Il est plus facile de faire la guerre que la paix, disait Georges Clemenceau. Cette formule décrit bien l’attitude de Donald Trump face à ses partenaires commerciaux et voisins, le Mexique et le Canada, dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain. Alors qu’un nouvel accord final allait enfin être conclu, l’imprévisible dirigeant revient à la charge, cette fois-ci contre le Mexique.
Le 30 mai dernier, Trump a annoncé qu’il imposerait des taxes sur tous les produits importés du Mexique. Cette mesure viserait d’abord à forcer son homologue mexicain, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), à durcir sa politique envers les migrants clandestins. Trump espère établir un nouveau rapport de force entre le Président AMLO et lui.
«Les gens disent depuis des années que nous devrions parler au Mexique. Le problème est que le Mexique est un “abuseur” des États-Unis, en prenant, mais en ne donnant jamais. C’est ainsi depuis des décennies. Soit ils [les Mexicains, ndlr] arrêtent l’invasion de notre pays par les trafiquants de drogue […] soit nos nombreuses entreprises […] seront ramenées aux États-Unis par le biais de la fiscalité (tarifs). L’Amérique en a assez!», a tweeté le Président américain, refusant les appels au dialogue de son homologue de gauche.
People have been saying for years that we should talk to Mexico. The problem is that Mexico is an “abuser” of the United States, taking but never giving. It has been this way for decades. Either they stop the invasion of our Country by Drug Dealers, Cartels, Human Traffickers....
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) June 2, 2019
Donald Trump veut non seulement construire un mur à la frontière, mais aussi avoir son mot à dire sur la politique migratoire du Mexique, pourtant déjà durcie depuis ces derniers mois. Dans son propre pays, López Obrador est déjà critiqué pour s’être montré plus ferme envers les migrants originaires d’Amérique centrale (Honduras, Salvador, Nicaragua). Au cours des cinq premiers mois du gouvernement AMLO, le nombre de migrants expulsés aurait triplé, passant de 5.717 personnes en décembre 2018 à 14.970 en avril 2019, selon les données de l’Institut national de la migration. Trump estime tout de même que son homologue n’en fait pas assez:
«Mexico doit reprendre le contrôle de son pays des mains des barons de la drogue et des cartels. Les droits de douane vont arrêter les drogues aussi bien que les clandestins!», a-t-il aussi écrit sur Twitter.
Selon Hubert Rioux, chercheur à l’École nationale d’administration publique du Québec (ENAP), le prétexte des migrations cache en fait un programme de nationalisme économique. Spécialiste du commerce international, il livre son analyse à Sputnik:
«La justification des migrants est un écran de fumée. L’administration Trump sait très bien que le Mexique ne peut pas vraiment contrôler les flux migratoires d’Amérique latine. Ce que Trump veut, c’est forcer les motoristes américains à rapatrier leur production aux USA. Il n’a pas réussi à le faire par l’entremise du nouvel accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Il le fait donc par ces tarifs», a affirmé M. Rioux à Sputnik.
Ainsi, les tarifs viseraient surtout à protéger l’industrie automobile américaine. Chaque année, des milliers de voitures fabriquées au Mexique sont importées aux États-Unis. En 2018, le Mexique aurait vendu pour 93 milliards de dollars US de véhicules et de pièces aux États-Unis et au Canada. Pourtant, les constructeurs automobiles japonais –bien implantés au Mexique– ne seront pas les seuls touchés par ces mesures. Des constructeurs américains comme General Motors et Ford seront aussi affectés, cars ils possèdent des usines au sud de la frontière.
«Ces tarifs auront d’importantes répercussions négatives sur les chaînes de valeur nord-américaines dans l’industrie automobile. Cela défavorisera surtout les filiales américaines produisant au Mexique et réexportant vers les États-Unis», précise le chercheur.
Hubert Rioux est convaincu que la crise migratoire est secondaire dans cette affaire:
«À mon avis, Trump est insatisfait de l’ACEUM [le nouvel accord de libre-échange nord-américain, ndlr] en ce qui concerne le Mexique. […] Avec ces tarifs, il fait d’une pierre trois coups: mettre la pression sur le gouvernement mexicain sur la question migratoire (objectif secondaire), mettre la pression sur les producteurs américains pour qu’ils rapatrient leurs usines aux États-Unis (objectif principal), mettre en péril la ratification de l’ACEUM par le Mexique», a ajouté M. Rioux.
Ce développement inattendu survient peu après la paix commerciale conclue entre le Canada et les États-Unis. Tout récemment, Trump a annoncé qu’il allait lever les taxes sur l’importation d’acier et d’aluminium en provenance du Canada. Le Canada a aussitôt annoncé qu’il allait suspendre ses mesures de représailles.
Les migrants illégaux, un prétexte pour Trump?
Rappelons que 30% du PIB du Mexique dépend de ses exportations aux États-Unis. En 2018, le Mexique a exporté chez son voisin des produits représentant une valeur de 346 milliards de dollars US. Depuis longtemps, les États-Unis sont le principal partenaire commercial du Mexique, loin devant le Canada et les pays d’Amérique latine. À partir du 10 juin prochain, Washington imposera des tarifs douaniers de 5% sur les produits mexicains, une taxe qui pourrait atteindre 25%. Les mesures prises par Trump pourraient grandement affecter l’économie mexicaine, dont la croissance est déjà ralentie.
Malgré ces grands enjeux économiques, le sociologue Saúl Sánchez estime que Trump est insatisfait de la politique migratoire du Président AMLO. Selon ce professeur de l’Université de Guanajuato au Mexique, Trump aimerait que López Obrador bloque davantage de migrants à la frontière avec le Guatemala.
«Trump pense que la politique migratoire de López Obrador devrait se focaliser sur la sécurisation de la frontière. Il n’aime pas l’idée du Président AMLO d’un plan de développement pour l’Amérique centrale. Pour Trump, cela ne suffit pas. AMLO croit que l’origine des migrations est une mauvaise situation socioéconomique. Trump voudrait simplement freiner l’immigration illégale par la force, sans s’attaquer à la cause du phénomène», a-t-il affirmé à Sputnik.
Dans l’adversité, Andrés Manuel López Obrador continue de jouer la carte du dialogue, souhaitant manifestement calmer les ardeurs du Président Trump.
«Le gouvernement mexicain est un ami du gouvernement des États-Unis. Le Président du Mexique veut rester un ami du Président Trump. Nous, mexicains, sommes des amis du peuple américain. […] Espérons que rien ni personne ne sépare notre belle et sacrée amitié», a tweeté López Obrador le 2 juin dernier.