Lors des élections européennes de 2019, le Rassemblement national a obtenu des scores impressionnants dans certaines communes: 50,4% à Mailly-le-Camp, dans l’Aube, 50,3% à Sissonnes, dans l’Aisne, 45,5% à Suippes, dans la Marne. Le point commun de ces trois villes n’excédant pas 4.000 habitants? L’implantation d’unités de l’armée de terre.
Se basant sur ce postulat, Jérôme Fourquet de l’IFOP, auteur de l’ouvrage remarqué L’archipel français et Sylvain Manternarch de la Fondation Jean-Jaurès, ont publié lundi 15 juillet une étude sur les comportements électoraux des militaires, gendarmes compris. Le phénomène est connu, il est étudié régulièrement par des instituts de sondage, mais se confirme de plus en plus dans les urnes: les militaires votent en masse pour le Rassemblement national.
Le vote FN chez les militaires n’étonne plus
Un premier bond avait été observé pour les élections régionales de 2015, suffrage très particulier, puisqu’il s’est tenu un mois après les attentats terroristes du 13 novembre au Bataclan. Après un reflux observé pour le 1er tour de la Présidentielle, le vote des militaires pour le RN reprend du poil de la bête. Gilbert Collard, député européen RN, n’est pas surpris par ces scores qui se répètent depuis 2012:
«Ça me paraît tout à fait normal et cohérent que des gens qui sont prêts à risquer leur vie pour la patrie, aiment la patrie, que des policiers qui sont prêts à risquer leur vie pour la défense de l’ordre, aiment les défenseurs de l’ordre républicain […] C’est normal qu’ils se retrouvent dans un mouvement qui prône la lutte contre tout ce qui est terrorisme, criminalité, délinquance, violence, communautarisme, négation des idées de notre peuple. Il ne manquerait plus que ça, qu’ils se retrouvent dans l’anarchie!»
À l’instar du député RN, le général Dominique Trinquand n’est pas surpris par l’ampleur de ce vote chez les militaires:
«L’ordre, le patriotisme, la discipline sont des valeurs tenues par les armées et qui sont mises en avant par le parti de Marine Le Pen. Donc, qu’il y ait coïncidence entre les deux ne me paraît pas surprenant.»
Le facteur principal? La dégringolade de LR
Les autres partis politiques ne sont-ils plus les partis de l’ordre? L’étude avance deux facteurs pour expliquer la hausse de la cote du RN: la polémique entre Emmanuel Macron et le général de Villiers, puis l’effondrement du vote pour les Républicains. Depuis le 1er tour de l’élection présidentielle en 2017, les scores de LR ont perdu respectivement à Mailly-le-Camp, Sissonne et Suippes, 15,5, 10,9 et 8,4 points au profit du parti de Marine Le Pen. Le truculent député estime que la droite aux responsabilités, notamment durant le mandat de Nicolas Sarkozy, n’a pas tenu ses promesses. Elle en serait donc punie:
«L’électorat en a marre– excusez-moi l’expression– d’être cocu. Les Républicains disent, mais ne font pas. Chaque fois qu’ils peuvent, ils font élire des socialistes, ils font élire des gens de La République en Marche, ils se corrompent, ils n’ont aucune loyauté vis-à-vis de leurs idées, l’électorat s’en rend compte. C’est ça le problème pour LR maintenant, c’est qu’ils ne font jamais ce qu’ils disent, jamais.»
Et l’ancien avocat en rajoute une couche sur la «droite de gouvernement»:
«Ce sont des partis de la combine, combine politique, électorale. Ils sont prêts à céder devant la moindre menace. Ce sont des partis qui achètent la paix sociale. La paix sociale, on ne l’achète pas, on l’impose.»
