«La Guinée équatoriale, la Centrafrique et le Tchad sont des pays frères au sein de la CEMAC. Depuis la tentative de putsch [contre le Président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, ndlr], le Président centrafricain et son homologue de Guinée équatoriale se sont plusieurs fois rencontrés. Ce qui est une preuve qu'ils sont proches les uns les autres. La Centrafrique et le Tchad ont été accusés par Malabo d'avoir voulu fomenter un coup d'État. C'est normal au vu des preuves dont disposait la Guinée équatoriale. Mais les présidents tchadien et centrafricain ont fait leur mea culpa d'une façon diplomatique», explique en exclusivité à Sputnik le Tchadien Djanobar Agar Garledji, docteur en Sciences politiques et expert dans plusieurs ONG continentales.
Ce réchauffement amorcé sous l'égide de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), qui compte six États membres (Cameroun, République centre africaine, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad) a commencé le 4 janvier 2018 au lendemain du «putsch manqué» du 27 décembre 2017 contre le Président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Reçu à Malabo, le ministre tchadien des Affaires étrangères avait d'ailleurs été sommé de s'expliquer:
«Je viens de m'entretenir avec le Chef de l'État sur la situation sécuritaire dans la sous-région. Le coup d'État déjoué fin décembre ici en Guinée équatoriale est une sérieuse menace qui concerne toute la sous-région d'Afrique centrale», avait reconnu Mahamat Zen Cherif, ministre tchadien des Affaires étrangères, au sortir de son entretien.
Complot déjoué
«Si l'on en croit les services de sécurité du Cameroun, de Guinée équatoriale et de France, Bangui aurait servi non seulement de base arrière dans le montage du complot déjoué par Malabo, mais aussi de lieu de recrutement de certains éléments à cette tentative de putsch avortée. Le Tchad est le pays où ils ont obtenu leurs visas d'entrée», selon une note confidentielle qui avait fuité et que Sputnik a pu se procurer.
À partir de ce moment, les relations entre la Guinée équatoriale et le Tchad étaient devenues glaciales:
«Cette affaire a mis à mal les relations entre la Guinée équatoriale et la Centrafrique parce que le Président Obiang a mal digéré le fait qu'un pays qu'il a toujours soutenu financièrement lui plante un couteau dans le dos», a déclaré à Sputnik l'analyste équato-guinéen Eleme Asumu.
Le procès des ressortissants centrafricains accusés d'avoir comploté contre le Chef de l'État équato-guinéen qui a débuté à Bata, fin mars 2019, est un embarras additionnel pour Faustin-Archange Touadera. Sans raison apparente, il a été suspendu dix jours après avoir commencé, avant de reprendre à la mi-avril.
«Le Président Faustin-Archange Touadera a intérêt à ne pas voir la situation s'envenimer au vu de l'assistance quasi régulière que lui apporte la Guinée équatoriale, surtout sur le plan financier», estime au micro de Sputnik Anastasio Minko Mikue, membre de la société civile équato-guinéenne et auteur de plusieurs ateliers sur la paix en Afrique centrale.
Manœuvres de réconciliation
De plus, la lettre de félicitations pour son anniversaire que le Président de Guinée équatoriale lui a envoyée le 11 avril 2019 a coïncidé avec l'arrestation d'Andrés Esono Ondo, le leader du CPDS, à 500 km de Ndjamena, en compagnie de Saleh Kebzabo, président de l'UNDR, un autre parti d'opposition équato-guinéen.
«C'est une technique habile du Président équato-guinéen, dans la mesure où le Président centrafricain est né le 21 avril et non le 11 avril, soit des félicitations avec 10 jours d'avance, ironise un militant de l'opposition ayant requis l'anonymat. Bien que peu protocolaires, elles traduisent un réchauffement des relations entre les deux Présidents, a précisé cette source à Sputnik. Souvenez-vous que la même maladresse avait été commise en octobre 2018 lors du dépouillement des élections présidentielles camerounaises. Le Président Obiang avait félicité dans un communiqué lu à la télévision d'État son homologue camerounais, Paul Biya, alors même que le Conseil constitutionnel camerounais siégeait encore sur les recours à annulation d'autres candidats», a ajouté cette source.
La délocalisation le 19 février 2018 de la commission de la CEMAC de Bangui à Baney, situé à une quarantaine de kilomètres de Malabo, par le président en exercice de la CEMAC d'alors, le Tchadien Idriss Déby Itno, a encore accentué les tensions.
«On avait juste déplacé une partie des fonctionnaires de la commission parce que la situation sécuritaire à Bangui était devenue critique. La Guinée équatoriale a accepté de les accueillir, mais le siège de la CEMAC reste à Bangui», a déclaré à Sputnik un diplomate du parlement de la CEMAC à Malabo.
L'absence de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo au sommet de la CEMAC tend également à montrer qu'il se méfie toujours de son homologue tchadien, compte tenu du rôle joué dans le coup d'État avorté de décembre 2017 par le général de brigade tchadien Mahamat Kodo Bani Godi. Ce dernier a servi de 1990 à 2005 dans les services de sécurité présidentielle du Tchad, la fameuse Garde républicaine d'Idriss Déby, avant de faire défection et rejoindre en novembre 2008 l'Union des Forces pour le changement et la Démocratie (UFCD), mouvement rebelle de l'est du Tchad. Il était l'homme de la situation, d'autant que, selon les médias équato-guinéens proches du pouvoir, ce coup d'État avait été orchestré avec le sergent équato-guinéen Abassolo.
«Lui qui ne manque pratiquement jamais les sommets sous-régionaux, d'aucuns diront que c'est un message clair du désaveu de Malabo à Ndjamena», commente pour Sputnik le politologue équato-guinéen Ekua Asekou.
Certains États, à l'exemple de la Guinée équatoriale, préfèrent la coopération régionale à l'intégration régionale. En froid depuis le début des frictions en 2017, les relations entre le Tchad, la Guinée équatoriale et la République centrafricaine en ont été affectées, de même que les relations avec certains pays limitrophes comme le Cameroun. La Guinée équatoriale entretient des relations pour le moins mitigées avec son grand voisin, souvent entachées d'expulsion des ressortissants camerounais et de fermetures régulières des frontières.