Dans un piège climatique
«Trump s'est retiré de l'accord de Paris, le prince Harry ne dort pas la nuit, le climat change peu à peu. Notre civilisation dépense des centaines de milliards de dollars pour la lutte contre le réchauffement — pour les technologies vertes, l'abandon du charbon. Et elle est prête à dépenser encore plus — si l'on en croit les discours des dirigeants mondiaux», souligne le biologiste Sergueï Zimov, fondateur du Parc du Pléistocène en Yakoutie, en introduction de son rapport.
Ce dernier était présent à la conférence Rébus cryosphères de Pouchtchino (région de Moscou) avec un concept de sauvetage de l'Arctique — à défaut de sauver toute la planète. Selon le chercheur, l'attention de la communauté scientifique est actuellement rivée sur cette région parce que le réchauffement y est beaucoup plus rapide.
Cela a également affecté le pergélisol, type de sol le plus conservateur, qui représente environ 70% du territoire russe.
Un sauna sous la neige
Des signes indirects de dégradation du pergélisol ont été remarqués depuis longtemps: zones effondrées, glissements de terrain, formation de nouveaux lacs, destruction d'édifices et d'immeubles, changement de la ligne côtière. Sans qu'il n'y ait de preuves directes à l'échelle planétaire. Cette année, pour la première fois, le consortium international a présenté des informations sur la température du pergélisol à travers le monde.
Le pergélisol réagit très lentement au changement climatique. Pendant un bref été, seule la couche supérieure fond de 10 cm à 3 m. Puis revient le froid, et la neige recouvre le sol. Mais le fait est que plus il est fait chaud en Arctique, plus la couverture de neige est puissante et plus l'isolation thermique est forte. Sous une neige épaisse, le sol peut ne pas geler et continuer de fondre.
Des émissions de carbone plus fortes que l'industrie
Selon Sergueï Zimov, la fonte du pergélisol est accélérée par les microbes qui y hibernent.
«Ils se réveillent, et puisqu'ils n'ont rien mangé depuis 30.000 ans, ils dévorent tout en émettant des gaz à effet de serre. Leur activité réchauffe le pergélisol», note le rapporteur.
Il évoque également l'expérience menée sur deux terrassements dans la toundra. L'un en sol de forêt pauvre en microbes, l'autre en sol riche des prés. Avec l'arrivée de l'hiver, le premier avait gelé sur 1,5 m, le second sur seulement 30 cm.
«Uniquement grâce à l'activité microbienne. Si le sol est de 1,5 m, le réchauffement ne se ressent pas, s'il est supérieur à 2 m, le pergélisol peut fondre de lui-même. Il suffit de le réchauffer une fois et le processus ne peut plus être stoppé», affirme-t-il.
Dans un article de la revue de l'Association australienne des parcs nationaux de la Nouvelle-Galles du Sud, Sergueï Zimov a comparé le yedoma à un glacier protégé contre la lumière du jour par une couche de sol d'un mètre. Si le pergélisol général, avec peu de glaces, fond lentement, le yedoma pourrait quant à lui disparaître en quelques décennies, selon ses estimations. Cela s'accompagnera d'une forte érosion des sols, avec des coulées de boue
Le yedoma est une sorte de bombe climatique. Il contient 400-500 milliards de tonnes de carbone, soit le triple de toutes les forêts tropicales de la planète. Avec la contribution des microbes dégelés, ce carbone se retrouverait dans l'atmosphère sous la forme de CO2 ou de méthane — les gaz à effet de serre les plus puissants.
«Les plus grandes réserves souterraines de yedoma riche en matière organique se trouvent au Nord-Est de la Yakoutie. Heureusement, c'est la région la plus froide. La température annuelle moyenne y est de —6-8°C, et la communauté internationale était tranquille jusqu'à présent: s'il commençait à fondre, cela arriverait à la fin du siècle: que nos enfants s'en occupent», poursuit Sergueï Zimov.
«La majeure partie du carbone organique se trouve dans les trois mètres supérieurs. Or ils dégèlent en deux ans. La matière organique est fraîche et au moins 1% du carbone se convertit en CO2. Si cela arrivait sur une grande superficie, les émissions du pergélisol dépasseraient le facteur anthropogène. Prenez 10-20% de méthane, multipliez par 25 et vous obtiendrez l'effet climatique de la fonte du pergélisol russe, qui dépasse plusieurs fois l'effet de l'industrie», explique le biologiste.
