Jean-Paul Gourévitch: «L’immigration s’accélère en France, c’est indiscutable»

© AFP 2024 FRANCOIS GUILLOTDes réfugiés yézidis en France, le 20 décembre 2018
Des réfugiés yézidis en France, le 20 décembre 2018 - Sputnik Afrique
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Macron a lancé une offensive sur l’immigration alors que le sujet inquiète toujours une bonne partie des Français. À droite, on le juge timide alors qu’à gauche, on l’accuse de surfer sur les terres de l’extrême droite. L’essayiste et spécialiste de l’immigration Jean-Paul Gourévitch a livré son analyse à Sputnik France.

«La gauche n'a pas voulu regarder ce problème pendant des décennies. Les classes populaires ont donc migré vers l'extrême droite. On est comme les trois petits singes: on ne veut pas regarder.»

Emmanuel Macron serait-il en train d’opérer un virage à droite sur l’immigration? Alors qu’un débat sur le sujet aura lieu au parlement dans 15 jours, un événement qui est appelé à se répéter chaque année, le Président de la République a lancé l’offensive devant 200 parlementaires de sa majorité le 16 septembre. Tout cela à quelques mois des élections municipales de mars 2020 et surtout de la présidentielle de 2022.

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«En prétendant être humaniste, on est parfois trop laxiste», a-t-il notamment déclaré concernant une immigration qui continue d’inquiéter une grande partie des Français. Dans le dernier baromètre annuel «Fractures françaises» réalisé par Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, la fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, le niveau de l’immigration apparaît en quatrième position (32%) des priorités sur lequel le gouvernement doit intervenir, derrière la protection de l’environnement (48%), les difficultés en termes de pouvoir d’achat (46%) et l’avenir du système social (45%).

​​Ils sont 63% à penser qu’il y a «trop d’étrangers en France» et 66% que «de manière générale, les immigrés ne font pas d’effort pour s’intégrer en France». 64% des Français ont quant à eux l'impression «qu'on ne se sent plus chez soi comme avant» en France, une hausse de quatre points depuis 2017.

Emmanuel Macron veut à nouveau casser son image de «Président des riches» avec ce débat. Il s’est adressé à son propre camps en demandant «si [nous] voulons être un parti bourgeois ou pas». Il a expliqué que les bourgeois n’avaient «pas de problème» avec l'immigration, car «ils ne la croisent pas» pendant que «les classes populaires vivent avec».

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Côté pratique, le locataire de l’Élysée souhaite agir majoritairement sur le droit d’asile. S’il a réaffirmé un principe auquel il est attaché, il a en revanche estimé qu’il était «détourné de sa finalité par des réseaux, des gens qui manipulent» alors que l’Hexagone a enregistré une hausse de 23% des dossiers l'an dernier. Ceux en provenance d’Albanie et de Géorgie sont notamment dans le collimateur des autorités.

La fameuse aide médicale d'État (AME) occupera également une partie des débats. La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye veut s’assurer «d'en maîtriser les coûts et de s'assurer qu'elle va bien aux personnes en détresse».

Matignon prépare, en prévision du débat, un «document de synthèse» concernant la politique migratoire de la France qui regroupera notamment des données des ministères de l'Intérieur, de la Santé et des Affaires étrangères et européennes.

Au sein même de la majorité, la nouvelle approche présidentielle divise. Une source ministérielle juge «bien de traiter le sujet» et assure qu’«il est difficile d'en faire totalement abstraction pendant cinq ans» tout en voyant «une opportunité d'objectiver un certain nombre de choses». Mais cette même source regrette que la présentation du sujet «n'appréhende pas l'immigration comme une richesse» et relève une différence d'approche au sein du gouvernement entre les tenants de l'aile droite (Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu...) et ceux issus de la gauche.

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Le député Aurélien Taché organisera par exemple un «événement» sur les thèmes de l’accueil et de l’intégration. Le tout en présence de… Carola Rackete, la capitaine du navire humanitaire Sea-Watch devenue célèbre pour son bras de fer avec l’ex-vice-président du Conseil des ministres italien Matteo Salvini.

Preuve du côté «touchy» du sujet, 15 députés de l'aile gauche de LREM ont publié une tribune le 17 septembre appelant à «éviter une hystérisation inversement proportionnelle à la réalité migratoire» et demandant à «parler intégration».

Du côté de la gauche, le porte-parole des députés PS Boris Vallaud a assuré que le plus jeune Président de la Cinquième République ne regardait «le problème de l’immigration qu’en regardant à l’extrême droite». Même son de cloche chez Sandra Regol, la porte-parole d'Europe Écologie Les Verts:

«Ce n'est pas la première fois qu'Emmanuel Macron et ses collègues récupèrent le discours du Rassemblement national pour réexister au milieu.»

Le président du Sénat Gérard Larcher (LR) a quant à lui regretté le 18 septembre sur France Inter que les propos d’Emmanuel Macron ne contiennent «pas un mot» sur «l’intégration»:

«C'est un vrai sujet: on ne peut pas traiter la question migratoire sans traiter du codéveloppement dans un certain nombre de pays, de la question européenne face au droit d'asile, et sans traiter de l'intégration.»

