Souvenez-vous de cette vidéo qui tournait en boucle en 2011, de Ce Soir ou Jamais, l'émission de Frédéric Taddéi sur France 3 où Michel Collon s'échauffait sur l'intervention occidentale en Libye et les «médiamensonges». Un des seuls médias en France où le journaliste engagé a pu développer son propos et se faire connaître auprès du grand public. Une voix rarement entendue ailleurs, car son discours dérange. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il fonde en 2004 le collectif Investig'Action.
Retrouvez les meilleurs moments de cet entretien en vidéo:
Que pense Michel Collon du contexte actuel de la révolte en Algérie qui a poussé Bouteflika à la démission, des troubles au Venezuela et des Gilets jaunes en France? Nous avons failli ne pas le savoir: alors que je montais dans le Thalys de 7 h pour Bruxelles, je reçois un message de sa part pour reporter l'interview. Bien que malade, il nous recevra finalement dans l'après-midi, chez lui, dans une banlieue résidentielle bruxelloise.
«La France, comme tout le monde, se pose des questions, comment ça va tourner, est-ce qu'il va y avoir ce que font les États-Unis partout, des "regime change", installations de marionnettes? La France joue peut-être plusieurs chevaux à la fois, ne sait pas très bien qui va l'emporter, mais une chose est sûre, la France n'est pas l'amie du peuple algérien, je parle de la France de Paris, la France de Macron, des multinationales qui sont derrière, ça n'est pas l'amie des peuples, donc pour moi c'est la méfiance.
Il y a tellement d'exemples où la France, comme les États-Unis, comme la Belgique, se sont présentés en humanitaires, on va faire le bien des peuples, on va apporter la démocratie, et puis ils apportent juste plus de dépendance, donc plus de pauvreté, en fait toujours du colonialisme. Pour moi, on n'est pas sortis du colonialisme.»
Le fondateur d'Investig'Action se méfie des révoltes populaires «spontanées», régulièrement orchestrées de loin par Washington. Pourtant il est difficile de voir a priori dans le soulèvement algérien une quelconque immixtion d'une puissance occidentale. Michel Collon reste toutefois sur la réserve:
«Si des peuples se mobilisent pour obtenir plus de démocratie, un partage des richesses honnête et pas comme maintenant, tout dans certaines poches et les autres qui n'ont pas de boulot, et l'utilisation des ressources nationales, minières et autres, pour apporter du social aux gens, je suis à fond pour. Les peuples ont le droit de décider qui doit les diriger, qu'est-ce qu'il faut faire avec leur argent, leurs ressources, leur économie […] Une révolte populaire oui. Une ingérence et une confiscation par les grandes puissances, non.»
«Là, on voit Macron, et avant lui Sarkozy et Hollande, qui montrent le bout de leur nez et qui disent, ça ne nous plaît pas. Pourquoi? Parce qu'il ne laisse pas faire les multinationales étrangères qui confisquent le pétrole comme avant. Macron, qu'il s'occupe des problèmes de la France, il y a une pauvreté épouvantable en France, il y a un mécontentement social en France! Commencez par résoudre ces problèmes-là, commencez par faire payer vos amis, les oligarques français, et alors peut-être vous pourrez donner votre avis sur les autres pays du monde.»
L'Algérie et le Venezuela, deux cas très récents de conflictualités et de révoltes. Sans verser dans le complotisme, comment y voir plus clair? Travaillant depuis de longues années sur la propagande de guerre, s'inspirant des travaux de l'historienne belge Anne Morelli, Michel Collon a contribué à populariser le terme de médiamensonge, qu'il nous explique:
«Si on décide de faire une guerre contre un pays, on ne va évidemment pas dire qu'on veut voler son pétrole, son gaz, ses richesses […] Donc on va dire qu'on vient pour la démocratie, pour protéger les minorités, pour émanciper les femmes, contre le terrorisme, c'est le prétexte parfait […]
La propagande de guerre se caractérise par le fait de toujours cacher les intérêts économiques, de toujours cacher l'histoire, c'est-à-dire le rôle que les puissances coloniales ont joué pour diviser et régner, pour dresser les peuples les uns contre les autres et garder le contrôle.
Ça se caractérise par démoniser l'atmosphère, c'est-à-dire présenter les images de préférence qui le montrent [l'ennemi, ndlr] comme un monstre, comme un grand danger, etc., inverser l'agresseur et l'agressé. […]
Le cinquième principe de la propagande de guerre, c'est de monopoliser le débat […] À la télé, on n'a qu'un seul avis, il n'y a pas de débat contradictoire, il faut toujours être pour la guerre.
