Procès de Maurice Kamto au Cameroun: «c’est un procès politique»

© AFP 2023 Marco LongariMaurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le 30 septembre 2018, Cameroun
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Le procès de Maurice Kamto s’ouvrira le 6 septembre prochain devant le tribunal militaire de Yaoundé. Si les avocats du principal opposant à Paul Biya contestent la légitimité de cette juridiction militaire, la cour d’appel de Yaoundé a rejeté leur appel. Maurice Kamto et ses partisans risquent la peine capitale. Décryptage.

La cour d’appel de Yaoundé a rejeté, jeudi 29 août dernier, la requête des avocats de l’opposant Maurice Kamto. Ceux-ci voulaient que cette juridiction déclare le tribunal militaire inapte à trancher dans une affaire qui concerne un civil. Mais la cour a estimé que le tribunal militaire, ayant déjà été saisi de l'affaire, ne pouvait pas être déclaré incompétent.

Interrogé par Sputnik, maître Emmanuel Simh, l’un des avocats de Maurice Kamto et de ses coaccusés, condamne la décision de ce qu’il appelle une «justice aux ordres».

«Nous n’avons pas été surpris par cette décision mais nous avons été très déçus, en tant qu’avocat comme en tant que défenseur du droit. Cette décision est un non-sens juridique parce que le Cameroun a ratifié des conventions internationales interdisant aux magistrats militaires de juger un civil. Il est incroyable que la cour d’appel nous ait déboutés ainsi en dépit de tous les arguments développés, de toutes les conclusions que nous avons déposées. Cela laisse penser que ces juges sont aux ordres et ne peuvent pas rendre une justice indépendante», regrette l’avocat au micro de Sputnik.

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Si les défenseurs de l’opposant contestent l’aptitude du tribunal militaire au motif que cette juridiction n’est pas compétente pour juger des civils dans cette affaire, le professeur Claude Abe, sociopolitologue camerounais, rappelle quelques précédents tout en questionnant cette démarche juridique :

«Le cas des membres du MRC (Mouvement pour la renaissance du Cameroun, parti de Maurice Kamto ndlr) et de leurs alliés ne constitue pas une première dans la mesure où des civils ont déjà fait l’objet d’interpellations de la part du tribunal militaire. Tout dépend de la qualification qui est faite du point de vue juridique de l’acte. Si la qualification renvoie aux compétences qui sont celles du tribunal militaire, je n’y vois pas d’objection. Mais si on reste dans la logique de ce qui a prévalu, à savoir que c’est uniquement la participation aux manifestations qui motive ce jugement au niveau du tribunal militaire, il y a quand même lieu de se poser des questions. Peut-être l’accusation dispose-t-elle d’un certain nombre d’informations qui échappent aux observateurs de la scène sociopolitique que nous sommes», analyse Claude Abe au micro de Sputnik.  

Arrêté le 28 janvier dernier, en même temps que certains cadres de son parti, à la suite de manifestations interdites par les autorités, le président du MRC et ancien ministre de Paul Biya, qui continue de revendiquer sa victoire à la dernière présidentielle, a été inculpé avec ces coaccusés pour «rébellion, insurrection, hostilité contre la patrie».

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Par conséquent, les charges retenues contre Maurice Kamto et ses coaccusés risquent fort, selon la plupart des observateurs, d’aboutir à une condamnation à la peine capitale. Une perspective que son avocat, Me Emmanuel Simh, condamne avec la dernière énergie, dénonçant une grave atteinte aux libertés et à la démocratie camerounaise: «Lorsque vous imaginez qu’un homme politique, déclaré deuxième à une élection présidentielle, se retrouve en prison simplement pour avoir manifesté publiquement et pacifiquement, cela démontre que notre pays n’est plus le pays de démocratie qu’il prétend être.»

«Nous sommes dans une dictature qui ne dit pas son nom, une dictature qui s’assume comme telle. Une dictature médiévale qui n’a plus honte d’un quelconque acte. Faire risquer la peine de mort à un homme politique qui revendique simplement des droits fondamentaux de manifester, de protester ? Ce pays est devenu une grande prison», s’insurge l’avocat de Maurice Kamto.

Pour les pro-Kamto, le procès qui s’ouvrira le 6 septembre prochain n’est ni plus ni moins qu’un règlement de compte politique, une volonté du pouvoir de Yaoundé de freiner l’action d’un parti qui a osé contester la victoire de Paul Biya.

«Nous n’avons pas le sentiment que la liberté de manifester, la liberté de parole et d’expression soient respectées. Nous avons affaire à des personnes qui estiment que nous devons nous taire, qui veulent une paix de cimetière où il n’y a pas de contestation. Tous ceux qui ont osé élever la voix sont en prison parce que comme vous pouvez l’imaginer, c’est le fait de contester la victoire de Paul Biya qui vaut à Maurice Kamto et à ses coaccusés  le sort qu’ils subissent aujourd’hui. Nous nous battrons jusqu’au bout pour que le monde entier se rende compte de ce que ce procès est un procès politique», poursuit Me Emmanuel Simh au micro de Sputnik.

Commentant l’issue probable du procès tant attendu, le professeur Claude Abe, estime que «tout dépendra du texte qui sera convoqué et de la qualification des actes qui aura été faite par les magistrats. S’il s’agit de pénalisation du terrorisme, ils risquent surement gros. Mais si c’est le Code pénal qui est convoqué, leur situation pourrait ne pas être si alarmante que cela». Cependant le sociopolitologue refuse d’y voir nécessairement un procès à caractère politique.

«Si, d’un côté, on définit la politique comme le fait d’agir ensemble pour une cause commune, la manifestation qui a emmené ces acteurs politiques à être interpellés est loin d’être véritablement un ‘agir-ensemble’. On parle de quelques individus qui ne constituaient pas une foule. Par ailleurs, la cause qui a été mise en avant ne renvoie pas à la communauté nationale: la question du hold-up électoral est une proclamation de la part de ces acteurs politiques, elle n’a pas été démontrée», constate Claude Abe au micro de Sputnik.

Alors que le tribunal militaire a déjà été déclaré compétent pour juger Maurice Kamto et ses coaccusés, les avocats de la défense et les accusés militent à présent pour un procès public car jusqu’ici, les procédures se sont déroulées à huis clos.

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Ils ont fait savoir, dans une correspondance adressée au président du tribunal militaire (PTM) de Yaoundé, qu’ils ne comparaîtraient pas si l’audience était fermée au grand public et à la presse. «Nous attachons le plus grand prix au libre accès du vrai public dans la salle d’audience durant toute la durée du procès, ainsi que l’autorisation d’accès à la salle d’audience des médias publics et privés, nationaux et internationaux»,ont-ils exigé.

«Sur le fond, il n’y a aucun élément probant qui puisse permettre que nos clients soient condamnés. Nous nous battrons sur le plan juridique jusqu’au bout», conclut Me Emmanuel Simh au micro de Sputnik.

Interdites par les autorités camerounaises depuis la proclamation des résultats contestés de la présidentielle d’octobre 2018, les marches de protestation organisées par le MRC au Cameroun et dans les pays occidentaux, où réside une forte diaspora camerounaise, n’ont pas cessé depuis.

Des manifestations qui ont conduit au Cameroun à l’arrestation et l’emprisonnement des centaines de partisans de Maurice Kamto. Le 6 septembre prochain, plusieurs dizaines de soutiens de l’opposant seront jugés en même temps que lui devant le tribunal militaire de Yaoundé.

 

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