Une steppe à mammouths… sans mammouths
La communauté internationale lutte contre le changement climatique en réduisant les émissions industrielles de gaz à effet de serre. Sergueï Zimov doute que cela soit efficace.
«Même si nous arrêtions toutes les usines, la fonte du pergélisol ne pourrait être arrêtée, de toute évidence. Les microbes se sont déjà réveillés», constate-t-il.
Sur chaque kilomètre carré vivaient au moins un mammouth, cinq bisons, huit chevaux, quinze cerfs, ainsi que des bœufs musqués, des rhinocéros laineux, des saïgas, des cerfs, des mouflons des neiges, des élans, des lions des cavernes, des loups et des carcajous. C'était un écosystème très productif capable de nourrir d'immenses troupeaux de grands ongulés et de prédateurs.
Grâce au nombre élevé d'animaux, la verdure était entièrement mangée, seules les plantes à croissance rapide pouvaient survivre, et la neige était tassée. La steppe était recouverte de céréales et d'herbes à longues racines aspirant l'eau à grande profondeur. Le sol était bien plus sec qu'aujourd'hui. Dans un tel état, la steppe à mammouths a existé pendant au moins 30.000 ans en survivant à plus d'un changement climatique.
Il y a environ 10.000 ans, le climat s'est réchauffé, les glaces ont reculé, ce qui a permis à l'homme d'atteindre le Nord. Ce dernier a commencé à chasser la mégafaune de mammouths et a réduit très rapidement le troupeau d'herbivores. L'herbe non consommée a séché, le sol s'est engorgé. Les vastes espaces de steppe ont cédé la place à une taïga infranchissable, aux marécages et à la toundra.
Cependant, le processus peut être renversé en élevant activement des ongulés en Arctique, estime Sergueï Zimov. Il cite l'exemple de l'île Vrangel. Il y a cent ans, un maximum de 300 cerfs aurait pu s'y nourrir. Actuellement, 8.000 cerfs et plus de 1.000 bœufs musqués vivent sur l'île. «Ce qui a considérablement augmenté la productivité des communautés végétales. L'herbe pousse à chaque endroit où elle a été arrachée. Ne vous inquiétez pas pour les pâturages», affirme Sergueï Zimov.
En 1996, il a initié une expérience scientifique unique dans la vallée de la Kolyma. Un terrain clôturé de 50 ha a été peuplé par des chevaux de Yakoutie, des élans et des cerfs du Nord. Dix ans plus tard, ce parc s'est élargi jusqu'à 2.000 ha pour y installer des bœufs musqués depuis l'île Vrangel, des bisons de la région de Moscou, des yaks, des vaches de Kalmoukie et des brebis du Baïkal.
En 2001, le personnel du parc a dégagé une partie des parcelles d'une couche de mousse pour provoquer la fonte du pergélisol. Des animaux y ont été lâchés pour observer le changement de ce nouveau milieu d'habitat.
«Ce n'est plus un pâturage plat, mais très productif. Tout se recouvre d'herbe rapidement», explique Sergueï Zimov. Il est convaincu qu'en organisant des parcs identiques dans d'autres parties de la toundra, notamment là où les sols sont perturbés, la dégradation du pergélisol pourrait être ralentie.
En été, les animaux mangeront la végétation, et en hiver ils piétineront la neige pour trouver l'herbe, retirant ainsi la couverture qui réchauffe le sol. Au final, selon les estimations du spécialiste, la température du pergélisol pourrait ainsi diminuer de quatre degrés.
Grâce aux pâturages, il est possible d'obtenir un effet de plus grande ampleur, indique-t-il. Le fait est qu'en toute saison les pâturages sont plus clairs que la taïga et même les steppes que personne ne broute. Par conséquent, le sol reflétera davantage la lumière du soleil et se réchauffera moins.
«Si l'expérience était menée sur une plus grande superficie, le climat se refroidirait davantage grâce à l'albédo», conclut Sergueï Zimov.