Au Sénégal, la filière lait cherche à faire recette auprès du consommateur local

© Sputnik . Coumba SyllaUn stand d’exposition-vente à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.
Un stand d’exposition-vente à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019. - Sputnik Afrique
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Le Sénégal produit du lait grâce à un important cheptel mais consomme surtout du lait en poudre, importé d'Europe. Pour favoriser la production locale, des acteurs de la filière se battent, en interne et à l'occasion d'une campagne internationale appelée «Mon lait est local», fédérant des organisations d'éleveurs de six pays africains. Reportage.

Marie Sarr et Coura Soumaré sont venues à Dakar avec des produits laitiers issus de leurs fromageries de la région de Fatick (centre du Sénégal), qu'elles exposent fièrement sur leur stand place de la Nation, à l'occasion de la Journée mondiale du lait, célébrée chaque 1er juin depuis 2000. Coura Soumaré vient de la ville de Foundiougne et Marie Sarr du village de Sapp. Toutes deux sont membres de groupements rassemblés au sein de l'Association régionale des éleveurs caprins de Fatick (ARECAF).

© Sputnik . Coumba SyllaUn stand d’exposition-vente à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.
Un stand d’exposition-vente à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019. - Sputnik Afrique
Un stand d’exposition-vente à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.

Sur une table couverte d'une nappe blanche, elles proposent du yaourt et du lait caillé en pot ou en bouteille, du fromage de chèvre et du savon artisanal, «mais ça, ce n'est pas à base du lait dè! ["dè", onomatopée exclamative sénégalaise signifiant "hein", ndlr]», précise Marie Sarr à Sputnik. «On fait ça à côté, pour compléter les affaires», ajoute en riant cette longiligne jeune femme vêtue de blanc, une casquette posée sur sa tête couverte d'un voile.

© Sputnik . Coumba SyllaLe stand d’exposition-vente de l’Association régionale des éleveurs caprins de Fatick (ARECAF) à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.
Le stand d’exposition-vente de l’Association régionale des éleveurs caprins de Fatick (ARECAF) à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019. - Sputnik Afrique
Le stand d’exposition-vente de l’Association régionale des éleveurs caprins de Fatick (ARECAF) à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.

Coura Soumarée, vêtue d'un ensemble jaune avec des broderies violettes, accueille les visiteurs avec affabilité mais est intimidée quand il s'agit de parler aux journalistes. Sa collègue Marie Sarr, plus loquace, explique qu'il est «à la fois plus facile et plus compliqué» aujourd'hui de produire du lait, de le transformer et de le vendre au Sénégal.

«C'est facile, parce qu'on a les bêtes. À Sapp, on a des chèvres et des vaches, elles produisent du lait. On a appris à transformer, on a des frigos offerts par quelques partenaires. Et quand c'est la haute saison touristique [de novembre à fin mai, ndlr], les affaires marchent bien, parce qu'on a des clients, surtout des hôtels et campements dans la zone. Mais il y a des périodes où c'est un peu compliqué. Or, on ne peut pas amener nos produits jusqu'à Dakar. C'est pour ça qu'on fait aussi du savon et des épices» en plus de l'élevage, détaille Marie Sarr.

© Sputnik . Coumba SyllaCoura Soumaré (G) et Marie Sarr (D), transformatrices sénégalaises de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.
Coura Soumaré (G) et Marie Sarr (D), transformatrices sénégalaises de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019. - Sputnik Afrique
Coura Soumaré (G) et Marie Sarr (D), transformatrices sénégalaises de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.

Dans la zone où vivent Marie Sarr et les autres producteurs, «l'élevage de chèvres est pratiqué dans la plupart des familles». Grâce à ce cheptel, celles-ci parviennent à se «constituer une ressource importante», selon les responsables du Programme d'amélioration de la filière caprine (PAFC), un projet qui, depuis 2006, appuie les groupements locaux de producteurs. «L'amélioration de cet élevage constitue donc un levier de développement important pour les populations», énonce un document de présentation du PAFC, qui est soutenu par le Conseil départemental de Fatick et la région française du Poitou-Charentes.

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Rendre le lait local accessible au marché national et permettre aux éleveurs de vivre de leur travail au Sénégal, c'est aussi la démarche qui a poussé Bagoré Bathily à lancer, en 2006, la Laiterie du Berger, explique à Sputnik Arona Diaw, secrétaire général de cette société devenue aujourd'hui incontournable dans la filière du lait et une success story nationale.

