«What The Foot?!»: «Le football est un miroir de la condition de la femme dans le monde»

© Photo Johanna de Tessières/Collectif HUMATournoi interscolaire organisé à Ramallah pour les filles de 13 à 17 ans
Tournoi interscolaire organisé à Ramallah pour les filles de 13 à 17 ans - Sputnik Afrique
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Lancé par le collectif HUMA, le projet «What The Foot?!» fait découvrir en photos et en portraits, le parcours de footballeuses qui, aux quatre coins du monde, s’adonnent à leur passion contre vents et marées. Sputnik s’est entretenu avec Johanna de Tessières, photojournaliste, qui a participé au projet.

Comment rendre visibles les femmes dans le milieu du football? Sport le plus populaire au monde, avec 3.576 milliards de personnes qui ont suivi la coupe du monde 2018 (données FIFA). La moitié de la planète s’intéresse donc au moins ponctuellement au foot, mais les femmes restent les grandes absentes, mis à part dans les célèbres marronniers «découvrez les supportrices les plus sexy du stade».  

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En France, le nombre de footballeuses est en constante augmentation. En 2011, on dénombrait 78.000 joueuses contre 164.638 en 2018. Pourtant, les femmes ne représentent que 7% des 2,16 millions de licenciés. Une situation liée à un contexte historique; la pratique encadrée du football a été interdite entre 1932 et 1970 pour les femmes. Le manque de présence dans les médias, notamment sur les chaînes sportives, participe à l’invisibilisation des footballeuses. Selon une étude menée sur plusieurs semaines par l’association Les dégommeuses, la part du foot féminin ne représentait que 2% des pages consacrées au foot. En outre, les nombreux préjugés entourant les footballeuses peuvent en décourager certaines.

Si la situation en France paraît peu reluisante, l’égalité femme-homme y reste un idéal, mais qu’en est-il chez nos voisins et dans les pays les moins avancés sur cette question?

Le collectif belge de photojournalistes HUMA, qui réalise régulièrement des reportages en relation avec les domaines de l’insertion sociale, de l’aide humanitaire, l’éducation et les publics fragilisés, a tenté de répondre à celle-ci. Huma est donc allé à la rencontre de footballeuses en Europe, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud ou encore en Asie, qui, malgré les obstacles, s’adonnent à leur passion. Entre préjugés, déconsidérations ou sexisme, «What The Foot?!» parle de football, mais surtout de la condition féminine.

Johanna de Tessières, photojournaliste et membre du collectif Huma, qui a participé au projet «What The Foot?!», a partagé avec Sputnik France cette expérience inédite.

Sputnik France: «What The Foot?!» c’est quoi?

Johanna de Tessières: «What The Foot?!» documente la passion et l’engouement des femmes pour le foot, autant que les obstacles qui se dressent devant elles et les espoirs qu’elles nourrissent. De la Jordanie au Bénin, en passant par l’Inde, le Mexique et finalement la Belgique, nos reporteurs ont voulu donner la parole à celles qui dribblent les préjugés et prennent la société à contre-pied. Laure Derenne, Johanna de Tessières, Valentine Van Vyve, Virginie Nguyen, Sabine Verhest, Fréderic Pauwels et Olivier Papegnies ont pris part à cette aventure.

Pour réaliser ce projet ambitieux, il a fallu trouver les ressources financières nécessaires. Pour ce faire, on a lancé un crowdfunding et bénéficié du Fonds pour le journalisme en Belgique [qui vise à soutenir et promouvoir le journalisme d’investigation, ndlr]

Sputnik France: Pourquoi le collectif Huma a-t-il décidé de se lancer dans une telle aventure?

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Johanna de Tessières: «En tant que photojournalistes, on a toujours travaillé sur des thèmes extrêmement difficiles. J’ai notamment beaucoup travaillé sur le génocide des yézidis en Irak, sur le viol de masse des femmes au Kivu. Virginie Nguyen a travaillé sur les conséquences de la guerre à Gaza, Olivier Papegnies sur la bande armée Koglweogo au Burkina Faso et Frédéric Pauwels a dénoncé les conditions de travail des prostitués en Belgique.

On s’est dit qu’il serait intéressant de travailler sur le foot féminin pour plusieurs raisons. D’une part, on pourrait, pour une fois, parler d’un sujet qui est plutôt positif, même si ces footballeuses font face à de nombreuses barrières, c’est un sujet joyeux, car il est basé sur une passion. Et d’autre part, ce sujet est complètement dans l’air du temps. En effet, dans le football féminin, les choses évoluent et on souhaite faire partie de l’aventure. C’est aussi une magnifique porte d’entrée pour montrer la vie des femmes.

Je pense que si on a commencé ce travail lors de la dernière Coupe du monde féminine, je ne suis pas certaine qu’on aurait été bien entendu. Désormais, parler de la femme n’est plus un sujet ringard. J’ai l’impression que c’était très ringard il n’y a pas si longtemps. Peut-être que le phénomène #MeToo est passé par là et a permis que les messages des femmes soient pris au sérieux. Même si je pense que ce mouvement a complètement débordé.»

