Les États-Unis veulent évincer le gaz russe: «La Pologne est l’une des têtes de pont de ce projet»

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Alors que le climat diplomatique entre l’Union européenne et la Russie semble se réchauffer, se déroulent ce 19 septembre à Bruxelles des négociations sur le transit du gaz russe entre Kiev et Moscou. Décryptage avec Philippe Sébille-Lopez, directeur du cabinet Géopolia.

Il y a moins d’eau dans le gaz entre l’Europe et la Russie. Signe diplomatique de cette détente, le 19 août dernier, Emmanuel Macron recevait Vladimir Poutine. Une invitation qui s’inscrivait dans un cadre plus large d’une volonté partagée de rapprochement entre la France, l’Union européenne et la Russie.

Seulement, le dossier ukrainien reste une pierre d’achoppement entre l’Occident et Moscou. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Président de la République a expliqué ne pas vouloir réinviter dans l’immédiat la Russie au G7. Une rencontre au Format Normandie (Russie, Ukraine, Allemagne, France) pourrait par contre bientôt avoir lieu.

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En ce qui concerne les relations économiques, UE et Russie tentent aussi d’aplanir le terrain. Ainsi, avaient lieu ce jeudi 19 septembre, à Bruxelles, des négociations pour un nouveau contrat sur le transit de gaz russe, entre l’Union européenne, la Russie et l’Ukraine. Que peut-il bien en sortir? Peuvent-elles favoriser par ricochet les discussions politiques?

Nous avons interrogé le géopoliticien Philippe Sébille-Lopez, spécialiste des hydrocarbures et directeur de Geopolia, cabinet d’études, conseil et formation en géopolitique et intelligence économique. Il a également évoqué pour nous la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 10 septembre en faveur de la Pologne face à Gazprom, où le principe flou de «solidarité énergétique» a ainsi été invoqué pour restreindre les livraisons de gaz via le gazoduc Opal.

Sputnik France: Quels sont les enjeux de la réunion trilatérale entre l’Union européenne, la Russie et l’Ukraine?

Philippe Sébille-Lopez: «Il n’y a pas que le gaz dans tout ça, même s’il est au centre. Les rencontres dans le cadre du Format Normandie pour l’application des Accords de Minsk doivent avoir lieu prochainement. Tout cela s’inscrit dans un processus de négociations plus vastes que la simple réunion de jeudi qui, elle, devrait aborder tous les aspects énergétiques, notamment les volumes de gaz qui vont continuer à transiter par l’Ukraine en provenance de Russie.»

Sputnik France: Comment expliquer le contentieux du transit de gaz de la Russie vers l’Europe?

Philippe Sébille-Lopez: «Tout est lié au projet de Nord Stream 2, c’est là que les deux dossiers s’entrechoquent. La décision de la Cour de Justice de l’Union européenne concerne le gazoduc OPAL qui, lui, évacue du gaz russe à partir du Nord Stream 1. Ce volume qui serait retiré à Gazprom va encore compliquer les choses pour Nord Stream 2, car les deux sont liés. Le Nord Stream 2 visant à rerouter encore plus les volumes qui transitaient par l’Ukraine [les gazoducs Nord Stream 1 et 2 passent en mer du Nord, évitant de transiter par l’Ukraine ou la Pologne, ndlr]. C’est un tout.

On pourrait ajouter les deux branches du Turkish Stream, dont celle qui débouche sur la partie occidentale de la Turquie et qui remplacera les 16 milliards de m3/an transitaient jusqu’alors par le nord via l’Ukraine. Pour le Turkish Stream 2, un problème va se poser avec la Bulgarie, qui doit être normalement la tête de pont de ce gazoduc en Europe. La décision de la Cour de justice de La Haye s’ajoute à la révision de la directive sur le gaz en juin dernier à Bruxelles. Tout cela complique sérieusement les projets de gazoducs russes vers l’UE, aussi bien pour le Nord Stream 2 que le Turkish Stream 2.»  

Sputnik France: Où en est concrètement le Nord Stream 2?

