Le 19 août, Gérald Darmanin, ministre français des Comptes publics, se trouvait au Panama, pays considéré comme un paradis fiscal par la France. Il a profité du voyage pour signer un accord avec les autorités panaméennes afin de renforcer la collaboration des deux pays dans la lutte contre l’évasion fiscale.
«Avec le ministre de l’Économie et des Finances du Panama, Hector Alexander, nous avons signé un mémorandum pour amener notre coopération en matière fiscale au niveau des standards internationaux», s’est réjoui Gérald Darmanin sur Twitter.
Concrètement, un groupe spécial bilatéral sera mis en place. Il se réunira deux fois par an afin de contribuer au «renforcement de la coopération franco-panaméenne» et à «améliorer l’échange d’informations à caractère fiscal».
L'évasion fiscale est un coup de poignard au pacte républicain, nous la combattons sans relâche.
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) August 20, 2019
👉 Nous avons signé un accord avec le #Panama pour amener notre coopération en matière fiscale au niveau des standards internationaux.
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«Il s’agit d’une actualisation de la précédente convention bilatérale, dite de non double-imposition, qui date de 2011. Ce type de texte vise à éviter aux personnes concernées d’être taxées à la fois au Panama et en France. En réalité, tout ceci a tourné en une convention de non-imposition tout court. Cela n’a pas fonctionné. Les Panama Papers n’étaient d’ailleurs qu’une institution parmi d’autres et pour le moment, 130 millions d’euros pourraient revenir dans les caisses de l’État français. Nous avons un système au départ qui n’a pas fonctionné et a été mis au jour par la révélation d’un lanceur d’alerte resté anonyme», explique Eric Alt, magistrat et vice-président de l’association Anticor.
Justement, c’est bien le scandale des Panama Papers qui avait valu à l’État centre-américain son retour dans la liste française des paradis fiscaux. En 2016, la fuite de millions de documents confidentiels du cabinet d’avocat panaméen Mossack Fonseca mettait dans l’embarras personnalités et anonymes en dévoilant des informations sur plus de 214.000 sociétés offshore, dont le but était l’évasion fiscale.
«Pour l’instant, nous allons travailler et lorsque nous aurons la relation de confiance entre les deux pays, lorsque les échanges automatiques d’informations [...] seront parfaits, alors effectivement nous étudierons la sortie [du Panama, ndlr] de la liste», a déclaré le ministre des Comptes publics.
La France reconnaît cependant «les efforts réalisés par le Panama en matière de mise en œuvre des normes du Forum mondial de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE)».
«Le Panama n’a pas vocation à rester dans le cercle fermé des pays non coopératifs, des paradis fiscaux. Il donne donc des gages à la France, mais il devra également continuer d’en donner sur le plan international, en particulier sur les informations bancaires relatives aux dépôts d’étrangers au Panama», analyse Éric Alt.
Le nouveau Président panaméen Laurentino Cortizo, qui est entré en fonction en juillet, s’est donné pour objectif de redorer l’image de son pays et 12 mois pour le sortir de la liste grise du Groupe international d’action financière (Gafi), qui regroupe les pays qui ne collaborent pas assez contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
En termes de coopération, il reste effectivement de la marge. Sur les 500 dossiers d’évasion fiscale révélés par les Panama Papers qui concernaient des ressortissants français, une cinquantaine ont déjà été étudiés par Bercy. Cependant, les demandes d’informations ont reçu des réponses «parfois incomplètes» de la part des autorités du Panama. En outre, «plus de 130 millions d’euros ont été demandés par le fisc français à des contribuables» concernant ces dossiers, selon Gérald Darmanin. Pour le reste, «les investigations sont en cours».
Afin de lutter plus efficacement contre l'évasion fiscale, nous allons créer un groupe spécial avec le #Panama pour :
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) August 20, 2019
👉 Renforcer la coopération franco-panaméenne
👉 Améliorer l'échange d'informations à caractère fiscal.
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Difficile de trouver des données fiables concernant l’ampleur de la fraude fiscale en France. D’après un rapport du syndicat Solidaires-Finances publiques dévoilé par Marianne en 2018, elle s’élèverait à 100 milliards d’euros. Comme le soulignent nos confrères du Figaro, «aucun organisme public n’a récemment évalué l’ampleur de la fraude fiscale en France». Raison pour laquelle le Premier ministre Édouard Philippe a donné pour mission à la Cour des comptes de faire un état des lieux. «Le moment est venu de dresser un bilan de l’ampleur de la fraude fiscale dans le pays et d’évaluer l’action des services de l’État et les outils qui sont mis en place», a écrit le locataire de Matignon dans sa lettre de mission envoyée à la Cour des comptes.
