«L’armée française devrait conserver une présence durable au Sahel»

© AFP 2024 DOMINIQUE FAGET / Un soldat français près d’une base militaire à Niamey, au NigerUn soldat français près d’une base militaire à Niamey, au Niger
Un soldat français près d’une base militaire à Niamey, au Niger - Sputnik Afrique
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Six ans après le début de l’opération Serval, puis Barkhane, la situation au Sahel est toujours très mauvaise. L’armée française court-elle un risque d’enlisement dans ce conflit ou se mêlent considérations économiques, politiques et militaires? Des observateurs du conflit, en France et dans la région, répondent à Sputnik.

Depuis l’engagement de la force Serval au Mali en 2013, la situation sécuritaire au Sahel reste toujours très tendue. À de nombreux égards, elle peut même être considérée comme pire qu’il y a cinq ans. Rien que le 19 août dernier, une attaque d’un groupe armé terroriste a fait 24 morts dans les rangs de l’armée au Burkina Faso. Dans un rapport sur la situation au Sahel publié le 13 septembre, Alain Antil, membre de l’institut français des relations internationales (IFRI), dresse un portrait alarmant des pays de la région. Tant sur le plan de la sécurité que du développement, son constat est amer:

«Économies atones peu créatrices d’emplois, croissances démographiques vigoureuses, aides internationales souvent considérées comme des rentes et appareils de sécurité incapables de sécuriser les espaces nationaux et protéger les populations.»

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Pourtant, certains se veulent moins alarmistes, notamment sur la situation sécuritaire, et préfèrent constater les progrès qui ont été faits:

«D’abord, l’opération Serval a permis d’empêcher les djihadistes de descendre vers Bamako et de prendre une capitale et leur aurait permis d’implanter un califat, type Daech* au levant. En revanche, aujourd’hui, [elle constitue, ndlr] une forme plus diffuse de menace continue et permet de combattre les mouvements djihadistes ponctuellement, mais pas d’éteindre la menace totalement», explique à Sputnik Dominique Trinquand, général (2 S) et l’un des conseillers Défense de Macron pendant la campagne électorale.

Une vision qui n’est pas nécessairement partagée par les observateurs et les populations locales. Contacté par Sputnik France, un observateur reconnu de la région, basé au Sénégal, qui a souhaité conserver l’anonymat, fait un diagnostic inquiétant, en particulier au niveau sécuritaire. Pour lui, depuis l’intervention de Serval,

«la situation s’est nettement dégradée: le conflit s’est étendu à toute la bande Saharo-Sahélienne, il y a aujourd’hui des attentats dans les grandes capitales de la région et les violences ethniques se sont multipliés.»

Un diagnostic alarmant qui pose la question de l’engagement français dans la zone. Après six ans d’intervention et des résultats en dents de scie, ne court-on pas le risque, comme les États-Unis en Afghanistan, d’un enlisement des forces françaises, qui ont déjà perdu 28 hommes dans cette guerre? Pour l’observateur que nous avons contacté, il est «peu probable qu’il puisse y avoir une forme d’enlisement du type de celle des États-Unis en Afghanistan. L’adversaire au Sahel est beaucoup moins influent et moins létal. Par contre, il est fort possible que l’armée française ait une présence durable dans la région du fait qu’il n’y a pas d’alternative sécuritaire.»

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En effet, aujourd’hui, la France joue un rôle majeur de bouclier dans la région, et ce, même si les violences se diffusent, jusqu’à atteindre des pays côtiers, comme le Benin. La présence de l’armée française empêche les djihadistes de s’emparer de capitales importantes et de sortir de la clandestinité. Mais aussi, «elle empêche les groupes armés, entre la région du Sahel et la Libye de faire le lien, ce qui serait dramatique pour toute la région» affirme notre contact. Un constat partagé par le général Trinquand (2 S), pour qui un retrait des troupes est inenvisageable à l’heure actuelle:

«Le risque serait de revenir à la situation pré-Serval, c’est-à-dire que les djihadistes dans la région prennent une capitale ou établissent de manière transfrontalière un califat au Sahel. Il y a là un vrai risque, puisque s’installerait un État qui peut se développer vers l’extérieur. En effet, on voit qu’il y a déjà des connivences entre les menaces au sud-Sahara et les menaces autour du lac Tchad avec Boko Haram.» 

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Pour tous les observateurs, le retour à la stabilité passe nécessairement par le développement. Aujourd’hui, les États de la région ont perdu la main dans la plupart des zones rurales, où les djihadistes en profitent pour se substituer à l’État. Dans les zones désertiques du Mali, de la Mauritanie ou du Niger, «les taux d’analphabétisation, de chômage sont extrêmement élevés, sans parler de l’accès ultra-limité, sinon inexistant, aux soins médicaux», explique notre source. Il y a donc un travail de fond à effectuer pour que les États redeviennent des États, et ce, sur l’ensemble de leur territoire:

«Les gouvernements au Sahel existent, simplement, il faut arriver à leur faire prendre les bonnes mesures, et puis faire les investissements nécessaires. Il faut que ces pays, qui ont explosé démographiquement, puissent trouver de l’emploi pour leurs jeunes», souligne Dominique Trinquand.

Il est donc indispensable de lier l’action politique à l’action militaire au Sahel et de parvenir à mettre en place de réelles politiques de développement. Quand bien même, «le chemin serait encore long» avant d’arriver à une forme de paix et de stabilité durable dans la région, tant les problèmes de fond y sont importants, indique l’observateur que nous avons contacté.

*Daech est une organisation terroriste interdite en Russie.

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