Paix et sécurité en Afrique pour les nuls…et les plus avertis

© AFP 2024 DAPHNE BENOITMali, opération Barkhane
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Paix et sécurité en Afrique est le dernier-né des MOOC francophone. Ses promoteurs expliquent à Sputnik que leur objectif est de démocratiser l’accès à ces questions qui sont « avant tout, un bien public, relevant de la citoyenneté de chacun. Il est donc indispensable que le plus grand nombre se fasse une opinion là-dessus»

On en connaissait, jusque-là, qui traitaient des sciences des données, des technologies de l’information, du développement personnel ou même qui proposaient le chinois aux faux-débutants.

Mais l’un des derniers-nés des MOOC francophones, ou «Cours en ligne ouvert à tous», a de quoi surprendre par le choix de sa thématique, dont la popularité n’a d’égal que son absence des plateformes académiques. Souvent cloisonné dans les enceintes des tables rondes, colloques et autres grands-messes qu’accueillent régulièrement les capitales africaines, et dont l’impact est controversé, la «Paix et sécurité en Afrique francophone», a été proposée par l’université Senghor d’Alexandrie, pour faire l’objet d’un MOOC.

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La formation, entièrement gratuite, est prévue pour débuter en septembre prochain, soit 7 ans exactement après le lancement du premier MOOC francophone, en septembre 2012, dédié, à l’époque, à «Internet, tout y est pour apprendre».

«L’idée vient de l’Université Senghor, et a pris naissance, en 2017, lors du Forum international de Dakar sur la paix et sécurité en Afrique. Le responsable pédagogique Alioune Dramé [également spécialiste international des questions de paix et de sécurité en Afrique francophone] m’avait alors sollicitée pour développer, en lien avec cet établissement universitaire, un curriculum de formations sur ces questions, dans le cadre d’un MOOC. J’ai tout de suite adhéré à l’idée et on a commencé à travailler sur l’identification des différentes thèmes et intervenants», a précisé à Sputnik Niagalé Bagayoko, présidente du Think Tank African Security Sector Network (ASSN), qui fait partie des partenaires de ce projet.

Présentés comme une révolution dans le monde de l’enseignement universitaire, les MOOC contribuent à façonner, depuis une dizaine d’années, le nouveau visage de la formation libre, professionnelle ou universitaire. Les cours s’étalant sur quelques semaines et proposés par des universités, notamment les plus prestigieuses, sont dispensés entièrement en ligne, avec possibilité d’interaction avec l’équipe pédagogique. Gratuite, la formation est souvent sanctionnée par l’obtention d’un certificat -facultatif- moyennant quelques dizaines d’euros, qui viendra parapher des CV «partageables», notamment, via les réseaux sociaux professionnels comme Linkedin.

Le MOOC «Paix et sécurité en Afrique francophone» fera l’objet, quant à lui, de 24 heures de cours, soit la durée moyenne d’une matière d’une unité d’enseignement (UE) semestrielle dispensée dans une université. S’étalant sur 7 semaines, il nécessitera «trois à quatre heures de travail par semaine», prévoient les organisateurs. Le matériel pédagogique sera constitué de capsules vidéos d’une vingtaine de minutes, d'interviews d'experts, de quizz pour aider à retenir les notions clés. Sans oublier les recommandations de lectures, pour approfondir les connaissances.

«Le MOOC permet d’acquérir des connaissances fondamentales mais aussi des savoir-faire, comme ceux liés, par exemple, à la gestion d’une crise, aux opérations de maintien de la paix (OMP) ou encore à la réforme des systèmes de sécurité (RSS), afin de doter la formation d’une dimension technique et professionnalisante pour renforcer une culture de la paix tenant compte des réalités africaines», peut-on notamment lire sur la page de présentation du cours.

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L’objectif, résume Niagalé Bagayoko, est de «concilier l’exigence académique, avec le souci de rendre cela accessible au plus grand nombre», et pour cause «les questions de paix et de sécurité sont avant tout, un bien public, une question qui relève de la citoyenneté de chacun. Il est donc indispensable que le plus grand nombre se fasse une opinion sur ces questions.».

«Alors que l’espace francophone africain est terrassé, aujourd’hui, par des violences et des crises, on s’est aperçu qu’il n’existe pas de cours spécifique traitant de ces questions et permettant un accès à des données en ligne, de façon synthétique. Il ne s’agit pas, pour nous, de traiter uniquement des crises sécuritaires, mais également des différents moyens développés pour y faire face. C’est d’autant plus nécessaire qu’on entend, aujourd’hui, de plus en plus de critiques, sur l’échec des processus de réforme des systèmes de sécurité (RSS), les faiblesses des moyens de gestion de crise, ou des limites d’instruments comme le Désarmement, Démobilisation et réinsertion (DDR)» poursuit Niagalé Bagayoko, qui dirige un think tank spécialisé sur les questions liées aux RSS.

