L’avant-projet de loi sur les hydrocarbures que le gouvernement algérien a approuvé le 3 octobre dernier sous une vague de polémiques prévoit, entre autres, une amélioration du système juridique, institutionnel et fiscal relatif au climat des investissements.
Ce projet de loi rassure donc d’emblée. La règle des «49/51» concernant les investissements étrangers, appelée règle souveraine car elle assure à l’Algérie la position d’actionnaire majoritaire dans tout investissement étranger dans le pays, est maintenue.
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— APS | وأج (@APS_DZ) October 3, 2019
«Le nouveau projet de loi vise à atteindre un système juridique, institutionnel et fiscal stable et favorable à l'investissement dans le domaine des hydrocarbures à long terme, sans porter atteinte aux intérêts nationaux, d'autant que la règle des "49/51" concernant les investissements étrangers dans ce domaine a été maintenue», lit-on dans le communiqué du Conseil des ministres repris par l’agence officielle APS.
Cet avant-projet de loi prévoit également le lancement des explorations des ressources offshore sur les 1.200 kilomètres de côte qui bordent l’Algérie au Nord.
«L'exploitation des hydrocarbures doit se faire d'une manière optimale, à même de prendre en compte les données de la réalité des richesses souterraines que recèle le pays […] Ce projet de loi élargira l'exploitation des potentialités nationales en hydrocarbures en offshore », précise le communiqué.
Le consultant algérien en transition énergétique Toufik Hasni, également ancien vice-président de la major pétrolière algérienne Sonatrach, livre à Sputnik ses analyses sur la pertinence de cet avant-projet de loi sur les hydrocarbures, le marché pétrogazier algérien en temps de Hirak et les principaux investissements étrangers qui y sont produits.
Sputnik: L’approbation d’un projet de loi sur les hydrocarbures à deux mois de l’élection présidentielle vous paraît-elle une bonne idée?
Toufik Hasni: «Tant que nous n’aurons pas le texte final de ce projet de loi, on ne peut se prononcer que sur la conjoncture de sa présentation. J’estime qu’il est inopportun de voter une loi à un ou deux mois de l’élection présidentielle et que ce projet de loi n’augmentera en rien l’attractivité du marché pétrolier algérien. Ce, pour trois raisons.
La première est liée à des facteurs internationaux, notamment ceux relatifs au marché pétrolier mondial, actuellement en perte d’attractivité. Les prévisions des cours mondiaux du brut s’annoncent pessimistes pour les trois années à venir. L’Agence internationale de l’énergie, prévoit en effet un baril de Brent en dessous de 60 dollars et un million de BTU de gaz sous les 2 dollars jusqu’à 2020. À cela, il faudrait ajouter les prévisions d’augmentation de la production pétrolière des États-Unis, qui sont devenus depuis 2015 les premiers producteurs grâce au gaz de schiste. Le nouveau dynamisme du marché des hydrocarbures américain, ainsi que la volonté de consolidation de leur leadership dans ce secteur, pousse les entreprises américaines, notamment les super majors, à se retirer de plusieurs marchés mondiaux pour se recentrer sur la production interne.
D’autre part, nous avons le facteur des politiques climatiques, qui impose une réduction de la production pétrolière et de toutes les subventions sur les énergies fossiles.
Enfin, sur le plan interne, voter une loi dans un secteur aussi sensible à la veille de la présidentielle représente pour les investisseurs étrangers un facteur de grand risque. En effet, entre l’approbation d’une loi, le lancement d’appel à investisseurs pour un projet donné et sa mise en production, il se passe un certain temps. Étant donné que les investissements dans ce secteur sont capitalistiques, l’investisseur potentiel se trouve sans aucune garantie sur le devenir de cette loi après l’arrivée d’un nouveau président.
Compte tenu de ces facteurs, je répète que ce projet de loi est inopportun et qu’il n’augmente aucunement l’attractivité du marché algérien des hydrocarbures.»
Sputnik: Le Hirak a-t-il eu un impact sur la production pétrolière algérienne?
Toufik Hasni: «Absolument pas! L’Algérie subit les contraintes du marché international des hydrocarbures au même titre que les autres pays producteurs de pétrole. Le pays continue de faire face aux mêmes contraintes bureaucratiques, fiscales et bancaires qui existaient avant le Hirak. Il n’y a eu à aucun moment des menaces sur l’exploitation pétrogazière du fait de ces manifestations populaires. Sonatrach (l’entreprise nationale pétrolière algérienne, NDLR) emploie des professionnels très compétents, qui continuent de s’impliquer dans leur travail.
