«En 48h, deux sapeurs-pompiers ont fait l'objet de deux agressions violentes d'une extrême lâcheté, alors qu'ils portaient secours et notamment sur Béziers, où ils venaient de prendre en charge une femme gravement blessée suite à une défenestration. Je condamne avec la plus grande fermeté ces agressions gratuites sur nos vaillants pompiers qui tous les jours risquent leur vie pour sauver des vies et qui sont intolérables et inacceptables dans une société comme la nôtre.»
Ce coup de gueule est l'œuvre de Kléber Mesquida, président du département de l'Hérault. Il l'a poussé à la suite d'un week-end du 4 août très chargé pour les pompiers de la région. De par sa position, il est également à la tête du Service départemental d'incendie et de secours. Il en a appelé «aux différentes autorités compétentes en matière de sécurité publique, de la justice mais également aux civismes des citoyens, pour que les sapeurs-pompiers de l'Hérault puissent mener les missions de secours dans des conditions optimales».
Ce type d'attaque n'est pas inhérent au département héraultais. Les sapeurs-pompiers, qu'ils soient professionnels ou volontaires, sont de plus en plus victimes de violences à travers le pays. Dans un rapport publié en 2017, l'Observatoire nationale de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a recensé 2.280 sapeurs-pompiers agressés au cours d'une intervention en 2016. Une augmentation de 17,6% par rapport à l'année précédente. Et ces chiffres ne concernent que les agressions déclarées.
[#TouchePasàMonPompier] Amicales, unions, SDIS, et au delà de la communauté des #pompiers, faites comme les présidents d'unions, saisissez l'occasion d'affirmer avec 😉humour votre refus de tolérer les violences envers les pompiers➡️postez une 📸photo + #TouchePasàMonPompier pic.twitter.com/4DSnK1Dq6r
— Pompiers de France (@PompiersFR) 26 января 2018 г.
Plus que leur nombre, c'est la nature de ces attaques qui inquiète Rémy Chabbouh, secrétaire général du syndicat Sud Solidaires SPP. Contacté par Sputnik France, il voit la zone des agressions s'étendre:
«Le profil des attaques est en évolution. On avait l'habitude des guets-apens en zones urbaines sensibles avec feux de poubelles et jets de projectiles. Maintenant, on constate des agressions au sein même des grandes agglomérations, notamment en centre-ville.»
Et celles-ci sont de plus en plus violentes. D'après les chiffres de l'ONDRP, les agressions dont ont été victimes les pompiers en 2016 ont donné lieu à 1.613 journées d'arrêt de travail contre 1.185 l'année précédente. Une augmentation de… 36,1%.
«Cela fait 28 ans que je suis sapeur-pompier et j'ai vu la situation évoluer vers le pire. Tout a commencé par des injures qui se sont transformées en menaces et maintenant on est passé sur des agressions voir des tentatives de meurtre», confie le syndicaliste.
Autre phénomène inquiétant: les victimes qui se muent en agresseurs. Rémy Chabbouh note «de plus en plus de cas»:
«Aujourd'hui, le danger vient souvent des victimes elles-mêmes. Ce sont les gens pour qui nous intervenons ou leur famille qui s'en prennent à nous. Les motifs vont de "vous avez mis trop longtemps", à "je ne veux pas aller dans cet hôpital".»
Les pompiers seront autorisés à filmer durant leurs interventions
Ces agressions sont d'autant plus graves qu'elles mettent la vie des victimes en danger en rallongeant les délais d'intervention comme le rappelle Rémy Chabbouh:
«Quand l'acheminement des secours est entravé par des guets-apens, cela met en danger les victimes. De plus, depuis le début de l'année, nous sommes parfois obligés d'être encadrés par la police pour intervenir dans certains quartiers. Quand les pompiers se font caillassés à plusieurs reprises dans une même soirée au sein d'une même zone, ils sont obligés, pour leur sécurité, d'attendre les services de police afin d'intervenir. Cela retarde l'arrivée des secours et peut mettre des vies en danger. C'est triste mais on en est là.»
Il demande à la justice plus de sévérité et parle d'«impunité»:
«Si la situation est ce qu'elle est, c'est à cause de l'impunité dont jouissent les agresseurs vis-à-vis de la justice depuis des années. Dans beaucoup de cas, quand on arrive à avoir une sanction, elle consiste en un simple rappel à la loi ou en une invitation à passer une journée dans une caserne. C'est dérisoire.»
Il souligne, à l'instar de plusieurs de ses collègues policiers, que les peines pour les actes de violence contre certains corps de métiers doivent être d'une sévérité exemplaire:
«On demande que les peines pour les agressions contre les pompiers, policiers, médecins, le personnel hospitalier ou encore les instituteurs soient exemplaires dès la première infraction afin d'envoyer un message fort. Or, c'est l'inverse qui s'est produit ces dernières années. C'était "on t'a prévenu une fois, deux fois, trois fois, quatre fois". On a souvent affaire à des multirécidivistes.»
Le sapeur-pompier note tout de même une «amélioration depuis le début de l'année»: «On voit plus de comparutions immédiates et des condamnations plus sévères. Mais ce n'est toujours pas suffisant.»
«Nous étions très demandeurs. Nous avons même mené une intense campagne de lobbying auprès de députés et de sénateurs pour qu'ils appuient ce projet de loi», explique Rémy Chabbouh.
La loi a fixé certaines limites à l'utilisation de ces caméras. L'enregistrement ne devra pas avoir lieu durant l'intégralité de l'intervention et il ne pourra être activé s'il est susceptible de trahir le secret médical.
Les pompiers bénéficient d'un délai de trois ans pour expérimenter le dispositif avant qu'un rapport n'évalue son efficacité.
Rémy Chabbouh n'a aucun doute sur les conclusions qu'il tirera. Un récent rapport d'évaluation fait auprès des policiers municipaux a déduit que «le port des caméras individuelles a permis de réduire l'agressivité des particuliers» et «les infractions d'outrage à agents». Toujours d'après le document, plusieurs agresseurs ont pu être identifiés dans le cadre de poursuites judiciaires.
«Cette caméra a des avantages. Elle a un effet dissuasif du fait qu'elle soit visible. En général, les gens ont un discours plus apaisé quand ils voient qu'elle est en route. Deuxièmement, vu que la charge de la preuve incombe au plaignant et qu'au niveau de la justice, la parole du plus honnête des sapeurs-pompiers vaut autant que celle du dernier des délinquants, le fait d'enregistrer l'agression facilitera la tâche des juges», analyse le syndicaliste.
Il veut aller plus loin. Il demande l'anonymisation des plaintes afin d'éviter les représailles:
«On milite également pour l'anonymisation des dépôts de plainte par les sapeurs-pompiers, qui ont tendance à baisser depuis peu. C'est dû en partie à la lassitude par rapport aux agressions mais aussi aux risques de représailles. Les sapeurs-pompiers qui vivent à proximité des lieux où ils interviennent peuvent se retrouver, en dehors de leurs heures de travail, nez-à-nez avec un agresseur contre lequel ils ont porté plainte la veille.»