«Un autre son de cloche sur une approche sécuritaire, lacunaire, au Sahel», c’est ce que dit, de fait, rechercher, à travers ce cours en ligne, le docteur Jean-Pierre Baptiste, représentant au Bénin de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Ce haut fonctionnaire international, de nationalité tchadienne, explique à Sputnik que ses motivations pour suivre ce MOOC sont, avant tout, personnelles.

«Je connais beaucoup le Tchad ainsi que toute la région du Sahel [Jean-Pierre Baptiste avait également officié en tant que représentant de l’OMS en Mauritanie, ndlr]. Je me sens de manière directe très concerné par le nombre de neveux et autres proches tués en combattant les djihadistes. Pour moi, la sécurité du Sahel est un enjeu majeur. Plus les années passent, plus on se rend compte que les approches mises en place ne sont pas les bonnes. La réponse militaire consistant à venir claquer des bombes, de temps en temps, sur la tête des gens avec les pertes civiles que cela peut entraîner, devrait être réajuster», plaide Jean-Pierre Baptiste qui s’exprime à Sputnik, à titre personnel, et non en sa qualité de représentant de l’OMS.

Jean-Pierre Baptiste tenait ses propos quelques jours à peine après que 3 civils, dont un adolescent, ont été tués dans la région de Tombouctou, au Mali, par un tir visant leur véhicule, jugé «suspect», et provenant d'un détachement de la force antiterroriste Barkhane, l’opération française au Sahel. Alors que l’escalade continue au Mali, les violences ne cessant de s’étendre à des zones jusque-là épargnées, les bévues deviennent de plus en plus fréquentes, de part et d’autre. En février dernier, des soldats du contingent allemand de la Minusma avaient été pris pour cible par erreur par l’armée malienne.

​«L’approche militaire ne cesse de nourrir le feu alors que les solutions doivent associer, de façon plus engagée, les questions de gouvernance, de démocratie et de développement. Dans des pays comme le Niger ou le Tchad, beaucoup de régions se sont historiquement insurgées contre le pouvoir central. Si on analyse, aujourd’hui, les causes de cette montée des extrémismes dans nos pays, les gens adhèrent aux thèses terroristes parce qu’ils n’ont aucune alternative, aucune porte de sortie: pas d’école, pas d’eau potable, pas de développement…», alerte Jean-Pierre Baptiste en regrettant que «la population du Sahel soit le parent pauvre de nos indépendances.»

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Ce haut-fonctionnaire convaincu que «l’architecture sécuritaire est intimement liée au développement », espère, à travers ce cours, «adoucir son point de vue sur l’approche sécuritaire». Niagalé Bagayoko qui considère elle-aussi le développement comme partie intégrante d’une approche sécuritaire globale, rappelle que les approches non-militaires sont également traitées par le MOOC. « Les mécanismes de prévention et de règlement pacifique des conflits en Afrique », constitue, en effet, un axe à part entière, pour faire face à «l’environnement sécuritaire en Afrique francophone, dont certaines zones sont gangrenées par les conflits, la violence et la criminalité».

Makhtar Hareck Beytoura, est un chercheur sénégalais, à l’université de Cheikh Anta Diop à Dakar. Comme Jean-Pierre Baptiste, c’est à travers les questions de développement qu’il en est venu à s’intéresser à ce MOOC. Dans quelques semaines, il devra soutenir sa thèse de doctorat, qui traite des systèmes africains de protection des droits humains. Il espère à travers ce cours pouvoir se rapprocher de son objectif professionnel.

«Je suis un passionné des questions de consolidation de la paix, qui sont indissociables du développement des État africains. La question se pose avec une acuité particulière pour nos États d’Afrique de l’Ouest, où on a assisté, ces dernières années, à l’émergence de nouvelles formes de radicalisme religieux. Si bien que la problématique de la sécurité a connu une mutation importante, qu’on ne peut plus réduire à la théorie du maintien de l’ordre. Je cherche, dès lors, à cerner tous les outils, les contours, de ces questions, et c’est ce qui m’a poussé vers ce MOOC. Mon ambition est de devenir un jour expert dans ces questions, pour apporter ma pierre à l’édifice, au sein de Think Tanks en Afrique ou ailleurs», résume ce doctorant sénégalais à Sputnik.

Une ambition légitime, approuve Niagalé Bagayoko, qui estime que le MOOC pourrait susciter des vocations, encourager les parties prenantes à travailler en réseau, ou encore, doter les journalistes d’instruments leur permettant d’approcher ces thématiques, souvent techniques, en connaissance de cause.

 

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