Souvenons-nous que les mouvements populaires, les révoltes, voire même les guerres, affectent rarement les productions pétrolière et gazière. C’est d’ailleurs ce que nous observons dans des pays hautement instables. Rappelons que même pendant la guerre civile qu’a connue l’Algérie entre 1992-1999, les multinationales pétrolières étaient restées dans le pays pour continuer à prospecter.»
Sputnik: Les incertitudes politiques dans les pays de l’OPEP (Algérie, Venezuela, Libye, Iraq, Nigeria, etc.), en plus des sanctions contre l’Iran et des attaques survenues le 14 septembre dernier contre des installations saoudiennes, devraient normalement provoquer une envolée des prix du Brent. Or, ce n’est pas le cas. Pourquoi?
Toufik Hasni: «Les déterminants dans la structure des prix ne sont plus les facteurs de l’offre et la demande depuis que les États-Unis sont devenus les premiers producteurs de pétrole en 2015. Ce sont désormais eux et leur allié, l’Arabie saoudite – premier pays producteur de l’Opep avec plus de 10 millions de barils par jour (mbj) – qui déterminent l’orientation des cours du brut. Aucun pays ne peut les concurrencer aujourd’hui! Le cours actuel du pétrole – qui ne dépasse pas les 60 dollars le baril du Brent – est la résultante d’une volonté stratégique du Président américain Donald Trump. Celui-ci veut contenir les hydrocarbures au prix le plus bas pour maintenir la dominance du dollar, car c’est le seul secteur où les États-Unis ne sont pas concurrencés par la Chine. Ceci explique que l’hôte de la Maison-Blanche adopte plutôt une stratégie de marché qu’une stratégie de prix. C’est pour cela que les cours du brut n’ont pas été affectés par un événement aussi important que l’attaque contre les installations saoudiennes d’Aramco. Aujourd’hui, les prévisions pour les années à venir annoncent un prolongement de la domination des États-Unis sur le marché pétrolier, dont l’offre dépassera les12 mbj à partir de 2020 (contre environ 11 mbj aujourd’hui). Les États-Unis domineront également le marché gazier, en particulier celui du gaz naturel liquéfié GNL, dont ils sont les troisièmes fournisseurs derrière l’Australie et le Qatar. Certaines prévisions les donnent même numéro un du marché du GNL à partir de 2024.
Pour y parvenir, les États-Unis appellent les majors à se désengager à l’international et à investir massivement dans la production interne, notamment dans un contexte de manque de liquidités des banques américaines. Des entreprises américaines, à l’instar d’Anadarko, d’Exxon Mobile et de Chevron, ont ainsi cédé leurs actifs en Afrique et en Europe pour se centrer davantage sur la production américaine interne. Toute l’attention est orientée vers les États-Unis.»
Sputnik: Pour revenir au retrait évoqué plus haut des majors pétrolières américaines des marchés mondiaux, notamment Anadarko Petroleum, pensez-vous que la vente des actifs de cette entreprise en Algérie et en Afrique au profit du français Total s’inscrit dans ce sillage?
Toufik Hasni: «À l’instar d’autres entreprises américaines, Anadarko a cédé ses actifs en Europe et en Afrique, et non pas uniquement en Algérie. Le 6 septembre, Total a d’ailleurs annoncé avoir racheté la participation du groupe américain Anadarko dans un projet de gaz naturel liquéfié au Mozambique. Au-delà de la vente de ses actifs à l’étranger, Anadarko Petroleum, qui faisait face à d’énormes difficultés financières, a été rachetée en mai dernier par son compatriote Occidental Petroleum. Une transaction qui s’est faite après une bataille avec l’autre major américaine Chevron. Cette dernière fait elle-même face à une incapacité de paiement de ses dividendes jusqu’à 2022 en raison du problème de pénurie de liquidités que j’évoquais plus haut.
Maintenant, pour revenir à la vente de 8,8 milliards de dollars d’actifs à Total en Algérie et dans toute l’Afrique, on peut considérer que les Américains ont exercé des pressions. Car par le biais de Total, ils s’assurent que leur marché restera dans la sphère du dollar et qu’ils continueront, ainsi, à imposer leurs prix. Total doit se plier aux injonctions américaines si elle veut maintenir ses marchés dans le pays de l’oncle Sam, où elle possède des actifs estimés à 10 milliards de dollars et dont les banques sont impliquées à 90% dans ses opérations financières. Nous avons vu, l’an dernier, comment cette super major française avait été poussée par la pression américaine à se retirer de ses chantiers gaziers en Iran. Total ne peut pas se soustraire à la volonté des États-Unis.»