Des hauteurs d’Alger surplombant sa baie, le calme plat des week-ends d’été (vendredi et samedi en Algérie), ne reflète aucunement la ferveur populaire des manifestations que l’on perçoit à mesure que l’on s’approche du centre-ville. Ces manifestations anti-pouvoir, déclenchées le 22 février dernier, ont redonné vie aux avenues de la capitale à l’architecture haussmannienne. Car la période des vacances et les températures estivales, parfois caniculaires, n’ont pas réussi à venir à bout de ce Hirak, (mouvement, en arabe).
«Ce mouvement à l’ampleur sans précédent en a dérouté plus d’un par son prolongement dans la durée. Certains ont parié sur son essoufflement, notamment après la démission de l’ancien Président Abdelaziz Bouteflika et la campagne anticorruption menée contre les proches de l’ancien Président et de son frère.
Toutefois, bien que quantitativement, le nombre ait diminué à partir de la 17e semaine à cause, notamment, du renforcement du dispositif sécuritaire et des départs en vacances, qualitativement, les revendications se sont radicalisées au fil des semaines. Des revendications qui deviennent de plus en plus claires et homogènes», observe le politologue Dris Cherif au micro de Sputnik
En ce 23 août, ils rejetaient clairement le panel du dialogue et de médiation installé le 25 juillet dernier par le Président algérien par intérim, Abdelkader Ben Salah, notamment chargé de préparer les Présidentielles dans les délais les plus raisonnables.
« Nous assurons la permanence »
Drapeau algérien noué autour de leurs épaules ou de leur taille, un groupe de jeunes universitaires interrogés par Sputnik considère unanimement que
«Ce panel n’est qu’une autre tentative de diversion vouée à l’échec. Une manière d’occuper le peuple le temps d’installer le candidat du régime.»
L’un d’entre eux, Amin, diplômé au chômage, exprime son incompréhension quant au retrait ou au rejet de certaines personnalités réclamées par les manifestants dans ces appels au dialogue émis par le pouvoir.
«Ceux qui veulent dialoguer n’ont qu’à descendre dans la rue! Qu’ils répondent aux principales revendications exprimées chaque vendredi! Qu’ils libèrent les détenus d’opinion! Qu’ils dissolvent les partis issus du pouvoir et ceux de ce qui était appelé “Alliance présidentielle”! Qu’ils appliquent l’article 7 de la Constitution stipulant que le peuple est la source de tout pouvoir! Et nous dialoguerons ensuite», déclare avec passion ce jeune de 25 ans au micro de Sputnik.
«Les gens constatent que les initiatives proposées, notamment à travers la Conférence nationale de la société civile, tenue le 15 juin dernier et la Conférence nationale de Dialogue qui a eu lieu le 6 juillet, n’ont pas eu d’écho auprès des tenants du pouvoir, qui proposent à la place une commission servant à recycler les anciens du régime. Je crois que le pouvoir parie sur la réussite de la mission de ce panel pour la tenue des Présidentielles qu’il s’empresse d’organiser.
Les Algériens ne s’opposent pas en définitive aux Présidentielles, mais la conditionnent à une série de préalables, dont le changement de l’actuel gouvernement. L’organisation de ces élections dépendra donc de la réussite de la mission de ce panel, lequel sera à son tour assujetti en partie à la tournure que prendra la mobilisation citoyenne», argue-t-il.
La rue est bien consciente de son rôle historique, comme l’illustrent Amin et ses amis. Âgés de 24 à 26 ans, ces universitaires qui manifestent sans relâche depuis la première semaine estiment que le maintien de la mobilisation pacifique est le seul moyen de créer un État de Droit dirigé par des forces civiles. Ils sont convaincus que ces mobilisations reprendront en force avec la rentrée sociale. Pendant ce temps, eux sont en train «d’assurer la permanence!», plaisantent-ils.
«Je suis déterminé! Même si on arrivait à casser la mobilisation et que tout le monde rentrait chez lui, je continuerai, quant à moi, à descendre seul dans la rue», jure Amin au micro de Sputnik.
Comme lui, Sid Ahmed, 28 ans, ne manquerait pour rien au monde ce rituel hebdomadaire. Ce jeune Algérois, un haut-parleur à la main, pense que la volonté d’aller vite vers des élections présidentielles, telle qu’exprimée par le chef d’État-major, équivaudrait à assurer le maintien de ce régime, après un scrutin qui risquerait d’être sujet à des fraudes, notamment des gonflements des listes électorales.
«Dans ce cas de figure, les manifestants seront désignés comme une minorité, chose qui justifierait leur répression», s’est-il inquiété au micro de Sputnik.
Scrutins musicaux et micro-débats
Pour le politologue Dris Chérif, l’existence d’une loi interdisant les rassemblements dans la capitale sans l’autorisation des autorités locales pèse également comme une épée de Damoclès sur le mouvement. Cette loi a pourtant été bravée lors du surgissement populaire du 22 février dernier. Les Algérois semblent savourer ce renouement avec l’expression publique, à l’instar de groupes de jeunes positionnés çà et là avec leurs haut-parleurs, tambours, trompettes et autres instruments à percussion.
Ces animateurs de foule autoproclamés expriment leurs revendications par des chants, des vers et de la prose. Quant aux marcheurs, ils s’agglutinent en fonction de leurs opinions comme pour plébisciter un porte-voix plutôt qu’un autre. Ce scrutin musical de rue, aux mélodies connues ou inventées, permet de se faire une idée sur les orientations et les revendications les plus populaires parmi les manifestants.
Parmi ces groupes, figurent désormais celui, incontournable, de la Casbah (ville historique) et Bab El Oued (quartier de la façade maritime nord). Ses chants font souvent le tour du pays en moins de 48 heures sur les réseaux sociaux.
«Nous nous réunissons pendant la semaine pour nous entendre sur les slogans à adopter en fonction de l’actualité, mais d’autres naissent spontanément pendant la marche», explique son leader, Rabah, au micro de Sputnik.
Lorsque la foule devient moins compacte, des dizaines de micros-groupes de citoyens se composent spontanément pour échanger leurs visions. Certains prennent même la peine d’imprimer –à leurs frais– des milliers d’exemplaires de propositions qu’ils distribuent aux passants.
«L’organisation citoyenne est indispensable pour préparer les prochaines échéances. Nous devrions continuer à occuper les places publiques. C’est un acquis qu’on ne doit pas lâcher!», insiste au micro de Sputnik, Mohand, un sexagénaire qui se déclare militant citoyen.
Des secouristes toujours aux aguets
Comme lors des vendredis précédents, une armada de bénévoles veille au bien-être et à la santé des manifestants. Il s’agit des secouristes que l’on croise à chaque coin de rue. Portant des gilets orange, rouges ou ceux du Croissant rouge Algérien, ces bénévoles affirment qu’ils se maintiennent toujours en alerte en dépit de la réduction relative des interventions.
«La marche sous la chaleur provoque nombreux malaises, notamment chez des personnes souffrant d’hypertension ou d’hypoglycémie. Nous intervenons également pour des cas d’insolation, d’entorse ou d’autres petits bobos», déclare Fériel au micro de Sputnik, une agronome d’Alger, bénévole au Croissant rouge Algérien depuis plusieurs années.
En dépit de ces multiples tentatives de cadrer le mouvement et du foisonnement d’initiatives émanant des acteurs de l’opposition ou de la société civile, Dris Chérif estime que ce Hirak demeure en général peu organisé. La persistance et l’augmentation notable du nombre d’actions permettront-elles d’aboutir à l’éclosion d’une force plus structurée? L’avenir nous le dira.