Soit, mais qu’en est-il de LREM? Le parti de la majorité présidentielle, qui avait fait le plein d’électeurs pour les législatives, a conservé une position puissante aux élections européennes, mais surtout «dans les beaux quartiers» effrayés par les débordements des Gilets jaunes, pas tellement dans les casernes de gendarmerie, comme le souligne l’étude. Dans le bureau de vote n° 10 de Versailles-Satory, ne comprenant que des gendarmes, le vote LREM a gagné 3,7 points depuis la présidentielle, tandis que dans le bureau de vote n° 11ou les gendarmes ne sont «que» majoritaires, LREM a perdu 5,1 points. Peu suspect d’amitiés frontistes, le général Dominique Trinquand nuance l’ampleur du phénomène:
«Le parti Les Républicains s’est effondré, une partie de ses votants est partie vers le Rassemblement national, une autre est partie vers la République en Marche. Parce qu’en particulier lors de la crise des Gilets jaunes, naturellement la République en Marche, le parti du Président, représentait l’ordre. Donc il y a eu cet éclatement. Dans ce qui nous est présenté comme une étude sur le vote des militaires, les chiffres sont assez aléatoires. Je rappelle que les militaires bougent beaucoup de garnison et parfois, ne sont pas du tout inscrits dans la garnison où ils habitent.»
Une étude stigmatisante pour les militaires?
L’étude se penche ensuite sur les comportements électoraux similaires des gendarmes et des gardes républicains. Le camp de Versailles-Satory est très significatif de ces évolutions. Dans le bureau de vote n° 10, le score du Rassemblement national est de 38,6% aux dernières élections européennes, un chiffre qui reflue, malgré son importance. Marine Le Pen y avait fait 61,9% pour les régionales de 2015.
Comment expliquer ces scores chez les gendarmes? Les attaques terroristes, la politique sécuritaire du mandat Hollande, les faibles rémunérations ainsi les quelques polémiques comme la jungle de Calais ou la sanction contre l’ancien n° 3 de la gendarmerie, le général Bertrand Soubelet, coupable d’avoir tenu à l’Assemblée Nationale des propos sans concession sur la délinquance ordinaire. Sputnik a réussi à joindre l’ancien militaire, désormais vice-président du mouvement Objectif France, qui ne mâche pas ses mots sur la méthodologie de cette étude:
«Ce ciblage me paraît relever d’une démarche contestable, car c’est l’étude des scrutins dans les bureaux de vote des communes dans lesquelles sont stationnées des unités militaires. Je trouve cela malsain et contraire à l’esprit de la démocratie.»
Un peu plus et on se retrouvait dans l’affaire des fiches, énorme scandale du début du XXe siècle, durant lequel les loges maçonniques, commandées par le ministre de la Guerre, avaient fiché les militaires catholiques afin d’empêcher leur promotion.
Les conséquences du phénomène sur les élections
Le ministère des Armées dénombrait plus de 200.000 soldats en 2018. Leur poids dans les petites villes de garnison n’est plus à démontrer, mais reste toutefois très dilué dans les plus grandes communes. Le Rassemblement national peut-il faire basculer des cités telles que Marseille ou Nice, où il fait régulièrement de bons scores? En 2014, le FN remportait onze villes, dont Fréjus et Béziers. Gilbert Collard est confiant sur la capacité du parti de Marine Le Pen à attirer les Républicains déçus.
«Des communes peuvent basculer. Je pense surtout que beaucoup de Républicains vont nous rejoindre, parce qu’ils se rendent bien compte que leur électorat n’accepte plus ces trahisons électorales, quand on voit un maire républicain qui se faire élire grâce à des voix socialistes, qui après prétendument va combattre les socialistes, ou bien l’inverse. Tout ça, c’est de la magouille politique qui dégoûte les gens. Mieux vaut être battu sur ses idées qu’être élu sur les idées des autres.»
Le général Piquemal avait défrayé la chronique à Calais, lors d’une manifestation anti-migrants en 2016. Le général Tauzin avait lui, tenté de se présenter à l’élection présidentielle en 2017. Puis le général de Villiers, chef d’État-major des Armées, démissionnait avec fracas en 2017, suite à des désaccords budgétaires avec Emmanuel Macron. Le fantasme d’un putsch des généraux refait régulièrement surface. Pour le général Trinquand, il n’est pourtant pas d’actualité:
«Cette thèse n’est présentée que par des politiciens qui veulent mettre en valeur la capacité de renverser autrement que démocratiquement un gouvernement élu. Ça n’est pas du tout dans l’esprit des militaires. Les militaires sont des légalistes. 1961, c’est très loin quand même, et aujourd’hui pour reprendre les mots du général de Gaulle, il y a peut-être un quarteron de généraux à la retraite qui ont fait courir un bruit comme ça, des gens totalement inconnus au bataillon. Ça n’est vraiment pas la mentalité des militaires en tout cas.»