Ces cinq principes de la propagande de guerre, c'est ça ce que j'ai appelé le médiamensonge.»
«Les médias ne sont pas là pour informer le public, mais pour lui faire accepter les décisions, les choix, les stratégies des gouvernements.»
Il en veut pour preuve l'intervention française en Libye sur laquelle tout inventaire, toute analyse critique ont été d'ores et déjà été exclus dans l'Hexagone, contrairement au Royaume-Uni, où le Parlement dressait en 2016 un rapport accablant pour Nicolas Sarkozy:
«La campagne de Libye est un festival de fake news et la grande question, c'est pourquoi les journalistes qui ont fait ça refusent qu'on en débatte et qu'on en discute maintenant? Pourquoi faut-il tourner la page et oublier ce qu'il s'est passé? […] En Libye maintenant, vous avez deux ou trois gouvernements, vous avez la chasse aux Noirs, la chasse aux immigrés, la chasse aux femmes, vous avez de l'esclavage, c'est un foyer de terrorisme.»
Des propos qui prennent davantage de sens alors que la Libye continue d'être la proie d'affrontements violents. Derniers en date au moment où nous publions cet entretien, le 5 avril, les forces du maréchal Khalifa Haftar, maître de l'Est libyen, marchent sur la capitale, Tripoli.
«Je ne suis pas antisémite, j'ai combattu toute ma vie contre le racisme […] Ceux qui m'accusent d'être antisémite sont incapables de citer une phrase d'une vidéo, une ligne d'un article ou d'un livre, ils prennent toujours soin d'éviter le livre où je parle d'Israël, c'est "Israël, parlons-en". Personne n'a jamais été capable de me citer une seule ligne qui serait raciste. En tout cas, le racisme anti-juif, c'est ignoble, c'est scandaleux, je le combats partout où je le rencontre, comme tous les autres racismes.»
Répondant à ces proximités supposées avec les personnalités évoquées, il dit n'avoir rencontré Thierry Meyssan et Dieudonné, qu'un une seule fois, à Beyrouth, en 2005, à l'occasion d'un congrès pour la Paix. Concernant le cas Soral, il se montre particulièrement virulent vis-à-vis du polémiste, condamné récemment à un an de prison ferme pour injure et provocation à la haine raciale. Michel Collon a même décrypté l'idéologie «soralienne» dans un livre paru en 2017, Pourquoi Soral séduit:
«Soral est peut-être bien l'intellectuel français qui a été le plus populaire dans la jeunesse, qui a encore beaucoup d'influence et je pense que cette influence est négative. Parce qu'il surfe sur des mécontentements, sur le mépris envers la jeunesse, sur le mépris envers les immigrés […] Soral emmène les gens vers la haine contre le Juif; précisément, il assimile complètement Israël et les Juifs. Il dit ne pas être anti-juif, mais si on le lit dans le texte, on voit bien que si. Soral roule pour le FN qui selon moi, est une fausse alternative, une fausse résistance, qui est un parti patronal quand on lit son programme.»
Chantre de l'anti-impérialisme, ancien militant au Parti du Travail de Belgique, il pourrait en France être associé à La France Insoumise. Lui qui explique provenir d'une famille bourgeoise catholique de Bruxelles, inspiré peu à peu par des lectures de Marx, en passant par mai 68. C'est ainsi qu'il dénonce au sein de la gauche française des tendances trotskystes, s'alignant sur des positions néoconservatrices:
«J'aurais voté pour Mélenchon si j'avais été Français, mais je constate qu'autour de lui, il y a des gens qui ont toute sorte de stratégies, de pensées. Il y a une grande maladie en France très forte, on ne débat pas avec les gens avec qui on n'est pas d'accord. Et on trouve ça au PC, chez les trotskystes du NPA, chez des gens qui se disent anar […] Au PC, au NPA, chez les anars, il y a eu des majorités importantes pour appuyer la guerre de l'Otan, c'est impensable.
Avant, ces gens-là manifestaient contre la guerre au Vietnam, contre la guerre en Irak, toujours contre les guerres coloniales, et maintenant ils sont avec […] La gauche est divisée parce que dans le temps, quand les États-Unis ou la France faisaient une guerre coloniale, il y avait des manifs tout le temps, les syndicats, les dockers bloquaient les transports d'armes, il y a eu des choses héroïques qui ont été faites.
Maintenant, une guerre, ça passe comme une lettre à la poste, on avale les trucs des médias, on avale l'idée que c'est humanitaire, comme si Total, Bouygues, Exxon pouvaient faire des guerres humanitaires».