L’ancien de la DRPP (Direction du renseignement de la préfecture de police), affecté en Seine-Saint-Denis pendant près de huit ans, est sur le qui-vive. Repérant deux ouvriers avec un bonnet portant des outils devant chez lui, Noam Anouar ouvre immédiatement sa porte, méfiant. En recevant Sputnik chez lui, l’auteur de La France doit savoir (Éd. Plon) nous a tout de suite mis dans l’ambiance.
Il faut dire que le policier a des raisons d’être vigilant, après l’attentat meurtrier du 3 octobre à la Préfecture de Police, commis par Mickael Harpon, qui a assassiné quatre de ses collègues au couteau. Un islamiste qui avait accès à des données sensibles, dont les adresses de nombreux policiers et agents infiltrés dans les milieux radicaux.
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Dysfonctionnement ou scandale?
Pour avoir été spécialement chargé de la surveillance des islamistes dans le 93, qu’il évoque avec force détails dans son livre passionnant, Noam Anouar pointe des défaillances évidentes dans le système de détection interne des services de renseignements. Après avoir soutenu publiquement devant ses collègues l’attentat de Charlie Hebdo, pourquoi Mickael Harpon n’a-t-il pas été repéré et a-t-il pu conserver son habilitation-défense?
«Il y a de façon certaine une faute qui a été commise. Le maintien en activité de M. Harpon, compte tenu de ses antécédents, de son comportement, de son passif dans sa vie personnelle, tous ces signaux auraient dû alerter les services de renseignements chargés de la surveillance du territoire.»
«Au niveau de la DRPP, ça commence à faire beaucoup»
L’ancien agent de renseignements se livre alors à quelques confidences. Il explique avoir été lui-même l’objet d’écoutes de la part des renseignements, ainsi qu’un autre collègue, dans le cadre de l’affaire Squarcini. Mais surtout, son profil le met en position inconfortable: être policier et musulman lui a valu de la part de ses collègues certaines suspicions racistes et de la part de la communauté musulmane, des insultes à son encontre:
«Pour eux, je travaille avec les Français, je suis un traître.»
Son appartenance au syndicat Vigi détonne également. Son secrétaire général, Alexandre Langlois a été suspendu pendant un an pour avoir trop critiqué sa hiérarchie.
«On a aussi été pris à partie par nos collègues syndicalistes quand on a évoqué l’hypothèse terroriste: on voit bien qu’il y a une pression, de toute façon. Une pression politique, communicationnelle, institutionnelle, pour nous faire taire […] La voie officielle, c’est que tout va bien, rien ne dysfonctionne et puis on trouve une explication un peu fumeuse pour expliquer les échecs.
Sauf qu’au niveau de la DRPP, ça commence à faire beaucoup, puisque la DRPP est citée dans les dossiers Charlie Hebdo, Hyper Cacher, Thalys, Saint-Etienne-du-Rouvray, l’affaire Sid Ahmed Ghlam, l’attentat manqué à l’église de Villejuif, qui a quand même coûté la vie d’une de nos compatriotes. On peut donc légitimement se poser la question sur les choix qui ont été faits, par les responsables de cette direction pour nous protéger.»
Autre problème, et non des moindres, les enquêteurs ont retrouvé des clés USB au domicile du tueur, contenant des vidéos de propagande de Daech ainsi que les coordonnées et adresses de dizaines de ses collègues. Des informations qu’il aurait pu transmettre à des réseaux islamistes?
«On ne le saura jamais, malheureusement. Si un jour, on en prend connaissance, c’est parce qu’on aura intercepté dans son réseau une information sur un éventuel passage à l’acte, sur un éventuel transfert de données, mais à l’heure actuelle, il est impossible de le savoir. Puisqu’à l’intérieur de la DRPP, il y a effectivement une traçabilité informatique, ça nous fournira une partie des éléments, quoiqu’il était lui-même informaticien donc naturellement, il a dû prendre des précautions d’usage avec d’exfiltrer des données.
Mais on a aussi beaucoup de données papier, c’est-à-dire que si avec votre portable personnel, vous prenez une note blanche, vous la photographiez, vous la consignez sur une clé USB, sans la transmettre par le réseau GSM, 3 G, ou autre, il n’y a pas de traces. Vous l’imprimez, vous en faites une photocopie, la donnez de la main à la main, ce n’est pas traçable, c’est quasiment impossible à détecter.»
«L’hydre islamiste»
Lors de la cérémonie d’hommage aux quatre policiers tués, Emmanuel Macron a appelé les Français à se mobiliser face à «l’hydre islamiste». Des mots forts qui suscitent néanmoins le doute quant aux réelles capacités de l’État et de la Nation à lutter contre «cet islamisme souterrain». Comme souvent, les propos du Président de la République ont d’ailleurs déclenché une salve de ricanements sur les réseaux sociaux. Qu’en pense un professionnel du terrain? Noam Anouar ironise:
«L’islamiste, c’est un Maghrébin, avec une grosse barbe, un turban, une djellaba […] Les islamistes sont mauvais, sont malfaisants, ce ne sont pas forcément des cons. Ils savent très bien s’adapter à la menace, à la répression. On a bien vu que dans le cas de Mickael Harpon, c’était un Antillais. Avant sa conversion à l’islam et peut-être même après, il buvait du rhum […] Ils sont sur des clichés […] La détection, c’est un métier. Les vrais islamistes, ceux qui sont dangereux, ont une formation militaire. Mohamed Merah, vous avez vu la misère qu’il nous a mise en étant tout seul? Ces gens sont formés, y compris au renseignement. Donc ce n’est pas le petit gardien de la paix, ou les petits subterfuges qui vont permettre aux gens d’être démasqués.»
«J’aime beaucoup Hadama, c’est un chic type. Il est d’Aulnay-sous-Bois, c’est la zone sur laquelle je travaillais. En plus, je ne veux pas dire du mal de la personne. Je pense qu’il a été affecté par sa situation personnelle, parce qu’il a été révoqué de la fonction publique, il était médiateur de quartier, c’est quelqu’un qui a une colère en lui. La décision qu’il a prise est excessive.»
Depuis son départ de la DRPP, Noam Anouar est affecté à la PAF (Police aux frontières), où il constate l’incurie des pouvoirs publics à lutter contre l’immigration irrégulière. En arrêt maladie, où il attend une convocation disciplinaire, il confie s’interroger sur son avenir et peut-être de quitter définitivement les forces de l’ordre.