«Il y a quelque chose de grave qui s’est produit, ce n’est pas un deux poids deux mesures: c’est l’ingérence du CSA et de son président dans la campagne électorale au profit d’une liste. Une autorité administrative indépendante dont le devoir est l’impartialité vient de la rompre au profit d’une activité politique.»
Une confirmation auprès de l’AFP de l’autorité française de régulation de l’audiovisuel, qui survient dans la foulée d’une interview que l’ex-conseiller de Donald Trump a accordée à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV. Une interview où il fut question de prises de position de Steve Bannon, de sa perception de l’Union européenne et des mouvements souverainistes ainsi que de ses liens supposés avec la formation de Marine Le Pen.
L’instance régulatrice justifie sa décision, expliquant que les radios et télévisions «relèvent […] les temps de parole des listes candidates et de leurs soutiens dans l’ensemble de leurs programmes». L’AFP rappelle que Steve Bannon s’était défini comme un «conseiller informel» agissant à titre «bénévole», lors d’une interview accordée à nos confrères du Parisien. Il rentre ainsi dans la définition du CSA de «personnes exprimant un soutien explicite à une liste de candidats», qui «concerne aussi bien des propos qui peuvent être tenus par de simples citoyens, des militants, des artistes, des sportifs ou des intellectuels, ainsi que par des personnalités étrangères.» Une définition suffisamment générale pour être sujette à une interprétation plus ou moins restrictive.
«Le fondement juridique du contrôle des temps de parole est incontestable. Que l’on considère que le soutien de monsieur Bannon doit être décompté, je dirais pourquoi pas, mais comme on n’a jamais décompté ceux des autres soutiens –qui sont 100 fois plus longs, 100 fois supérieurs à ceux de monsieur Bannon– cela montre bien que l’intention est très directement politique», estime l’avocat à notre micro.
«Est-ce qu’il a l’intention de décompter le temps de parole absolument invraisemblable de monsieur BHL? Est-ce qu’il a l’intention de demander à ce que les subventions dont la pièce de théâtre de monsieur BHL a fait l’objet –sur fonds publics– aillent être réintégrées aux comptes de campagne de LREM? […] Est-ce que les paroles de monsieur Cohn-Bendit vont être décomptées? Est-ce que les paroles de monsieur Couturier, sur les radios nationales, vont être décomptées? Est-ce que les paroles de tous ces journalistes qui ont été des fidèles soutiens acharnés dans les médias, privés, mais aussi publics, vont être décomptées? Cette initiative est parfaitement déshonorante. Elle est juridiquement peut être fondée, mais c’est une façon de se moquer du monde.»
Une décision du CSA qui interpelle d’autant plus qu’Emmanuel Macron lui-même avait profité de soutiens étrangers –ce qui en soi n’est pas interdit–, comme celui d’Angela Merkel, de plusieurs de ses ministres, de ses alliés sociaux-démocrates, ou encore de l’ex-Président américain. Barack Obama avait en effet publié une vidéo de soutien à Emmanuel Macron trois jours avant le premier tour de l’élection présidentielle française. Un argument d’ailleurs repris par l’état-major du Rassemblement national.
Fustigeant une «ingérence» de l’organe public de régulation, l’avocat évoque notamment les liens entre Emmanuel Macron et Roch-Olivier Maistre, nommé par décret présidentiel début février 2019 à la tête du CSA. Une situation qui pousse notre intervenant à rejeter en bloc l’idée d’un simple «deux poids, deux mesures».
«Cela veut dire qu’il y aurait une différence de poids, non, là il y a une totale ingérence dans la campagne. C’est au-delà d’une décision du CSA, on est dans une initiative destinée à affaiblir l’une des listes, ce n’est pas autre chose. On est dans une initiative destinée à alimenter une polémique artificielle qui a été lancée par les gens de LREM pour dire que le parti de Marine Le Pen, après avoir été un suppôt de Poutine, était aujourd’hui un suppôt de Donald Trump. Toutes ces polémiques, qui ne reposent sur rien, vont être alimentées par une décision administrative. C’est d’une gravité exceptionnelle.»
Pour Régis de Castelnau, il ne fait aucun doute que cette décision du CSA est d’alimenter, en la validant aux yeux de l’opinion, les accusations portées par certains députés de la majorité à l’encontre des liens qu’entretiendrait le Rassemblement national et l’ex-conseiller de Donald Trump, suite à la diffusion d’un Envoyé Spécial.
Contrairement à Steve Bannon en ce moment en France, Barack Obama en 2017 n' avait pas levé des fonds pour soutenir un parti en France, ne s'était pas basé dans un grand hotel à Paris et n'avait jamais été dans des meetings de campagne avant l'élection en France
— LAURENCE HAIM (@lauhaim) 21 mai 2019
«Bien sûr, c’est son seul objectif! C’est l’évidence! Ce n’est pas pour faire respecter la loi et le nécessaire équilibre» insiste Me de Castelnau «90% des Français n’ont aucune idée de qui est Steve Bannon– il s’agit bien d’alimenter cette campagne et de documenter cette soi-disant allégeance de Marine Le Pen et de son parti aux États-Unis. Ce n’est pas autre chose.»
Russes, Américains, il faut dire que les marcheurs donnent l’impression de rechercher des ingérences à chaque élection pour diaboliser leurs adversaires et unir leurs soutiens face au péril étranger. Régis de Castelnau rappelle à cet effet la conviction d’Emmanuel Macron quant à l’influence russe sur le noyau dur des Gilets jaunes.
«Ce complotisme-là est très répandu dans les sphères de la Macronie, comme d’ailleurs la production de fake news. C’est d’ailleurs extraordinaire, on accuse ses adversaires de complotisme, on les accuse de produire des fake news et on fait adopter des lois liberticides alors qu’on est soi-même le principal producteur de fake new. Tout le monde se rappelle de l’épisode de la Pitié-Salpêtrière», fustige l’avocat, dépeignant «un pouvoir aux abois».
Un pouvoir «dont certains de ses acteurs sont prêts à tout», selon le constitutionnaliste, qui souligne la dimension «référendum anti-Macron» que pourrait prendre cette élection européenne, notamment parce qu’en France «pas grand-monde ne sait à quoi sert ce Parlement» européen.
«Arriver à ce point d’absence de vergogne, c’est quand même extraordinaire. On va dire que dans la Macronie, on ose tout et c’est même à cela qu’on la reconnaît, pour paraphraser Audiard.»
«On a utilisé un critère qui n’était que financier pour en faire un critère de droit d’expression, c’est purement et simplement un déni de démocratie», conclut-il.