Philippe Sébille-Lopez: «Pour le Nord Stream 2, la pose du gazoduc est très largement avancée pour l’essentiel des 1.200 km de son tracé. Il faut encore finaliser les points de départ en Russie et d’arrivée en Allemagne. Et il y a surtout le problème du tracé à travers la zone économique exclusive danoise autour de l’île de Bornholm, puisque le Danemark n’a toujours pas donné de réponse à Gazprom et aux opérateurs du Nord Stream 2.»

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Sputnik France: Comment expliquer la décision de justice de la CJUE sur le transit de gaz entre la Pologne et la Russie; qui restreint les livraisons de gaz via le gazoduc Opal?

Philippe Sébille-Lopez: «C’était une demande de la Pologne, appuyée par la Lituanie et la Lettonie, si je me souviens bien. Ces pays dénonçaient la dérogation qu’avait obtenue Gazprom et surtout l’Allemagne, sur la gestion du gazoduc Opal en 2016 par rapport au règlement initial, établi en 2009. Une dérogation qui permettait donc à Gazprom de faire rentrer dans ce gazoduc des volumes supplémentaires par rapport à ce qui avait été conclu initialement. Donc, la Pologne a introduit une instance contre cette décision de la Commission pour dire qu’en fait, leurs intérêts notamment en matière de droits de transit, n’avaient pas été pris en considération, et accessoirement ceux de l’Ukraine. Et donc en ne tenant pas compte des intérêts polonais, en accordant cette dérogation en 2016, la commission avait manqué à ses devoirs.»

Sputnik France: Dans cette affaire, la CJUE s’est appuyée sur un principe de solidarité énergétique. En quoi consiste-t-il?

Philippe Sébille-Lopez: «La définition de ce principe n’est pas précise. D’ailleurs quand on regarde la décision de la Cour de Justice du 10 septembre, on s’aperçoit qu’elle s’appuie sur une décision du conseil européen du 4 février 2011 qui “souligne la nécessité de moderniser et de développer les infrastructures énergétiques de l’Europe et d’interconnecter les réseaux au-delà des frontières afin de rendre effective la solidarité entre les États membres, que d’autres voies d’acheminement ou de transit et d’autres sources d’énergie deviennent une réalité concrète et que des sources d’énergie renouvelables se développent et concurrencent les sources d’énergie traditionnelles.”

Le principe de solidarité est en quelque sorte formalisé par cette longue reprise d’une décision du conseil européen de 2011, mais c’est évidemment très vague, puisqu’il s’agit de grandes orientations.»

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Sputnik France: Comment l’Union européenne aide-t-elle à la mise en place de ces interconnections?

Philippe Sébille-Lopez: «Ces interconnexions ont pour but de faciliter les échanges intraeuropéens, d’un pays à l’autre, notamment afin d’éviter qu’un pays ne dépende d’une seule source d’approvisionnement. C’est une mesure de sécurité des approvisionnements et comme toute mesure de sécurité elle comporte un volet politique. On pourrait prendre l’exemple de l’Interconnector entre la Pologne et la Slovaquie, pour lequel l’Union européenne va faire un chèque de 100 millions d’euros, soit 40% du coût du projet de ce gazoduc de 160 km. Avec ce seul projet, la Pologne va absorber l’équivalent de 14% de l’enveloppe communautaire des projets énergétiques (électricité et gaz) déclarés d’intérêt commun pour l’année en cours.

La plupart de ces projets visant à renforcer les interconnexions nord-sud se font évidemment au détriment des approvisionnements est-ouest en gaz russe. Cette stratégie nord-sud est l’un des piliers du vaste programme des États-Unis baptisé BABS (Baltic, Adriatic, Black Sea) visant à approvisionner l’Europe en gaz naturel liquéfié (GNL) étatsunien par la Baltique, l’Adriatique et la mer Noire. La Pologne est l’une des premières têtes de pont de ce projet US sur la Baltique. Elle a déjà signé deux contrats d’approvisionnements en GNL américain. La Pologne est particulièrement bien traitée par Bruxelles sur le volet énergétique, bien au-delà des traditionnelles aides structurelles régionales, dont elle est aussi l’un des tout premiers bénéficiaires.»

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