Cette année encore, le Franco-Sénégalais, Karfa Sira Diallo a choisi d'être sur tous les fronts et notamment en Afrique, pour une commémoration destinée à mieux faire comprendre aux jeunes générations les séquelles de la traite esclavagiste. Présent à Dakar le 27 avril dernier, pour la troisième édition de la commémoration de l'abolition de l'esclavage et de la traite négrière, le président et fondateur de l'association internationale Mémoires & Partages est venu rappeler aux décideurs africains la nécessité de confronter ce passé douloureux.
Seul le Sénégal a pour l'instant accepté de voter une loi en 2010, sous le magistère de l'ex-Président Abdoulaye Wade, faisant de l'esclavage et de la traite des crimes contre l'humanité.
Ce 10 mai, Karfa Sira Diallo était à nouveau à pied d'œuvre dans son fief bordelais, où il réside depuis qu'il est étudiant. Contrairement à l'Afrique, la 14e «Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition» a été célébrée partout en France métropolitaine le 10 mai dernier.
Le thème retenu, cette année, par l'association Mémoires & Partages est «le Sahara face à l'esclavage». Selon les organisateurs, il vise à faire témoigner de «remarquables créateurs chercheurs du 3 au 30 mai» à Bordeaux et dans d'autres villes qui furent des ports négriers. Dans le cadre de cette action, expositions et conférences ont été délocalisées au Maroc, pour qu'un débat s'amorce concernant le rôle joué par les pays du Maghreb dans la traite négrière.
«Mémoires & Partages a choisi de placer ces journées autour de la traite des noirs au Sahara et ses conséquences dans le sort des migrants aujourd'hui. Cette question a peu été abordée dans les mobilisations citoyennes. Pourtant, la Méditerranée fut marquée longtemps par l'esclavage. Aujourd'hui, c'est par là que partent les migrants qui cherchent à gagner l'Europe et ne font parfois que s'y échouer sans vie. Notre métropole, Bordeaux, est un lieu de mémoire de la traite des noirs et de l'esclavage colonial. Premier port colonial et deuxième port négrier, Bordeaux porte les stigmates d'hier et accueille de nombreux migrants aujourd'hui», a expliqué le 2 mai Karfa Sira Diallo lors d'une conférence de presse à Bordeaux.
Car, contrairement à ce que l'on enseigne aujourd'hui aux jeunes Africains, l'Europe n'a pas eu le monopole de la traite des esclaves. Il y a eu d'autres traites, au moins et sinon plus importantes, comme les traites orientale et transsaharienne organisées par les Arabes. Ces dernières furent tout aussi violentes et dévastatrices pour l'Afrique et leurs descendants que la traite transatlantique. Elles furent cautionnées par l'islam tout comme le christianisme a pendant longtemps justifié l'esclavage des noirs.
Une exploitation de quatorze siècles
Depuis la décision prise en 2006 par Jacques Chirac de reconnaître les méfaits de la colonisation, le 10 mai est devenu l'occasion pour la France d'honorer le souvenir et les résistances des esclaves et de commémorer l'abolition de l'esclavage transatlantique. De son côté, l'Unesco a choisi le 23 août pour commémorer la «Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition», date l'insurrection de 1791 à Saint-Domingue, qui fut le prélude à l'abolition de la traite négrière transatlantique.
Commencée à la fin du XVIe siècle avec l'arrivée des premiers bateaux portugais sur les côtes africaines, celle-ci s'est répandue partout en Europe, faisant les beaux jours de ses ports, notamment en France, qui a largement profité de ce commerce transatlantique.
Depuis la parution en 1976 du roman d'Alex Haley «Racines» sur l'histoire de sa famille arrivée en Amérique après avoir été vendue comme esclaves en Afrique, de nombreux essais, romans ou films sont devenus mondialement connus à l'instar de «12 Years a Slave» du réalisateur Steeve McQueen récompensé en 2014 par un Oscar à Hollywood.
