L'esclavage sévit encore. L'histoire glaçante de ces huit jeunes camerounaises qui ont vécu la servitude au Koweït en témoigne une fois de plus. Rapatriées au Cameroun depuis le 14 octobre 2018, le quotidien de ces jeunes femmes est majoritairement meublé par des sorties médiatiques. Si les micros et les caméras ont encore soif de leur triste aventure, dans le mutisme et la peur, elles veulent tenter leur réinsertion dans la société et s'en remettent aux divins.
«Là-bas, tu es condamné, tu es bloqué en tout. Tu n'as pas de liberté. Tu es comme un prisonnier qui travaille et qui espère avoir quelque chose et en retour tu n'as rien. Il y a des caméras partout dans les maisons. Il y a des filles qui arrivent là bas et elles deviennent folles. Ce traumatisme commence à bien s'installer dans sa tête. Et une fois que tu es folle, tu ne peux plus voyager. Tu ne peux plus rentrer dans ton pays parce que ça sera une preuve que tu étais maltraitée.»
Comme bien des Africains, Prudence et ses compagnonnes d'infortune ont été prises dans le piège de l'immigration clandestine organisée par des passeurs qui leur ont promis monts et merveilles. Un trafic ignoble qu'entretiennent sourdement certains Camerounais et Koweïtiens.
«Il y a déjà des Camerounais là-bas qui financent, ils envoient à ceux qui sont ici pour faire les passeports… ils sont un peu partout, même à l'aéroport. Il y a quelqu'un qui facilite la démarche à l'intérieur de l'aéroport pour que tu partes. Une fois que tu es là-bas, on passe encore par toi pour faire venir d'autres filles et ainsi de suite.
Celle qui te fait venir reçoit ses 150 dinars; l'équivalent de 270.000 FCFA. Quand tu es déjà là, tu commences à vivre le calvaire dans ta maison d'accueil. Pourtant ce n'est pas ce qu'elle te disait au téléphone avant que tu ne voyages. Quand une fille fuit, on rembourse son argent à la famille d'accueil et ils disent à l'agence qui t'a fait venir "l'esclave n'est plus chez moi. Il faut me rembourser mon argent."
Au Koweït, il y a plus de 200 bureaux qui font voyager les filles pour le travail de ménagère. Ils aiment avoir à faire aux gens qui ne sont pas cultivés, qui sont bloqués dans leurs têtes.»
Une fois sur place, les filles se rendent généralement compte de la duperie contractuelle et l'étau se referme sur elle.
«Ce n'est même pas nous qui signons le contrat. Quand tu arrives, ils ont déjà tout signé. Et le papier même, tout est écrit en arabe. Ils disent que le contrat c'est deux ans et tu peux rentrer dans ton pays après. C'est faux! Il y a des filles qui ont fait sept ans. Quand tu veux rentrer, on refuse. Quand tu fais savoir que tu veux partir, on saisit ton téléphone, tu ne communiques plus avec ta famille.»
Épuisée, Prudence enregistre une vidéo le 21 septembre dernier pour alerter l'opinion camerounaise. Elle témoigne de sa souffrance et se fait la porte-parole de ses compatriotes dans la même situation.
Prudence et sept autres filles seront contraintes à passer quelques jours en prison avent leur rapatriement suite aux plaintes déposées par leur «ancien maître». Un enfer.
«Avant de retourner au Cameroun, nous avons fait de la prison. Ça avait été prévu juste avant notre vidéo que sept filles devaient être envoyées en prison et être rapatriées, quatre autres devaient payer elles-mêmes leur billet d'avion. Nous avons été envoyées en prison et nous avons fait cinq jours de prison. Après ces cinq jours, ils nous ont rapatriés. Nous avons trouvé en prison d'autres filles qui avaient déjà fait trois mois d'autres deux semaines.En prison, là bas, vous n'avez pas de savon, vous n'avez pas de brosse à dents. Juste un seul vêtement. On voyait des cheveux sur le repas, des insectes, mais on était obligé de manger.»
Récit du calvaire de Prudence Kenembeni en prison
La vidéo salvatrice a été le point de départ d'un processus de rapatriement de huit femmes camerounaises par l'entremise du gouvernement camerounais, d'une association de défense des droits de l'Homme et de personnes de bonne volonté. Cependant, la jeune femme subit depuis lors des pressions des réseaux d'esclavagistes.
«Je reçois des menaces tous les jours, je t'assure. Où je suis, c'est Dieu qui est au contrôle de moi. J'ai eu des menaces après la vidéo étant toujours au Koweït. Les menaces venant des gens du réseau du Cameroun et d'autres du Koweït. Donc ceux du Cameroun ont dit qu'ils m'attendent ici, ils vont me faire du mal. Ceux du Koweït disaient qu'ils m'attendent à l'aéroport, on va me bloquer.»