«La société est en train de se rendre compte que cette inégalité hommes/femmes est ridicule. Cette égalité est énorme, elle est absurde et elle n’a plus lieu d’être .D’autant plus, qu’actuellement en Europe on explique que les salaires hommes/femmes devraient être égaux. Dans le foot, on est encore très loin de cela.»

[À titre de comparaison, en 2016, la footballeuse la mieux payée au monde était la Brésilienne Marta avec un salaire annuel (hors contrat de sponsoring) de 346.000 euros. Le footballeur le mieux payé, l’Argentin Carlos Tevez, émargeait à 31 millions d’euros sur la même période, ndlr].

Sputnik France: Même si cela peut paraître anecdotique, les joueuses de l’équipe de France féminine, qui préparaient leur Coupe du monde, ont dû laisser leurs chambres à l’équipe de France masculine qui devait jouer un match amical. Selon vous, peut-on faire évoluer les mentalités et faire comprendre que le football féminin est lui aussi important?

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Johanna de Tessières: «J’ai le sentiment que ce genre de choses, de petites humiliations quotidiennes subies par les femmes qui jouent au foot ont toujours existé. Maintenant, la différence, c’est que ça choque et dérange, sinon l’information n’aurait pas été autant relayée. Selon moi, c’est bon signe, même si ce qui s’est passé est évidemment regrettable. Le fait qu’on en parle et que les gens se disent que ce n’est pas normal montre bien que les choses sont en train de bouger.»

Sputnik France: En parlant de mentalité, avez-vous constaté une évolution positive concernant les stéréotypes liés aux femmes qui jouent au foot?

Johanna de Tessières: «Quand on a commencé notre sujet, on a essayé de ne pas construire des stéréotypes en allant à la rencontre de ces femmes footballeuses. On a été surpris par les personnes qu’on a rencontré, parce qu’évidemment le stéréotype de la footballeuse c’est qu’elle est ultra masculine, que c’est un “garçon manqué”, ou simplement que c’est mal accepté.

J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet au Moyen-Orient, puisque j’ai été en Jordanie et en Palestine avec la journaliste Valentine Van Vyve. À Bruxelles, avec la journaliste Laure Derenne, on a travaillé sur le quartier de Molenbeek et sur la communauté musulmane qui joue au foot. Je me suis rendu compte qu’en réalité, c’était plutôt bien accepté, qu’on pouvait même jouer avec un voile et qu’il n’y avait pas aucun problème. En Jordanie et en Palestine, on a rencontré toute une génération de filles qui sont pionnières dans le foot. Ce sont des filles qui ont entre 25 et 30 ans, qui ont réussi à se faire un nom dans le foot, à prouver leur valeur et leur talent a été reconnu. Par ailleurs, elles ont par-dessus tout réussi à convaincre leur famille de les laisser jouer. Ces filles ont eu l’assentiment de leur famille et dorénavant elles sont en train de former la future génération, donc plein de petites filles qui ont aussi très envie de jouer au foot. La transmission est quelque chose de très importante pour ces femmes.»

«On a été très étonné de constater que le football féminin prend de l’ampleur partout dans le monde et dans toutes les cultures, aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique du Sud.»

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Sputnik France: Les esprits chagrins seraient tentés de dire que jouer au foot n’est pas une priorité dans certains pays, notamment à cause de la condition féminine, mais avec les témoignages que vous avez recueillis, que signifie la pratique du football pour ces femmes?

Johanna de Tessières: «Il y a des activités qui, de prime abord, peuvent paraître insignifiantes, mais qui sont en réalité très significatives. Si une femme désire jouer au foot, peut-elle le faire? Quels sont les moyens mis à sa disposition pour y parvenir? Évoquer ces questions, c’est parler de liberté, d’égalité, de démocratie et de confiance en soi. Ces notions sont primordiales pour les femmes. On peut donc légitimement parler de priorité.»

«Le football féminin est très intéressant car c’est en quelque sorte un miroir de la condition de la femme dans le monde.»

«Dans certains pays, la condition féminine est dramatique, on pourrait citer l’Inde où se sont rendues Sabine Verhest et Virginie Nguyen Hoang. Le fait que des petites filles puissent jouer au football en Inde est très important car cela va leur permettre de se regrouper, de prendre confiance en elles et d’acquérir ce qu’on appelle l’“empowerment”. Or, c’est très important dans un pays comme l’Inde où la femme n’est respectée et a très peu de pouvoir. La pratique du foot est donc essentielle, car c’est un outil d’émancipation pour ces femmes.»

Le projet «What The Foot?!» est exposé dans le métro à Rennes, dans la fan zone du forum des Halles à Paris et dans plusieurs villes françaises hôtes de la coupe du monde. Le projet sera également présenté à partir du 15 juin devant l’hôtel de ville de Décines à Lyon.

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