Bagoré Bathily, un Franco-Sénégalais, est un vétérinaire qui s'est spécialisé en «productions animales dans les tropiques». Il a notamment travaillé en France et en Mauritanie, avant de rentrer au milieu des années 2000 au Sénégal. Là, il réalise très vite que ce sont, surtout, des produits laitiers à base de lait en poudre qui sont proposés aux Dakarois, alors que le pays dispose, dans ses régions, d'un cheptel important représentant un fort potentiel de production de lait. Il a créé La Laiterie du Berger, qui a commencé à produire en 2007 à partir de l'usine laitière de Richard-Toll, dans la région de Saint-Louis (nord).

L'objectif était de «valoriser le lait local, à savoir organiser la collecte, transformer le lait, et pouvoir mettre des produits de qualité sur le marché sénégalais, en fait, connecter les petits producteurs au marché urbain». Actuellement, «on travaille avec plus de 800 familles d'éleveurs, on vend à travers toutes les régions du Sénégal, on a un réseau déployé un peu partout dans le pays», explique à Sputnik Arona Diaw, secrétaire général de la Laiterie du Berger.

En outre, poursuit-il, «en plus de collecter du lait, on a organisé l'accès des éleveurs à l'aliment bétail, aux forages et parfois même, en cas de besoin, aux produits vétérinaires. On a développé pas mal de projets d'amélioration des systèmes de production de lait avec la vulgarisation de mini-fermes» entre autres réalisations.

À voir l'engouement au Sénégal autour des produits La Laiterie du Berger, dans les familles lors d'évènements sociaux, auprès du public lors de manifestations ponctuelles comme les foires ou encore sur les réseaux sociaux, Bagoré Bathily a réussi son pari. Au point que le nom de sa marque, Dolima, a éclipsé celui de l'entreprise.

© Sputnik . Coumba SyllaVue de stands d’exposition-vente de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.
Vue de stands d’exposition-vente de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019. - Sputnik Afrique
Vue de stands d’exposition-vente de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.

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Si les fromageries de Fatick et La Laiterie du Berger ont contribué à améliorer la consommation de produits laitiers produits localement, les tendances de consommation n'ont pas été inversées: le Sénégal demeure toujours un important importateur de lait en poudre, selon les derniers chiffres officiels disponibles, datant de 2016, consultés par Sputnik.

«En 2016, la production nationale de lait a augmenté de 2,1%. L'élevage extensif a produit 137,2 millions de litres contre 94,3 millions de litres pour l'élevage semi-intensif/intensif», indique l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) dans son rapport sur la situation économique et sociale du Sénégal en 2016 (SES 2016).

Selon le même document, le cheptel comptait alors près de 17,4 millions de têtes. Parmi ce bétail, on recensait plus de 3,5 millions de bovins, près de 6,7 millions d'ovins et plus de 5,7 millions de caprins.

«En 2016, le volume de lait et de produits laitiers importés a été de 29.773 tonnes (204 millions de litres équivalent lait), soit une progression de 26 % par rapport à 2015. Le principal produit importé est le lait en poudre (84 %) qui provient principalement de l'Irlande (33 %), de la Pologne (22 %) et de la France (13 %). L'augmentation des volumes des importations s'explique principalement par la baisse du prix du lait en poudre sur les marchés mondiaux en 2016», précise l'ANSD.

Les filières lait des autres pays africains concernés en Afrique de l'Ouest et du Centre sont confrontées à la même réalité. Pour que les efforts consentis par les producteurs, transformateurs et entrepreneurs laitiers de ces pays finissent par payer, la campagne «Mon lait est local» a vu le jour afin d'encourager les gouvernements et les parlements à se doter de textes législatifs et de circulaires harmonisés permettant notamment «d'augmenter le pourcentage de lait issu des exploitations familiales dans l'industrie laitière» et favoriser le développement «des chaînes de valeur locale».

Lancée le 1er juin 2018, pour coïncider avec la Journée mondiale du lait par l'Organisation des Nations unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), cette campagne concerne cinq pays d'Afrique de l'Ouest (Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal, Mauritanie) ainsi que le Tchad. Elle fédère une trentaine d'organisations paysannes, de consommateurs, de chercheurs et d'ONG internationales dont Oxfam.

