené leur culture dans une boîte de Petri, y ont ajouté le virus du sarcome de Rous et ont observé la transformation de cellules saines en cancéreuses, qui se divisaient de manière incontrôlée pour former une tumeur. Curieusement, les cellules «converties» conservaient leur nature maligne. Il suffisait d'une particule du virus pour modifier entièrement une cellule contaminée.

En 1970, Steven Martin, chercheur de l'université de Californie (Berkeley, États-Unis) a élevé une souche mutante de VSR qui affectait les cellules normales à une température de 35°C. En augmentant la température le cancer s'arrêtait, et à 41°C les cellules malades se normalisaient. Cela signifiait que dans le génome du virus se trouvait une zone qui ne faisait que transformer la cellule-hôte, et qu'il n'y avait pas de gène lançant la reproduction de particules virales. C'est ainsi qu'a été découvert le premier oncogène et le gène correspondant, plus tard appelé sarc.

Un oncogène est une zone ordinaire de l'ADN qui remplit des fonctions importantes dans la cellule, mais dans certaines circonstances (qui n'ont pas été entièrement élucidées) il «perd la raison» et provoque le cancer. Ces gènes potentiellement hostiles existent chez tous les organismes vivants et les virus. Ils se distinguent des «originaux» par une seule mutation: l'absence ou le remplacement d'un résidu d'acide aminé, le changement de la chaîne d'une lettre.

Le génome de la majorité de souches naturelles du VSR contient des oncogènes et des gènes lançant la reproduction du virus, ce qui le rend unique. Et quand le virus se retrouve dans l'organisme d'un oiseau et se met à transformer les cellules contaminées en cellules cancéreuses, sa capacité de reproduction est réprimée. Tous les autres rétrovirus portant un oncogène dans le génome sont défectueux: initialement ils ne possèdent pas de gène de réplication. Probablement car la reproduction est une fonction moins significative dans l'évolution que la transformation de cellules vivantes infectées en cellules cancéreuses.

Le virus vole des gènes utiles

En 1961, Harold Varmus, étudiant la littérature anglaise à Harvard, est venu à Moscou avec un ami. A cette époque le Rideau de fer s'était soulevé, c'était une période de détente. Les deux amis ont été logés sur le campus de l'université d’État Lomonossov de Moscou (MGU) où se déroulait le 5e Congrès biochimique international.

Ils sont venus assister à la conférence du chercheur américain Marshall Nirenberg sur le décryptage du code génétique et la synthèse des protéines. Les perspectives qui s'ouvraient en biologie ont tellement impressionné Harold Varmus que, de retour aux États-Unis, il a intégré l'école de médecine de l'université Columbia pour s'intéresser par la suite à la génétique du cancer.

Harold Varmus et ses collègues ont décidé de vérifier les hypothèses sur la nature des oncogènes viraux, c'est pourquoi ils ont mené des expériences avec le gène sarc. En temps normal il est responsable de la synthèse du ferment protéinique (tyrosine kinase) qui gère la croissance des cellules de l'embryon des oiseaux et d'autres vertébrés.

Sa version mutée (oncogène) a été découverte dans le virus du sarcome de Rous et a été surnommée v-src. En se retrouvant dans l'organisme d'un animal, tout comme un gène ordinaire sarc, il secrète la tyrosine kinase qui initie la croissance d'une tumeur.

Progressivement, Harold Varmus a eu l'idée que les oncogènes viraux avaient des gènes parentaux dans l'ADN des animaux. Quand le virus affecte une cellule, il intègre dans son génome une partie légèrement modifiée de son ADN. C'est ainsi qu'a été découverte la version cellulaire du gène sarc: c-src. C'est elle qui joue le rôle d'oncogène pour l'organisme vivant.

Les oncogènes montrent la voie pour combattre le cancer

Sur 20.000 gènes dans l'ADN humain, il y a plusieurs centaines d'oncogènes potentiels ou déjà prouvés.

Sarc est l'un des gènes qui mutent le plus souvent chez les vertébrés, l'homme y compris, tout comme MYC, RAS, ERBB, et ABL. En temps normal ils remplissent des fonctions ordinaires: la synthèse des protéines ou la gestion de différentes molécules dans la cellule. Mais à un moment donné ils montrent leur nature pathogène et lancent la croissance de formations malignes: certains types de leucémies, neuroblastomes, glioblastomes, lymphocytes B, mélanome, cancer du pancréas.

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Restait à découvrir pourquoi la tyrosine kinase codée par l'oncogène v-src poussait les cellules à se transformer en cancéreuses. En 1980, Harold Varmus et ses collègues ont trouvé une réponse à cette question. Ils ont découvert que ce ferment devenait cancérigène à cause d'une différence de seulement quelques nucléotides. Sachant que pour qu'il commence son activité destructive une faible quantité suffisait - bien moins qu'un ferment normal pour qu'il puisse remplir ses fonctions ordinaires dans la cellule.

Ensuite, Harold Varmus et d'autres groupes scientifiques participant aux recherches ont découvert que le même oncogène c-scr présent chez les mammifères se trouvait dans les cellules cancéreuses des invertébrés - insectes, vers et éponges. Il s'est avéré qu'il avait survécu dans la sélection naturelle chez un grand nombre d'espèces.

Quand le mécanisme d'action des oncogènes et des protéines qu'ils synthétisent a été compris, les scientifiques ont eu l'idée de les bloquer avec des médicaments pour stopper le cancer. A la fin des années 1990, ils ont mis au point des substances qui affectaient sélectivement les cellules cancéreuses et neutralisaient la tyrosine kinase.

L'imatinibum a été le premier à passer les essais cliniques. Il est dirigé contre le ferment secrété par l'oncogène c-ABL situé dans le neuvième chromosome humain et lié à la leucémie. Il est utilisé actuellement dans la thérapie ciblée. Les malades prennent ce médicament sous la forme de pilules ayant peu d'effets secondaires. Auparavant, après le diagnostic, les patients ayant contracté ce type de cancer mouraient en moyenne cinq ans plus tard. A présent, ils ont une espérance de vie normale à condition de suivre le traitement en permanence.

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Des produits similaires ont été développés pour certains types de cancer du sein, des poumons, du mélanome. Il s'est avéré également qu'ils étaient efficaces contre les tumeurs ayant développé une résistance à la thérapie primaire.

Il existe un autre groupe de substances ciblées qui ne bloque pas, mais modifie le ferment cancérigène de sorte à être reconnu par le système immunitaire. Cela sert de signal pour détruire les cellules cancéreuses avec les forces de l'organisme.

Le combat de la science contre le cancer dure depuis un siècle. Actuellement, plusieurs tumeurs jugées sans espoir auparavant peuvent être soignées, notamment grâce à la découverte des oncogènes. Ce n'est pas par hasard que Rous, Nirenberg, Temin et Varmus ont reçu plusieurs prix Nobel. La victoire définitive est encore loin, mais le décryptage complet du génome humain et la réduction du coût des méthodes de séquençage permettent d'espérer le début d'une nouvelle ère dans l'étude de la génétique du cancer.

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