Emmanuel Macron surfe depuis une semaine sur les louanges de la presse française, qui a encensé ses manœuvres diplomatiques lors du sommet du G7 à Biarritz. «Coup diplomatique», «coup d’éclat», les qualificatifs flatteurs ont fusé pour désigner l’invitation surprise du ministre des Affaires étrangères iranien, Javad Zarif, qui a rencontré Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères, puis Emmanuel Macron. Le Monde a même parlé de «coup de maître».
Emmanuel #Macron est peut être en train de réaliser un coup de maître dans la crise entre les #USA et l’#Iran. En attendant, un éventuel accord, l’#opposition risque d’avoir des boutons et de chercher à minorer son rôle ! La suite avec les prochains tweets de Donald #Trump...
— Mike Bresson 🇪🇺🇫🇷 #Macron2022 (@Mike_Bresson) August 25, 2019
Dans la foulée de cette réunion, le Président de la République a affiché son optimisme sur la possibilité de ramener les États-Unis et l’Iran à la table des négociations:
«On a pu obtenir un message positif sur les intentions, l’acceptabilité d’une rencontre, du côté américain comme du côté iranien, avec beaucoup de prudence à ce stade, mais avec le fait que, de part et d’autre, si une rencontre est utile dans le bon format, au bon moment, ils y sont prêts. Je crois que c’est très important. Donc, tout cela doit nous conduire quand même, à court terme, à de la désescalade, et je l’espère, à la préparation d’une solution utile», a expliqué Emmanuel Macron à la conférence de presse de clôture du G7.
Pourtant, les conditions d’une rencontre sont-elles réellement réunies? Si Trump et Rohani ont prudemment évoqué la possibilité de se rencontrer, ils ont tous les deux posé des conditions qui maintiennent une ambiguïté importante sur leurs intentions réelles. Dans un discours retransmis à la télévision d’État iranienne ce 27 août, le Président Rohani a lié toute possibilité de reprise des négociations à une levée préalable des sanctions américaines.
«Sans cette étape, le verrou ne sera pas débloqué», a souligné Hassan Rohani.
Iranian President Hassan Rouhani says on the possibility of meeting Trump: America must lift all sanctions on Iran, repent for its actions, and "bow down before the Iranian people"
— Ryan Saavedra (@RealSaavedra) August 29, 2019
Translation provided via @MEMRIReports pic.twitter.com/ggAsHyfmla
De son côté, Donald Trump avait jugé l’Accord sur le nucléaire comme le «pire accord jamais signé». Après la rupture de celui-ci, il avait en conséquence établi, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, une liste de douze conditions draconiennes préalables à la levée de sanctions, avant toutefois d’entrouvrir la porte à une rencontre sans condition préalable. Difficile donc de prédire si cette rencontre pourrait avoir lieu, tant les deux pays restent campés sur leurs positions. Quand on regarde de plus près les conditions des uns et des autres, difficile aussi d’imaginer quel camp serait susceptible de lâcher du lest en premier, ou même de faire le premier pas vers une rencontre. Seule la crainte –éventuellement partagée par Washington et Téhéran– d’une escalade des tensions aux conséquences catastrophiques pourrait pousser les parties au dialogue.
Sputnik France a donc tendu le micro à Hervé Ghannad, directeur de collection chez Ellipses et auteur de plusieurs ouvrages sur l’Iran, dont Identité et politique extérieure de l’Iran (Éd. Studyrama–Vocatis, 2013) afin de comprendre le rôle de la France dans cette possible rencontre et les enjeux liés à celle-ci.
Sputnik France: Même s’il est resté prudent, Emmanuel Macron s’est montré optimiste sur une possible reprise de contact entre l’Iran et les États-Unis à court ou moyen terme. Pourtant, les deux camps semblent camper sur leurs positions respectives. Avons-nous donc assisté à un coup de comm’ ou «coup de maître» diplomatique?
Hervé Ghannad: «Tout d’abord, il faut contextualiser. En 2015, il y a eu l’accord sur le nucléaire Iranien, duquel s’est retiré le Président Trump, qui a imposé un blocus économique sur l’Iran. En réponse à cela, l’Iran a mené une politique agressive, notamment dans le détroit d’Ormuz où passe 30% à 40% du commerce mondial de pétrole, ce qui a mené à une escalade des tensions. Il fallait donc trouver un moyen d’en arriver à la désescalade. Face à cela, il y avait deux stratégies possibles:
Celle de Donald Trump qui vise à être violent dans les sanctions et le discours, pour ensuite négocier et serrer la main, comme il l’a fait avec Kim Jung-Un. Cette stratégie est risquée, car elle peut potentiellement mener à un conflit, surtout avec des Iraniens qui ne semblent pas vouloir céder. Ensuite, il y a la politique des petits pas, à la Kissinger, appliquée par Macron, qui vise à faire revenir l’Iran dans la communauté internationale. Donc Macron a fait revenir le ministre des Affaires étrangères à Biarritz pour lui donner le sentiment d’être réintégré dans la communauté internationale. Avec la politique néoconservatrice de Trump, les Iraniens se sentent appartenant à un “axe du mal” et cela ne mène qu’à l’escalade. Je pense donc qu’il y a un objectif diplomatique d’Emmanuel Macron. De là à parler de “coup de maître”, je ne pense pas, mais il y a une volonté diplomatique d’apaiser les tensions tout de même.»
