«On n’y est pas encore. Il y a effectivement une tentative de facilitation qui est mise en place par la confédération helvétique entre les deux parties que sont le gouvernement du Cameroun et un certain nombre d’acteurs des groupes armés et séparatistes, mais le dialogue ne pourra pas avoir lieu seulement sur la base de ces facilitations. Encore faut-il que les parties puissent être d’accord sur le cadre des négociation et sur la discussion politique», commente le politologue camerounais Mathias Eric Owona Nguini au micro de Sputnik.
Dans un communiqué rendu public le 27 juin, le Département fédéral des affaires étrangères suisse (DFAE) indique que le pays «a été mandaté par une majorité des parties pour faciliter un processus de négociation inclusif» dans la crise séparatiste qui secoue les régions anglophones du Cameroun et où les séparatistes armés revendiquent la création d’un État indépendant.
«Le DFAE s'emploie à trouver une solution pacifique et durable à la crise dans le nord-ouest et le sud-ouest du Cameroun, en collaboration avec le Centre pour le dialogue humanitaire [ONG basée à Genève, ndlr]», indique le document dont Sputnik a obtenu copie.
«C’est une démarche qui peut avoir du sens mais qui va se heurter à la matérialité de la situation. C’est-à-dire, le désaccord radical qui existe entre les parties prenantes, et ce désaccord a déjà commencé à se manifester au moment même du processus de facilitation. Parce que de manière notable les représentants des groupes armés insistent sur le fait que ce qu’ils veulent négocier, c’est la séparation. Je ne pense pas qu’on avancera beaucoup parce que le désaccord depuis le départ est un désaccord radical. C’est pour cela qu’il y a toujours eu un dialogue de sourds. Dans ces conditions, quel que soit le talent des médiateurs et des négociateurs les choses ne sont pas évidentes. Même s’il existe éventuellement des chances de réussite, elles sont en fait très limitées», estime Mathias Eric Owona Nguini.
Hilaire Kamga, expert des questions des droits de l’Homme et porte-parole du mouvement de la société civile Offre Orange croit, pour sa part, qu’il s’agit d’une étape déterminante vers l’ouverture d’un dialogue annoncé.
«Nous avions toujours suggéré, au niveau de la société civile camerounaise, qu’il fallait une médiation, et surtout un tiers parti, un tiers État, un médiateur international. La partie suisse peut ouvrir la porte à une médiation internationale, un médiateur indépendant, pour permettre de sortir de la crise politique et la crise sécuritaire qu’on a aujourd’hui au Cameroun. Nous sommes certains que la posture suisse est un début de processus qui va nous conduire vers cela je crois. Mais tout dépend de la volonté et de la prédisposition des autorités de Yaoundé. La question se pose sur les intentions du gouvernement de Monsieur Biya Paul, est-il vraiment disposé à discuter sincèrement?», s’interroge-t-il au micro de Sputnik.
«Qu'il ne peut pas y avoir en réalité de dialogue concluant dans une perspective où les groupes armés, qui sont la forme la plus radicale de l’autonomisme anglophone, maintiennent la volonté de constituer un État séparé du Cameroun. Tant qu’on est dans cette situation, les négociations n’aboutiront pas à la paix. Du côté du gouvernement, la démarche n’a pas changé en réalité, son souci est toujours de préserver l’intégrité du Cameroun. Encore faut-il qu’il puisse résoudre le problème des autonomistes qui veulent un État indépendant, c’est cela la racine de la discorde», commente Mathias Eric Owona Nguini au micro de Sputnik.
Pour Hilaire Kamga, militant des droits de l’Homme, la démarche peut être facilitée si les groupes armés présents à cette négociation accèdent à quelques-uns de leurs préalables.
«Il est évident que ça peut déboucher sur une décrispation de la situation parce que si les cinq mouvements séparatistes présents à la rencontre de la semaine dernière s’accordaient avec le gouvernement de Yaoundé sur un préalable qui permette d’ouvrir une véritable émulation, parce qu’il ne faut pas oublier que l’ensemble des protagonistes anglophones exigent avant toute négociation directe la libération des détenus parmi lesquels il y a un certain nombre de leaders. Donc nous croyons que les négociations à Genève vont proposer une feuille de route qui ouvre la voie à des négociations directes», espère Hilaire Kamga.
Si l’on s’interroge encore dans le pays sur l’issue possible de cette médiation entamée, les Nations unies ont salué cette démarche de la Suisse dans la recherche d’une solution à la crise dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun.
«Le secrétaire général apprécie l'annonce faite le 27 juin par le Département fédéral des affaires étrangères de la Suisse des efforts qu'il déploie pour faciliter la résolution de la crise dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun à travers un processus de dialogue», a indiqué le porte-parole du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans un communiqué, tout en réitérant la nécessité pour toutes les parties prenantes camerounaises de s’engager dans un dialogue politique inclusif et authentique afin de relever les défis auxquels le pays est confronté.
«Je suis ravi de savoir que les Suisses facilitent le dialogue. Nous encourageons toutes les parties à participer à ce processus de négociation inclusif pour instaurer la paix dans le pays», a écrit Tibor Nagy sur son compte Twitter.
I am delighted to know the Swiss are facilitating dialogue. We encourage all parties to participate in this inclusive negotiation process to bring peace to #Cameroon https://t.co/MmnV3Xr9rz
— Tibor Nagy (@AsstSecStateAF) 28 juin 2019
Si l’initiative suisse suscite de l’espoir dans les opinions nationale et internationale, Hilaire Kamga tient à rappeler que la fin de cette violente crise dépend en grande partie de Paul Biya.
«Pour l’instant, Monsieur Biya Paul est celui qui a les cartes en main. La crise peut s’arrêter si le Président prend la mesure de la situation et qu’il se déconnecte des faucons de son régime qui sont dans une logique va-t-en-guerre. Si le Président prend la mesure de la réalité du rapport de force sur le terrain, alors à ce moment on pourra envisager, dans un avenir proche, la fin de la crise. Cette fin de la crise est aussi conditionnée par un certain nombre de concessions parmi lesquelles, notamment, l’amnistie pour tous ceux qui ont pris les armes, et surtout la libération des leaders sécessionnistes qui sont encore dans des prisons à Yaoundé», conclut le militant des droits de l’Homme au micro de Sputnik.
Fin 2017, les séparatistes des régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État dénommé «Ambazonie». Les tensions actuelles ont commencé en novembre 2016 avec principalement les revendications des enseignants déplorant la nomination de francophones dans les régions anglophones et de juristes déplorant la suprématie du droit romain au détriment de la Common Law anglo-saxonne.
Selon l’ONG International Crisis group le conflit a déjà fait 1.850 morts (civils, militaires et miliciens) après 20 mois d’affrontements, avec à la clé 530.000 déplacés internes et 35.000 réfugiés au Nigeria voisin.