«La filière du lait local fait face à d'énormes défis tels que les faibles niveaux de soutien et de développement de la production, de la collecte, et de la transformation. La production ouest-africaine est estimée à 4 milliards de litres de lait (qui sont traits par an), mais dont seulement 2 % est collecté et transformé par les mini-laiteries et industries laitières sur place», affirme le comité de pilotage de la campagne «Mon lait est local» dans un communiqué transmis à Sputnik par Oxfam.

L'ONG note que, alors que les entreprises laitières européennes sont attirées par un marché ouest-africain en pleine croissance, «elles y investissent dans la transformation et la commercialisation, afin de trouver de trouver de nouveaux débouchés à leurs excédents de diverses poudres de lait. Elles exportent depuis l'Europe ou importent depuis l'Afrique des poudres de lait écrémé ou entier à bas coûts, et depuis quelques années, massivement des mélanges de lait écrémé et de graisses végétales (huile de palme essentiellement) en poudre, en moyenne 30 % moins cher», dénonce Oxfam.

Les responsables de la campagne «Mon lait est local» ont, de leur côté, «mené une série d'études approfondies afin d'enrichir le débat et d'affiner ses recommandations politiques». Leurs conclusions, non encore publiées, seront communiquées aux responsables de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO, 15 pays), qui s'est engagée à mener «une offensive régionale pour la promotion des filières lait local».

Ils ont aussi lancé une pétition en ligne (https://www.supportonslelaitlocal.org/), appelant les dirigeants de la région «à agir pour protéger les petites productrices et petits producteurs de lait». Au 1er juin, cette requête avait recueilli «plus de 20.000 signatures», toujours selon Oxfam.

© Sputnik . Coumba SyllaUne affiche de la campagne internationale «Mon lait est local» à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.
Une affiche de la campagne internationale «Mon lait est local» à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019. - Sputnik Afrique
Une affiche de la campagne internationale «Mon lait est local» à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.

Pour les responsables de la campagne «Mon lait est local», la mobilisation citoyenne est cruciale «au moment où l'offensive Lait de la CEDEAO reste à construire, que des négociations importantes autour d'accords commerciaux approchent et que les groupes laitiers multinationaux, en grande partie européens, réalisent des investissements importants sur le continent africain», selon le communiqué transmis par Oxfam à Sputnik.

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Arona Diaw rappelle que des initiatives ont été menées dans le passé dans le même sens, y compris au Sénégal. Il espère que la nouvelle campagne permettra «de sensibiliser les autorités et d'influer sur les politiques de développement du secteur laitier». Toutefois, insiste-t-il, il reste encore beaucoup à faire au Sénégal, notamment pour inciter le consommateur à aller vers le lait local, comme La Laiterie du Berger a su le faire tout en améliorant le quotidien des éleveurs du nord et de leurs familles. Beaucoup de leurs enfants ont pu être scolarisés grâce à ce complément de revenus.

«Il faudra une vraie connexion avec les consommateurs, et faire en sorte que les produits soient accessibles. C'est un gros challenge. À La Laiterie du Berger, depuis deux ans, on travaille là-dessus», assure Arona Diaw, évoquant notamment un système de livraison à domicile d'une gamme de produits mieux adaptée au goût des consommateurs dakarois.

© Sputnik . Coumba SyllaMarie Sarr (en blanc, avec la casquette), transformatrice sénégalaise de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.
Marie Sarr (en blanc, avec la casquette), transformatrice sénégalaise de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019. - Sputnik Afrique
Marie Sarr (en blanc, avec la casquette), transformatrice sénégalaise de produits laitiers, à Dakar, lors de la célébration de la Journée mondiale du lait, le 1er juin 2019.

En attendant les résultats de cette campagne internationale, Marie Sarr met à profit son passage à Dakar pour vanter la qualité de sa production. Elle vend le lait de ses chèvres à 600 francs CFA le litre (moins d'un euro), mais la star de sa production est sans conteste son fromage de chèvre, proposé à «1.000 francs CFA (1,52 euro) le crottin» et qui, révèle-t-elle, lui rapporte «plus que tout le reste, même plus que le savon». «Il faut goûter, c'est bon dè!», lance-t-elle à la journaliste de Sputnik.

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