Il est 21 h le jeudi 30 mai. Alors que les pompiers ont été appelés afin d’intervenir à Nanterre pour éteindre l’incendie d’un générateur électrique de chantier, ces derniers sont accueillis par un groupe de jeunes agressifs, qui les attaquent à coups de pierres, relate Le Parisien. Cette fois, il n’y aura pas de blessés. Mais ce genre de guet-apens a tendance à dangereusement se multiplier ces dernières années. En décembre dernier, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) informait qu’entre 2008 et 2017, les agressions contre les pompiers avaient triplé (+213%) pour atteindre le chiffre de 2.813 attaques. En 2016, elles étaient de 2.280 ce qui représentait déjà une augmentation de 17,6% par rapport à l’année précédente.
En 2008 : 899 agressions contre les pompiers recensées
— Tancrède ن (@Tancrede_Crptrs) 19 décembre 2018
En 2017 : 2813 agressions contre les pompiers recensées
Oui il s'agit bien d'une hausse de ... 213% en 9 ans !!!
L'insécurité croissante pour les français, les secours, ..., est toujours un mythe et une invention ? pic.twitter.com/6RR03Av2xD
Devant cette situation intenable, le sénateur Patrick Kanner a été désigné pour copiloter une mission d’information sur la sécurité des pompiers. «Ils sont de plus en plus souvent insultés, caillassés, agressés. Quel paradoxe alors qu’ils comptent parmi les professionnels les plus appréciés des Français, et pas seulement des enfants! Ils n’interviennent que pour sauver les gens», dénonçait en mars dernier le parlementaire, dans des propos cités par le JDD.
Sputnik France a donné la parole à Rémy Chabbouh, pompier dans le Rhône et secrétaire général du syndicat Sud Solidaires SPP. Avec lui, nous avons tenté de faire un point sur la situation, sur les mesures prises et surtout sur celles à prendre. Entretien.
Sputnik France: Des pompiers récemment caillassés au Petit-Nanterre, 18 agressions depuis le début de l’année contre les pompiers du Vaucluse, sans parler des guets-apens dont ont été victimes les sapeurs-pompiers de Toulouse et de Miramas courant mai. Vous aviez tiré la sonnette d’alarme à notre micro l’année dernière. Il semble que la situation ne se soit pas améliorée, voire qu’elle se soit encore détériorée…
Rémy Chabbouh: «Oui. Et encore, les cas que vous citez sont ceux signalés à la presse. Ils n’incluent pas les agressions qui n’ont pas entraîné de dépôt de plainte de la part des pompiers. Je peux vous dire qu’il y a eu des cas assez graves récemment dans la banlieue lyonnaise, avec des guets-apens, qui n’ont pas entraîné de poursuites. Nous en sommes arrivés à un point où les sapeurs-pompiers ont tellement l’habitude d’être agressés qu’ils préfèrent parfois laisser courir. La routine de la violence est devenue un anesthésiant.»
Sputnik France: Vous aviez accueilli avec enthousiasme l’adoption en juillet 2018 d’une loi autorisant les pompiers à filmer leurs interventions. Quel est le bilan après plusieurs mois d’expérimentation?
Rémy Chabbouh: «Notre organisation avait joué le rôle de moteur afin que les pompiers obtiennent ce droit. C’était incongru que ce ne soit pas le cas. Je rappelle que nous sommes filmés en permanence sur nos interventions, notamment par des témoins équipés de smartphones. Nos collègues policiers, qui utilisent ce type de dispositif depuis des années, ont fait part à plusieurs reprises de son efficacité. C’est dissuasif. Une fois la caméra en route, les discours deviennent tout de suite plus policés. Il y a moins d’agressivité. Mais ce qui était voulu en premier lieu concernait l’apport de la preuve. La parole d’un pompier ne vaut pas plus que celle d’un autre citoyen et quand il est agressé, c’est à lui que revient la charge d’en apporter la preuve. La vidéo permet de le faire plus facilement.»
Sputnik France: Les caméras individuelles ont donc amélioré le quotidien des pompiers?
Rémy Chabbouh: «Il y a un hic. Bien que les textes de loi soient effectifs, seuls quelques départements sont équipés actuellement, je pense notamment à la Haute-Savoie. C’est trop peu pour faire une réelle différence. Nous sommes vraiment dans l’attente d’un équipement à plus grande échelle.»
Sputnik France: En Haute-Garonne, plusieurs stagiaires pompiers ont bénéficié en mai d’une formation visant à prévenir les agressions. Comment jugez-vous cette initiative?
Rémy Chabbouh: «Encore une fois, sans vouloir nous jeter des fleurs, notre syndicat était à l’origine de ces formations, dont les premières ont été dispensées dans le département du Rhône. Nous accueillons ces initiatives de manière très positive. Principalement, car cela permet aux pompiers de gérer une nouvelle forme d’agression, qui était très rare auparavant et qui a tendance à se multiplier: les attaques par les victimes et leur entourage. Ces 20 dernières années, la majorité des agressions concernaient des guets-apens dans les quartiers sensibles ou en milieu urbain. Depuis quatre ou cinq ans, nous avons remarqué de plus en plus d’agressions par les victimes et leurs proches. Grâce à ces formations, les jeunes pompiers sont mieux aptes à gérer ces situations nouvelles dans le métier.»