«Notre estimation se calque sur celle de Solidaires-Finances publiques, qui a produit un rapport très documenté sur le sujet et abouti à un montant de 100 milliards d’euros d’évasion et de fraude fiscale. Environ 20 milliards pour la fraude et 80 pour l’évasion et l’optimisation. Mais il est vrai –et c’est un problème– qu’il n’existe aucun chiffre officiel. La Cour des comptes donnera peut-être un chiffre différent quand son travail sera terminé», explique Éric Alt.
Certains réclament d’ores et déjà plus de moyens. Ugo Bernalicis, député La France insoumise, et son homologue de La République en Marche Jacques Maire ont en mars dernier rendu public un rapport d’information sur «l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière», dont fait partie la fraude fiscale. Selon eux, le parquet national financier, qui s’occupe notamment des cas de fraude fiscale les plus importants, est en sous-effectif et ses magistrats débordés par un trop grand nombre de dossiers. Une analyse partagée par Éric Alt:
«D’une façon générale, l’ensemble des institutions qui traitent des questions de délinquance financière sont saturées. C’est ce que dit ce rapport et ce que disait un référé de la Cour des comptes paru peu avant. Le parquet national financier et ses 18 magistrats est saturé, les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), qui traitent à la fois de criminalité organisée et financière, sont également saturées. Les services de police le sont aussi. Ils répètent assez souvent qu’ils n’ont pas les moyens de faire correctement leur travail. Il y a une vraie question de volonté politique sur ce terrain. Peut-être même une volonté politique de ne pas permettre à la justice et à la police d’aller trop loin en ce domaine.»
D’après Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE, la France fait figure de bon élève: «Au niveau mondial, la France est en pointe dans la lutte contre la fraude, elle y consacre des moyens, et c’est un sujet politiquement porteur. Il y a peu de pays dans lesquels le débat sur la fraude fiscale a une telle importance, au point de voir des manifestants écrire des slogans fiscaux sur les murs.»
Un point de vue que partage globalement Éric Alt, même s’il pense que la lutte contre la délinquance fiscale doit se faire au niveau global:
«C’est vrai qu’en comparaison d’autres pays, la France se comporte plutôt bien en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Ce n’est pas un paradis fiscal. En revanche, la France est insérée dans un système européen et mondial et elle doit parfois respecter ou subir un certain nombre de dispositifs qui permettent la fraude ou l’évasion, typiquement, la localisation des profits. Quand une entreprise décide de localiser ses profits dans un paradis fiscal, c’est difficile pour la France d’obtenir qu’une taxation puisse se faire dans l’Hexagone. Il faut être fort sur plan européen or, en Europe même, il existe des paradis fiscaux. S’il n’y a pas une politique cohérente au niveau mondial, au moins au niveau de l’OCDE, la volonté de la France ne suffit pas. C’est ce tableau qui rend les 100 milliards d’euros de fraude et d’optimisation possible, alors même que ce n’est pas dans la culture de l’État français de favoriser de telles pratiques.»
En 2018, les recettes issues du contrôle fiscal ont reculé en France pour la troisième année consécutive. Sur l’ensemble de l’année dernière, les droits et pénalités adressés aux contribuables se sont élevés à 15,2 milliards d’euros, hors effets du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), mis en place en 2013 pour favoriser la régularisation des évadés fiscaux. Cela représente 1,4 milliard de moins qu’en 2017 (16,6 milliards d’euros), et 1,8 milliard de moins qu’en 2016 (17 milliards d’euros).
Pour Bercy, cela s’explique par un renforcement des échanges d’informations entre pays qui rendent la fraude plus compliquée. Une pensée peut-être un peu trop optimiste pour Éric Alt:
«Il est certain que les dispositifs internationaux montent en puissance. Jusqu’à peu, il n’y avait que les États-Unis dans le cadre d’un dispositif qui se nomme FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) qui pesait clairement. L’OCDE a prévu des conventions qui concernent aujourd’hui les pays européens et d’autres pays industrialisés. Depuis 2018, cela se met en place. Il faut communiquer les informations. Ceci étant dit, est-ce que c’est à l’origine d’une baisse immédiate de la fraude fiscale en France? Je laisse à Bercy la possibilité de voir le verre à moitié plein.»