«Nous n'avons pas forcément de nouvelles» de 200 à 300 enfants de djihadistes français en Irak et en Syrie, confessait à France 2 Laurent Nuñez, secrétaire d'État à l'Intérieur, le 28 mars. Faut-il s'en inquiéter?
C'est chez eux que la propagande de Daech* a fait le plus de dégâts. Endoctrinés dès l'enfance, exposés au pire de la barbarie djihadiste, parfois forcés de mutiler ou de tuer, les «lionceaux de Daech», formés au djihad et empreints de son idéologie représentent-ils à terme une menace significative pour la sécurité des Français? C'est l'une des questions soulevées par un rapport parlementaire publié en juillet dernier sur «l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique*».
En dehors de ces enfants, ces ressortissants sont souvent des jeunes; hommes ou femmes, Français, parfois étrangers, souvent binationaux, ils ont combattu dans les rangs de Daech* ou ont montré leur volonté de rejoindre l'État islamique*.
Quelles caractéristiques partagent-ils? Chez nos voisins espagnols, l'institut royal Elcano a publié un rapport intitulé «Djihadisme et djihadistes en Espagne» pour tenter de dresser le portrait de ceux qui menacent le pays et savoir comment leur profil a évolué depuis l'apparition de Daech*.
En s'appuyant sur les rapports d'Interpol, du ministère de l'Intérieur, du Sénat et de l'Assemblée nationale traitant des problématiques liées au terrorisme, Sputnik a identifié les points communs entre les candidats au djihad avant l'apparition de l'État islamique* et après la proclamation du califat en 2014. Et entre les «lionceaux», les «revenants» ou encore les «velléitaires», plusieurs profils se dégagent.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les «revenants», ces combattants partis rejoindre l'État islamique*, ne représentent pas la principale menace en France. S'ils sont aguerris au maniement des armes et formés à la fabrication d'explosifs, les autorités ne considèrent qu'ils sont réellement dangereux que s'ils sont rentrés en France clandestinement, auquel cas ils sont soupçonnés d'avoir été missionnés pour organiser des attentats sur le territoire national.
Une autre menace à long terme est celle que représentent ceux que le «califat» appelait ses «lionceaux». Ces enfants élevés sous la férule de Daech*, ont reçu un entraînement militaire, subi un endoctrinement important et ont été témoins, voire acteurs, d'exactions. Si les rapports sont unanimes quant à la nécessité de traiter les enfants comme des «victimes des agissements de leurs parents» et de leur assurer un suivi psychologique, ils n'en excluent pas moins le fait qu'à terme, certains de ces enfants de la République peuvent représenter une menace pour la sécurité intérieure.
«Les services de renseignement estiment que la dangerosité d'être portée par un enfant revenu du djihad à l'âge de cinq ans ne s'exprimera pas avant un délai de plusieurs années. […] La dangerosité potentielle des mineurs, qu'ils soient "returnees" ou non, ne doit pas être minimisée», soutient un rapport parlementaire publié en juillet dernier.
Ce ne sont cependant ni les «revenants» ni les «lionceaux» qui font peser sur la France la plus grande menace, mais bien ceux que les autorités appellent les «velléitaires» ou «résidents»; les personnes qui envisageaient de partir pour la Syrie, mais qui n'ont pu mener à bien leur projet.
«Les individus les plus dangereux sont les frustrés, les velléitaires, ceux qui ont été empêchés de se rendre en Irak ou en Syrie. Ceux-là nous en veulent toujours, et doublement, puisqu'ils n'ont même pas eu l'occasion d'être déçus», soutient l'une des personnes entendues par la commission d'enquête parlementaire en juillet 2018.
Qu'importe qu'ils aient rejoint la Syrie, qu'ils soient rentrés en France ou qu'ils ne soient jamais partis, tous ces profils partagent un certain nombre de caractéristiques. Certaines sont des constantes depuis les années 1990, tandis que d'autres découlent directement de ce que les autorités appellent la «dynamique de territorialisation» de l'État islamique*.
Bien que l'émergence de Daech* soit associée à une plus grande diversité des profils, entre 2007 et 2017, les djihadistes menaçant la France et sa population étaient en majorité Français, d'origine maghrébine, âgés de 15 à 30 ans, issus de familles monoparentales ou dysfonctionnelles et vivant dans des quartiers prioritaires. Le cœur idéologique est quant à lui toujours fondé sur un sentiment de discrimination, voire d'injustice pour se positionner en tant que défenseur d'une minorité musulmane opprimée.
S'il est possible d'observer des constantes de 2007 à 2017, la logique de territorialisation de Daech*, consécutive à la proclamation du califat, a en revanche permis de développer l'attractivité des zones de conflit. Alors que seule une quarantaine de Français sont partis se battre en Afghanistan entre 2001 et 2012, ce sont près de 1.500 de nos ressortissants qui ont grossi les rangs de l'État islamique* entre 2014 et 2015.
Pour autant, ces éléments ne suffisent plus à dresser un portrait-robot du djihadiste français. Au profil «traditionnel» s'ajoute en effet un profil plus difficile à identifier.
À partir de 2014, les autorités ont observé une progression inquiétante de l'idéologie islamiste parmi des populations relativement épargnées jusque-là, par exemple au sein des réfugiés venus du nord Caucase dans les années 1990.
Selon plusieurs rapports parlementaires, ces nouveaux convertis sont plus difficiles à identifier du fait qu'une «part importante» d'entre eux ne fréquente pas les mosquées et se radicalise en dehors des cercles traditionnels, sur les réseaux sociaux, au contact d'associations supposément humanitaires, durant des voyages ou auprès de contacts amicaux, familiaux, voire carcéraux.
Cette diversification des profils est problématique pour la DGSI et la DGSE, puisqu'elle tend à diminuer le lien entre délinquance de droit commun et terrorisme, ce qui, dans les faits, se traduit par la méconnaissance de nombreux nouveaux candidats au djihad par les services de police. Sur les 1.432 partis faire le djihad auprès de Daech*, près de 50% n'étaient pas surveillés, ni même connus des forces de l'ordre.
Une diversification des profils d'autant plus problématique qu'elle vient s'ajouter à une augmentation du nombre de personnes à surveiller. En 2017, 705 personnes ont été arrêtées dans l'Union européenne en lien avec une affaire de terrorisme, dont 373 en France. À titre de comparaison, elles n'étaient que 260 en 2007 et 139 sur le territoire national.
*Organisation terroriste interdite en Russie