L’ancien Président gambien Yahya Jammeh n’est ni à Malabo, la capitale administrative ni à Bata, la deuxième ville du pays, mais à Mongomo, ville natale et fief politique de «Ze ebere ekoum» (la panthère sur un tronc d’arbre, en langue fang), le sobriquet du Président équato-guinéen Obiang Nguema Mbasogo.
Ici, des riverains disent l’apercevoir deux fois par semaine prendre la direction de la brousse, dans les environs de la ville. Très discrètement, Obiang Nguema, lui aurait concédé une parcelle de terrain de plus de 1.000 hectares pour les cultures vivrières, apprend-on d’Abua, un fermier de la ville.
«Obiang Nguema veut sans doute donner plus de sécurité et de fraternité à son exil équato-guinéen. Mais à la longue, ça va être un problème pour les habitants de la ville. Ils ne pourront plus vaquer librement à leurs occupations», explique à Sputnik Eutanasio Micogo, politologue équato-guinéen, rencontré à Mongomo.
Yahya Jammeh apparaît dans les rues de Mongomo, son exil doré, dans son éternel boubou blanc, chéchia sur la tête, le regard masqué par des lunettes fumées. Comme à son habitude, il tient son coran en main. Seule nouveauté, l’ancien Président gambien s’est laissé pousser la barbe. Derrière son allure simple, l’ancien Président gambien a tout de même gardé une poire pour la soif.
Gênant. L’opposition équato-guinéenne dénonce donc régulièrement la présence de cet invité «encombrant» pour le pays. Il y a quelques semaines encore, le parti Convergence pour la Démocratie sociale (CPDS), déclarait dans un communiqué parvenu à la rédaction de Sputnik: «nous ne voulons pas d’un autre dictateur dans notre pays». Le même parti placardait dans toute la ville de Malabo des affiches demandant au gouvernement de ne plus héberger Yahya Jammeh sur son sol.
Depuis la fin de son règne de 22 ans (22 juillet 1994 -21 janvier 2017), Jammeh s’est installé chez le Président équato-guinéen Obiang Nguema, dont le pays n’a pas signé d’accord avec la Cour pénale internationale. Il est donc hors de portée des juges de la CPI. Pendant ce temps, plusieurs «Junglers», membres de sa milice secrète, croupissent en prison à Banjul en attendant d’être jugés. Yahya Jammeh, pour sa part, ne devrait pas comparaître de sitôt devant des juges: Malabo a promis qu’il ne sera pas extradé.
«Il est en train de commencer ici un champ d’ananas. Il a acheté une centaine de mes têtes d’ananas pour les ramener dans ses plantations. D’ailleurs, il en prend en très grande quantité. Mais je dois aussi vous avouer que sa présence nous rend un peu la vie difficile. Jamais par le passé, on n’a connu une présence militaire aussi impressionnante. La ville est devenue comme un vase clos», commente au micro de Sputnik Ela, un habitant de Mongomo.
Une ville quadrillée jour et nuit par des militaires et dont l’accès est restreint depuis l’arrivée de Yahya Jammeh.
Ville paisible
Située au nord-est de la Guinée équatoriale, à 220 km de Bata, la ville de Mongomo est considérée comme la plus paisible du pays. Il y fait bon vivre. Les routes y sont bien tenues, les trottoirs propres, comme partout en Guinée équatoriale. On y trouve un palais présidentiel majestueux, un somptueux hôtel cinq étoiles et une série d’attractions touristiques.
Des édifices publics, écoles, hôpitaux, églises, etc., constituent un héritage commun pour les plus de 7.000 personnes qui y vivent. Joyau architectural, la ville se trouve à proximité de la frontière avec le Gabon et à 80 kilomètres du sud du Cameroun. Le Président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a cédé à Jammeh son somptueux palais, avec son immense clôture de 15 kilomètres de long. Située dans une dépression naturelle, la résidence des Obiang est un vrai fort, un bunker.
«Mongomo compte plusieurs caméras de vidéosurveillance. Parce que son Excellence tient à la sécurité de son hôte», révèle à Sputnik, un militaire en civil rencontré dans la ville.
«La première pierre a été posée ici en 2006. La basilique a été inaugurée le 7 décembre 2011. Des gens sont venus de toute l’Afrique pour assister à ce grand moment. Il y avait du monde partout», nous fait savoir un prêtre qui se rend aux vêpres.
De 2006 à 2011, il n’aura fallu que cinq ans pour construire le plus grand édifice religieux d’Afrique centrale, le deuxième du continent après celui de Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire. À l’intérieur de celui-ci, dorures, fresques et trompe-l’œil architecturaux sous les voûtes et dans la coupole.
«Quand il n’est pas aux champs, Jammeh passe ses journées au bord du fleuve Wele à faire de la pêche en compagnie de ses proches et de sa garde rapprochée», raconte à Sputnik Andrés Anguesom, un pêcheur qui l’a maintes fois aperçu.
Yahya Jammeh mène donc une vie paisible à Mongomo et depuis son retrait forcé de la vie publique, il ne s’est jamais exprimé, respectant à la lettre la consigne de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.
Il faut dire que les deux hommes semblent proches. Le 5 juin 2018, Yahya Jammeh se trémoussait aux côtés du chanteur congolais, Koffi Olomidé, lors du 76e anniversaire du Président Obiang Nguema. Les 10 et 11 mai derniers, à l’occasion du décès du directeur de la sécurité présidentielle, le général Antonio Mba Nguema Mikue, il était aussi aux côtés du Président Obiang, a pu constater sur place le correspondant de Sputnik
Yahya Jammeh continue de vivre son exil doré dans la ville de Mongomo à l’abri des rumeurs et loin des caméras. Mais pour combien encore?