Crash de 737 MAX: comment Boeing a «trompé» les pilotes

© AP Photo / Elaine ThompsonBoeing's first 737 MAX 9 jet
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Moins d'un mois après le premier crash d'un Boeing 737 MAX 8 le 29 octobre 2018, la compagnie aérienne Boeing aurait ignoré la demande d'explication de l'étrange comportement des avions formulée par l'une des parties les plus intéressées et compétentes en la matière: les pilotes.

La chaîne CBS et le New York Times ont obtenu un enregistrement réalisé un mois après le crash de l'avion de la compagnie indonésienne Lion Air, dans lequel on entend un échange virulent entre les représentants de Boeing et les pilotes inquiets de la compagnie American Airlines. Les représentants du syndicat exigeaient d'expliquer ce qui arrivait aux avions.

«Nous méritons enfin de savoir ce qui arrive à nos avions», retentit la voix d'un pilote. «Je ne dis pas le contraire», répond un représentant de Boeing.

 Boeing 737 MAX 8 - Sputnik Afrique
Après le crash de Lion Air, Boeing aurait refusé de corriger un dysfonctionnement des 737 MAX
La réunion, qui s'est tenue à huis clos à Fort Worth, où se trouve le siège du syndicat des pilotes d'American Airlines, a duré une heure.

Elle a eu lieu en novembre 2018, moins de quatre semaines après le crash du vol 610 qui avait coûté la vie à 189 personnes. Peu de temps après la catastrophe, l'enquête avait déterminé que le crash était dû au système MCAS qui intervient dans le contrôle de l'appareil et l'empêche de tendre vers la verticale.

Le vice-président de Boeing Mike Sinnett, présent à cette réunion, aurait reconnu que le constructeur analysait les éventuelles lacunes de l'avion, notamment celles du nouveau système anti-décrochage. Cependant, il s'est opposé à l'adoption de mesures radicales en déclarant que le lien entre le système MCAS et la catastrophe n'était pas encore établi.

«Personne n'a encore établi que l'unique raison de l'incident était cette fonction de l'appareil», a déclaré Mike Sinnett pendant la réunion.

Boeing 737-8 MAX - Sputnik Afrique
Boeing avait eu connaissance d’anomalies sur le 737 MAX dès 2017 sans prendre de mesures
Les pilotes présents auraient été furieux de savoir que le constructeur les avait notifié de la présence d'un tel système dans les appareils de contrôle des avions seulement après le premier crash. Ainsi, Michael Michaelis, pilote d'American Airlines, exigeait de Boeing de faire pression sur la FAA (Federal Aviation Administration) et de publier une directive d'aptitude au vol.

«Ces gars ne savaient même pas que ce maudit système était installé sur l'avion, ni personne d'autre d'ailleurs», a déclaré le pilote.

A l'époque, la FAA avait déjà publié une directive forçant les compagnies aériennes à intégrer dans la notice d'exploitation les règles de travail avec le MCAS. Cependant, Mike Michaelis exigeait une nouvelle directive forçant Boeing à apporter des modifications aux algorithmes. Mais cela n'a été fait qu'après un deuxième crash similaire en Éthiopie en mars.

Ce à quoi Mike Sinnett a répondu à peu près la même chose que Boeing au cours des derniers mois.

«Vous devez comprendre que notre attachement à la sécurité est tout aussi grand que le vôtre. Le pire qui puisse arriver est une tragédie comme celle-ci, encore pire serait une autre. Nous ne voulons pas aller trop vite et faire un travail bâclé en corrigeant les choses correctes, et nous ne voulons pas laisser les mauvaises choses. En ce qui concerne le logiciel critique pour le vol, je ne pense pas que vous voudriez que nous agissions dans l'empressement», a-t-il déclaré.

Lieu du crash du Boeing 737 MAX 8 éthiopien - Sputnik Afrique
Crash en Éthiopie: les proches d'une victime française veulent faire condamner Boeing
Un autre pilote, Todd Wissing, a exprimé sa colère concernant le fait que le système MCAS n'était pas mentionné dans le manuel. «Dans un premier temps, il aurait peut-être fallu expliquer ce qui pouvait nous tuer», a-t-il déclaré.

Ce à quoi Mike Sinnett a répondu, avec le pilote d'essai de Boeing Craig Bomben, que les pilotes n'avaient pas besoin de connaissances supplémentaires car ils savaient déjà comment agir dans ce genre de scénarios.

Cependant, la réponse la plus révélatrice fut celle des représentants de Boeing à la fin de la réunion, quand le représentant des pilotes Dennis Tajer a demandé: «Êtes-vous certains que la situation est sous contrôle aujourd'hui, avant même d'apporter des modifications au logiciel?»

«Absolument», avait répondu Mike Sinnett.

Boeing a refusé de commenter l'enregistrement révélé. «Nous sommes concentrés sur le travail avec les pilotes, les compagnies aériennes et les régulateurs mondiaux pour certifier les modifications sur les avions MAX et assurer des entraînements et des connaissances supplémentaires pour un retour sûr des avions en exploitation», a déclaré la compagnie.

A l'heure actuelle, Boeing a réduit la production de ces appareils en concentrant ses efforts sur la correction des algorithmes du logiciel qui ont entraîné des conséquences tragiques. Sachant que la compagnie devra encore convaincre les compagnies aériennes mondiales de la sûreté de cette nouvelle gamme d'avions. Et il sera encore bien plus difficile de persuader les passagers de leur fiabilité.

Boeing 737 MAX 8 (archives) - Sputnik Afrique
Boeing avait désactivé le signal d’alerte des 737 MAX en rendant l’option payante
L'étude menée par Barclays Investment Bank indique que les passagers éviteront de voler à bord des avions compromis, même quand les régulateurs autoriseront leur retour dans le ciel.

Un sondage mené en Europe et en Amérique du Nord auprès de 1.765 personnes qui volent au moins une fois par an a révélé que 44% d'entre elles refuseraient de voler à bord des MAX au moins pendant un an.

Sachant que 39% accepteraient de faire confiance à ces appareils quelques mois après leur retour dans le ciel. Et seulement 20% des personnes interrogées ont déclaré qu'ils étaient prêts à monter à bord dès la reprise des vols.

Le patron de la FAA Daniel Elwell a affirmé à la commission des transports de la Chambre des représentants du Congrès américain que son organisme n'autoriserait pas la reprise des vols des MAX tant qu'il n'était pas certain de leur fiabilité — sans annoncer de délais. Il a défendu la décision de la FAA de clouer ces avions au sol seulement quand le monde entier l'avait déjà fait, en déclarant qu'à l'époque il n'y avait pas de raisons de prendre une telle décision.

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