Sputnik France: Donald Trump a beaucoup de faucons (néoconservateurs) autour de lui à Washington, qui souhaitent une ligne très dure sur l’Iran. Pensez-vous Trump susceptible d’aller à l’encontre de cette ligne et vers la désescalade?
Hervé Ghannad: «Ce qui gouverne en ce moment, c’est l’idéologie, et celle-ci, d’où vient-elle? Au début des années 90, Samuel Huntington, néoconservateur, a publié un livre appelé “le choc des civilisations” qui explique que la civilisation judéo-chrétienne est menacée par la civilisation arabo-musulmane et la civilisation confucéenne. Après le 11 septembre, il y a eu d’une part une forme de contre-attaque contre la civilisation arabo-musulmane, dont l’Iran fait partie, et d’autre part, plus récemment, une guerre économique engagée contre la Chine. Voilà le contexte dans lequel se trouve Donald Trump, qui est orienté par cette idéologie néoconservatrice.
Néanmoins, il reste un pragmatique, un homme d’affaires, et l’Iran est un marché énorme, car toutes les entreprises étrangères sont parties à cause de l’extraterritorialité du droit américain. En fin de compte, il va y avoir une balance entre casser l’Iran d’un point de vue économique, quitte même à les bombarder, et les réintégrer dans la communauté économique afin d’ouvrir les marchés qui sont libres actuellement. Je me demande si le côté commerçant de Trump ne va pas prédominer au final sur l’idéologie néoconservatrice.»
Sputnik France: Pensez-vous vous que la stratégie de la «pression maximale» de Washington puisse faire craquer l’Iran à terme?
Hervé Ghannad: «Trump a mis en place cette pression en suivant la théorie des trois griefs: l’Arabie saoudite à un grief envers l’Iran dans le contexte de l’arc chiite contre l’arc sunnite. Israël à un très gros grief contre l’Iran du fait de la rhétorique agressive des gouvernements iraniens à son égard, et finalement les États-Unis, qui n’ont pas oublié la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran en 1979. Il y a donc une pression énorme sur l’îlot chiite iranien dans sa région.
Néanmoins, les Iraniens sont des Perses, une civilisation millénaire avec un fort sentiment nationaliste. Ils en ont bavé pendant la guerre Iran-Irak avec l’Occident contre eux et n’ont pas cédé. Je pense que c’est le même cas de figure ici, ce sont des roseaux: ils plient, mais ne cèdent pas. Alors jusqu’à quand? Difficile de le dire. Il se peut qu’un général isolé coule un navire occidental et qu’une guerre se déclenche, ce qui les mettrait dans une position très compliquée, mais pour le moment c’est un roseau qui ne cède pas.»
Sputnik France: L’exécutif en Iran semble potentiellement enclin à renouer le contact, mais ça ne semble pas être le cas de l’autorité religieuse. Rohani laisse présager à demi-mot qu’une rencontre est possible, mais a-t-il les leviers pour convaincre Khameini d’engager de réelles négociations dans le cadre d’une désescalade?
Hervé Ghannad: «L’Iran se veut être une République islamique, mais l’autorité décisionnaire finale, c’est ce que l’on appelle le gouvernement du juge, avec à sa tête Ali Khameini. Je pense donc que si Rohani a mandaté son ministre des Affaires étrangères pour se rendre en France, il devait y avoir validation de Khameini à un moment. Il y a trois camps en Iran: les religieux, les progressistes et une nouvelle bourgeoisie à la fois religieuse, mais aussi laïque, qui commence à avoir un poids sociologique. Je pense donc que Rohani et son ministre des Affaires étrangères tablent, à petits pas, sur les progressistes et cette petite bourgeoisie montante et jeune pour mettre la pression sur les autorités religieuses, afin de renouer un dialogue avec l’Occident. Je pense d’ailleurs que cela a été encouragé par Trump qui devait certainement être au courant.»
Sputnik France: Dans le cas d’une rencontre, qui serait susceptible de lâcher du lest en premier? S’ils n’arrivent pas à s’entendre, pensez-vous qu’une escalade de la violence soit envisageable?
Hervé Ghannad: «Je ne crois pas que c’est envisageable. Aucune des deux parties ne souhaite une crise majeure dans laquelle tout le monde serait perdant. Déjà, je soupçonne que des bulles économiques vont exploser au premier ou deuxième semestre 2020 et une crise au Moyen-Orient ne ferait qu’accélérer ce processus. Les risques sont tellement gros et les économies sont tellement imbriquées que je doute qu’il n’y ait pas de volonté d’apaiser les tensions, malgré les conflits idéologiques, et ce de part et d’autre. Je ne vois pas ceux qui sont sur une ligne dure l’emporter dans leurs camps respectifs et mener à la guerre. Il y a un possible effet domino lié à la guerre qui ne sert l’intérêt de personne, donc à mon avis, s’ils se rencontrent, c’est dans la logique de désamorcer les tensions.»