Une grande page d’histoire vient de se tourner au Canada, même si elle ne fait pas tout à fait l’unanimité dans l’opinion publique. Le 3 juin dernier, le rapport sur les femmes autochtones disparues et assassinées a enfin été déposé. Lors d’une grande cérémonie dans la ville de Gatineau, dans l’ouest du Québec, le Premier ministre Trudeau a présenté ses excuses aux Premières Nations. Le rapport de 1.200 pages s’inscrit dans la politique de réconciliation initiée par le gouvernement libéral. Une occasion pour Trudeau de redorer son image multiculturelle, après une fin de mandat difficile.
Pour aller de l’avant, il faut faire face aux vérités les plus dures. Et la dure vérité, c'est qu’on a laissé tomber les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, leurs familles, les survivants, et les personnes LGBTQ et bispirituelles. Ça n’arrivera plus. pic.twitter.com/LFAd0M1pQp
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) 3 juin 2019
«Les vérités relatées dans le cadre de ces audiences racontent l’histoire […] d’actes de génocide perpétrés à l’endroit de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA [issues des minorités sexuelles, ndlr] autochtones. La violence dénoncée tout au long de l’Enquête nationale représente une pratique sociale génocidaire, délibérée et raciale visant les peuples autochtones», peut-on lire dans l’introduction du rapport.
Mandatés en 2016 par Justin Trudeau, les commissaires concluent ainsi à un «génocide», un terme qui ne laisse personne indifférent. Intitulé «Réclamer notre pouvoir et notre place», le rapport est basé sur les témoignages de nombreuses femmes amérindiennes, recueillis un peu partout au pays. On peut y lire que l’État canadien encourage tacitement la violence contre les femmes des Premières Nations:
«On en revient à cette croyance inhérente au système colonial, soit l’assise même de notre État-nation canadien actuel, voulant que les femmes et les filles autochtones soient inférieures, déviantes, dysfonctionnelles, qu’elles doivent être éliminées de cet État-nation; ce faisant, il devient acceptable d’abuser d’elles et de les violenter», est-il écrit à la page 428.
«La Commission nationale a présenté son rapport final, ses recommandations et ses conclusions que la tragique violence dont les femmes et filles autochtones ont souffert représente un génocide. Nous avons accepté leur rapport et respectons leurs conclusions. […]
Les actes et les politiques des gouvernements depuis le tout début de notre histoire ont mené à l’extinction des langues, des cultures et des traditions autochtones. Notre travail maintenant, et le travail des autres gouvernements, est de développer un plan d’action national», a répondu à Sputnik Matthew Dillon-Leitch, directeur des communications du cabinet de la ministre Bennett.
Le rapport identifie quatre facteurs favorisant la violence faite aux femmes autochtones: un traumatisme historique, la marginalisation socioéconomique, le maintien du statu quo et «le refus de reconnaître la capacité d’agir et l’expertise des femmes et des personnes autochtones» issues des minorités sexuelles. Ces facteurs seraient tous liés au maintien du «système colonial». Les commissaires exhortent donc le gouvernement à démanteler ce système, lequel serait présent dans les lois, mais aussi dans la mentalité même des Canadiens d’origine européenne.
«Dans leurs descriptions des rencontres, les familles et les survivantes qui ont pris la parole dans le cadre de l’Enquête nationale ont toutes rattaché leurs expériences au colonialisme –sous sa forme historique et moderne– par l’un ou l’autre de quatre grands facteurs. Ceux-ci continuent de recréer les manifestations historiques et contemporaines du colonialisme d’une façon qui mène à une violence accrue», précise le document.
«Imputer au Canada un “plan génocidaire”, c’est tout simplement ridicule, hystérique. Une “fake news”, comme on dit aujourd’hui. Sauf évidemment si on admet que les mots n’ont plus de sens, qu’on en fait ce qu’on veut, que les mots, comme la vérité, ne soient qu’une pâte à modeler», a écrit l’éditorialiste Michel Hébert dans le Journal de Montréal.
La plupart des Canadiens reconnaissent la situation difficile des Autochtones, mais ce mot reste associé aux pires massacres de l’histoire, ce qui choque une partie de l’opinion publique. Le célèbre général Roméo Dallaire, connu pour son rôle d’observateur durant le génocide du Rwanda, a critiqué l’emploi du terme. Il faut préciser qu’aucune autorité n’a jamais donné l’ordre de s’en prendre aux populations autochtones. Au Canada, la violence faite aux femmes amérindiennes demeure un phénomène obscur. Pour cette raison, les commissaires n’ont pas réussi à faire toute la lumière sur les cas de disparition et de meurtres. Peu d’éclaircissements sont donnés sur ces crimes.