Sputnik France: Concrètement, qu’apprennent les pompiers qui participent à ces formations?
Rémy Chabbouh: «Par exemple, ils se préparent à approcher un appartement dans lequel se déroulerait une rixe familiale. Les pompiers interviennent parfois pour porter secours à une femme victime des coups de son compagnon et qui se retrouve à agresser les collègues, car elle défend son bourreau. Lors des formations, interviennent psychologues et policiers qui nous apprennent à faire face à ce genre de situation en adoptant certaines postures, certaines manières d’accéder aux logements, certaines paroles à prononcer, etc. C’est important, car ce type d’intervention se multiplie avec parfois des agressions très graves, à l’arme blanche par exemple. Nous ne l’avons pas vu venir. Quand l’on intervient dans le cadre d’un secours aux victimes, nous ne nous attendons pas à nous faire attaquer comme cela peut-être le cas lors d’une intervention pour éteindre un incident de poubelles ou de véhicules sur la voie publique. Cela fait 29 ans que je suis pompier et j’ai vu dériver les choses. Nous sommes passés de simples remarques et violences verbales à des agressions physiques, voire des tentatives de meurtre.»
Sputnik France: Toujours en Haute-Garonne, le conseil départemental lance à partir du 12 juin une campagne d’affichage pour dire merci aux pompiers. Elle s’affichera notamment sur les abribus du département. Que pensez-vous de cette décision et que veut-elle dire de l’atmosphère qui règne dans le pays? A-t-on besoin de rappeler à la population l’utilité des pompiers?
Rémy Chabbouh: «à titre personnel, je salue toutes les initiatives qui visent à faire avancer la cause. Cependant, je pense que le problème se situe réellement au niveau de la réponse pénale. Cette campagne de communication a bien compris qu’il s’agissait d’un problème de mentalités et que l’on pouvait faire évoluer les choses. Mais on ne s’attaque au cœur du problème. Le message qui doit être envoyé est le suivant: la peur doit changer de camp. Celui qui s’en prend à un sapeur-pompier, qu’il s’agisse d’une injure ou de violence physique, doit être sévèrement puni. Nous parlons d’amendes élevées et de prison ferme. Aujourd’hui, la réponse pénale est totalement inadaptée. Entre la parole et les actes, un monde subsiste. Tout le monde est d’accord pour protéger les pompiers, mais il n’est pas rare que lorsqu’un agresseur se retrouve devant la justice, il s’en sorte avec un rappel à la loi ou une amende symbolique. C’est incompréhensible. Donc bravo au conseil départemental de Haute-Garonne pour sensibiliser la population, mais on ne peut se reposer sur la seule prévention. S’il y a autant d’agressions de pompiers aujourd’hui dans ce pays, c’est à cause du laxisme de la justice. Et d’ailleurs, cela concerne également les infirmières ou les enseignants. Même chose pour les policiers qui, selon moi, relèvent d’une autre problématique.»
Sputnik France: Le JDD annonçait en mars dernier que le parlementaire socialiste Patrick Kanner s’apprêtait à copiloter une mission d’information sénatoriale sur la sécurité des pompiers. Qu’en attendez-vous?
Rémy Chabbouh: «Tout d’abord, je tiens à saluer que les intentions sont bonnes. Cela étant dit, premièrement, il faut demander leur avis aux sapeurs-pompiers et arrêter de s’adresser à des associations loi 1901 pour parler du quotidien de notre métier. Aux élus qui s’intéressent à nous je dis, de manière triviale: “Quand on parle au charcutier, ce n’est pas à la saucisse de répondre.” C’est aux représentants des pompiers qu’il faut s’adresser. Ils sont à même d’expliquer la réalité de leur profession. J’ai également remarqué que la condition des sapeurs-pompiers intéresse souvent en pleine période électorale. Nous l’avons encore vu avec les Européennes. J’espère qu’il ne faudra pas attendre les municipales en 2020 pour que l’on se penche à nouveau sur notre cas. Finalement, afin d’agir, il est nécessaire que les autorités aient conscience qu’il existe des sapeurs-pompiers professionnels, volontaires et militaires dans ce pays et qu’ils ne font pas face aux mêmes problématiques. Le pompier volontaire, même s’il exerce parfois en milieu urbain, évolue surtout en milieu rural et n’est pas confronté aux mêmes défis que ses collègues des villes. Ce n’est absolument pas péjoratif pour les pompiers volontaires, qui représentent le gros des troupes et sont essentiels. Reste que si les parlementaires s’adressent à des associations de pompiers volontaires, ils auront un son de cloche qui ne correspondra pas à la réalité vécue par de nombreux pompiers professionnels et militaires. Des pompiers du Larzac ne vous raconteront pas les agressions que subissent leurs collègues de Paris, de Marseille ou de Lyon.»