«La plupart des millions d'hommes qu'ils [les Arabes, ndlr] ont déportés ont disparu du fait des traitements inhumains et de la castration généralisée», a rappelé dans un entretien l'historien sénégalais de la traite arabo-musulmane, Tidiane N'Diaye
Un autre pan occulté de cette histoire tragique du continent concerne «la complicité de monarques africains, qui est une donnée objective», a-t-il ajouté, insistant sur le fait que «les traites et esclavages arabo-musulmans et occidental n'auraient pas été possibles sans la collaboration active des Africains.»
Dans l'entretien réalisé avec Sputnik France, le 26 avril dernier, ce natif de Thiaroye —le camp militaire français où furent massacrés des tirailleurs sénégalais après la Seconde Guerre mondiale-, a rendu hommage au travail de mémoire de son compatriote, Tidiane N'Diaye. Celui-ci a pris grand soin, dans son livre, de «communautariser ni l'histoire ni les mémoires» évitant ainsi d'ouvrir la porte à «une hiérarchisation victimaire», comme l'affirme l'auteur.
En revanche, sur les raisons qui expliquent, qu'aujourd'hui encore, l'on puisse vendre des migrants subsahariens comme esclaves en Libye, le président de la Fondation Mémoires & Partages ne décolère pas:
«Quand on assiste à de telles scènes, comme celles diffusées par CNN il y a deux ans, où l'on voit un Arabe sur marché en Libye discuter le prix d'un esclave noir pour quelque centaines de dinars, on se met à douter de la capacité de certains pays arabes à moderniser leur grille de lecture et leur compréhension des droits humains, hormis la Tunisie, qui fait figure d'exception au Maghreb, puisque l'esclavage a officiellement été aboli dans ce pays le 23 janvier 1846, soit deux ans avant la France», lance-t-il, cinglant.
La solidarité des vaincus
«Ce à quoi nous avons assisté [au moment des indépendances, ndlr] s'apparente à la solidarité des vaincus —le monde maghrébin ayant lui aussi été colonisé, les urgences du moment étaient l'émancipation des peuples, la liberté politique, la souveraineté, etc. On a donc évité de créer des divisions. De surcroît, la colonisation arabe a utilisé comme véhicule de ses conquêtes la religion à travers l'islamisation. Or, dans la mentalité des Africains d'aujourd'hui, il est très difficile d'associer "méfaits de la colonisation" et "religion musulmane". Ce qui explique la difficulté à qualifier des faits pourtant dénoncés depuis des décennies par des historiens comme le recteur de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Ibrahima Thioub…», analyse Karfa Sira Diallo.
«À force d'avoir mis sous le boisseau cette histoire pendant des siècles, cela a généré un retour du refoulé. Les jeunes migrants subsahariens sont très nombreux à vouloir aller en Europe et, du coup, le font de façon clandestine en empruntant les mêmes routes transsahariennes que leurs ancêtres. Réduits en esclavage du VIIe au XXe siècle, ceux-ci furent amenés, souvent contre leur gré, en Europe […] Leurs descendants, sans le savoir, subissent les mêmes stigmas et les mêmes préjugés racistes quand ils ne tombent pas entre les mains de passeurs sans scrupule dont ils sont bien souvent les victimes», s'alarme-t-il.
Pour Karfa Sira Diallo, cet esclavagisme moderne perdure dans la partie septentrionale de l'Afrique, mais aussi dans des pays africains comme la Mauritanie, le Mali, etc. Il doit être dénoncé «partout où il se produit» et «dès qu'il se manifeste»:
«C'est le rôle de notre association de conscientiser les Africains sur des pratiques qui ne sont plus de ce temps. Cela concerne également l'exploitation des petites bonnes à qui nous apprenons quels sont leurs droits en nous battant —par ailleurs- pour les faire reconnaître. Car, en matière de lutte contre les discriminations, tout est lié», conclut-il.