Enfin, Marine Le Pen, dont l’immigration est un des chevaux de bataille, a affirmé qu'elle ne «croyait pas» à un quelconque durcissement d’Emmanuel Macron, dénonçant une attitude «électoraliste».

Sputnik France a demandé à l’essayiste et spécialiste de l’immigration Jean-Paul Gourévitch, récemment contredit par le site CheckNews de Libération sur ses chiffres sur la réalité de l’immigration en France, ce qu’il pensait de la polémique. Entretien.

Sputnik France: Comment jugez-vous ce qui semble annoncer un revirement, du moins dans les mots, de la politique d’Emmanuel Macron concernant l’immigration?

Jean-Paul Gourévitch: «Je ne porterai pas de jugement global. Le débat qui aura lieu à l’Assemblée nationale semble se caler sur deux points que sont l’aide médicale d’État, qui est d’ailleurs confondue avec la Procédure étrangers malades, et d’autre part le problème du droit d’asile. Ce sont deux éléments de la politique migratoire mais il y en a beaucoup d’autres. Je pense aux mineurs non accompagnés, au suivi des étudiants, à l’accès à l’emploi des gens qu’on accueille etc.»

Sputnik France: Selon-vous, Emmanuel Macron ne s’attaque donc pas de front à la problématique de l’immigration?

Jean-Paul Gourévitch: «En tout cas le débat tel qu’il semble se lancer ne va porter que sur une petite partie du problème. En revanche, il s’agit de deux sujets importants. Il faut reconnaître que concernant l’aide médical d’État, c’est la première fois que le pouvoir accepte un débat sur ses coûts, ses dérives et sur le fait que cette procédure est confondue avec la Procédure étrangers malades qui n’est pas du tout la même chose.»

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Sputnik France: 64% des Français ont l'impression «qu'on ne se sent plus chez soi comme avant» en France. Comment l’expliquez-vous?

Jean-Paul Gourévitch: «Alors ça ce n’est pas nouveau. Depuis près de 10 ans, la proportion des Français considérant que les immigrés ne sont pas une chance pour la France est toujours aux alentours des deux tiers. Ce qui est relativement nouveau, c’est qu’à partir du moment où nous disposons de chiffres officiels, ceux de l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui expliquent qu’il y a 11% d’immigrés plus 12 à 14% d’enfants d’immigrés en descendance directe, cela signifie que près d’un quart des individus résidant en France ont un lien direct avec l’immigration. Et il faut noter que ces chiffres n’incluent pas les immigrés illégaux. Cela peut expliquer cette forme de rejet d’autant plus que dans certains départements ces immigrés et enfants d’immigrés sont aujourd’hui majoritaires.»

Sputnik France: Qui a raison? Ceux qui disent que l’invasion migratoire est un fantasme ou ceux qui pensent, au contraire, que c’est une réalité?

Jean-Paul Gourévitch: «Je n’ai pas pour habitude de distribuer les bons et les mauvais points. Mon travail consiste à lutter systématiquement contre la désinformation comme je l’ai fait dans mon ouvrage "Le grand remplacement réalité ou intox?" et de permettre à chacun de se faire sa propre opinion. Mais de le faire à partir de chiffres sourcés et documentés et non pas à partir d’idées toutes faites, d’estimations à la louche ou de fantasmes.»

Sputnik France: L’immigration s’accélère-t-elle en France?

Jean-Paul Gourévitch: «C’est totalement indiscutable. C’est la première fois que la proportion d’immigrés, c’est-à-dire de personnes nées à l’étranger, de parents étrangers a dépassé les 10% et c’est aussi la première fois que le solde naturel, c’est-à-dire le différentiel de fécondité entre les personnes descendantes de Français et les personnes descendantes d’immigrés est aussi important. Sur 758.000 naissances en 2018, nous avons eu 242.107 naissances de personnes d’origine étrangère si l’on considère qu’un enfant d’un couple mixte est d’origine étrangère à 100% et 183.772 si l’on considère que pour être d’origine étrangère, il faut que les deux parents soient étrangers.»

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Sputnik France: On sent beaucoup de tensions sur le sujet dans le parti d’Emmanuel Macron entre l’aile droite qui appuie ses propos et dans le même temps des «marcheurs» historiques de l’aile gauche comme le député Aurélien Taché qui s’apprête à recevoir Carola Rackete, la capitaine du Sea-Watch. Comment Emmanuel Macron doit-il jouer sa participation?

Jean-Paul Gourévitch: «Je ne souhaite pas m’engager sur le terrain politique. En revanche, il y a des tensions et il est clair que comme dans tout parti centriste, cette formation est tiraillée entre son aile gauche plutôt droit-de-l'hommiste et son aile droite qui souhaite plus de fermeté sur l’immigration.»

Sputnik France: Pensez-vous que l’immigration sera un enjeu majeur de l’élection présidentielle de 2022?

Jean-Paul Gourévitch: «Cela fait 10 ans que je le répète. Nous allons arriver à un stade où l’immigration sera de plus en plus un enjeu majeur de la présidentielle. Ce n’est pas le seul, nous avons vu monter les problèmes d’environnements. Sans vouloir schématiser, l’on pourrait presque dire que les préoccupations concernant l’environnement seront l’enjeu majeur pour une victoire de la gauche et les préoccupations sur l’immigration, l’enjeu majeur pour une victoire de la droite ou du centre droit.»

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