«Un projet inhumain»: au Québec, les taxis en colère contre une loi qui favoriserait Uber

© Sputnik . Natalia Seliverstova / Accéder à la base multimédiaUn taxi de Uber
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Des milliers de chauffeurs de taxi sont mécontents au Québec. Ils accusent un nouveau projet de loi du gouvernement Legault de privilégier la compagnie Uber. Quel avenir pour les taxis «normaux» dans la Belle Province? Entrevue avec Hicham Berouel, l'un des leaders pro-taxis, et l'économiste Germain Belzile, favorable à la libéralisation.

Un peu partout dans le monde, l'entreprise Uber suscite encore la colère de chauffeurs de taxi. En France, on se souvient des manifestations de 2015 contre l'arrivée de ces taxis 2.0. Ces manifestations avaient provoqué des tensions et bloqué la circulation. À Paris, des dizaines de voyageurs avaient manqué leur vol aux aéroports.

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En janvier dernier, un autre épisode de la saga s'est déroulé à Madrid, en Espagne, où la police antiémeute a dû intervenir pour débloquer la circulation. Le 16 mars dernier, des manifestations anti-Uber avaient aussi lieu dans la capitale de Bogota, en Colombie.

Le Québec n'échappe pas à ce mouvement mondial. Partout où Uber s'installe, des chauffeurs de taxi crient à la concurrence déloyale. Le 25 mars dernier, des milliers de chauffeurs ont fait la grève pour protester contre la réforme de l'industrie du taxi de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Une réforme destinée à normaliser la situation d'Uber.

​Le projet est présenté par le nouveau ministre des Transports du Québec (MTQ), François Bonnardel. Rapidement, de nombreux acteurs de l'industrie du taxi ont dénoncé l'initiative du gouvernement de François Legault:

«On ne peut tolérer un projet de loi aussi inhumain que le projet de loi 17. Il faut que le gouvernement de François Legault retire totalement ce projet de loi, qui anéantit la vie de 22.000 familles. Nous allons nous faire entendre pour alimenter sa réflexion», a affirmé par communiqué Abdallah Homsy, porte-parole de l'industrie du taxi.

Le projet de loi prévoit de déréglementer cette industrie afin de l'ouvrir aux compagnies comme Uber et Lyft. Selon le ministre Bonnardel, le projet est «bon» et avantagera aussi les chauffeurs de taxi traditionnels. Le projet permettrait de simplifier le mode de fonctionnement de l'industrie dans son ensemble.

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Hicham Berouel, l'un des leaders du mouvement pro-taxis, conteste les propos du ministre. Au contraire, il estime que le projet de loi nuira beaucoup aux chauffeurs de taxi. Interrogé par Sputnik, M. Berouel a répété que le ministre était «insensible à la situation» des chauffeurs de taxi. Le gouvernement permettrait également à Uber de contourner les règles:

«Nous ne sommes pas vraiment contre Uber. Nous sommes contre l'iniquité. Si Uber respectait les mêmes lois que nous, il serait le bienvenu. On voudrait que tout le monde patine dans la même patinoire [se soumette aux mêmes règles, ndlr], mais ce n'est pas le cas en ce moment, et ce ne sera pas le cas avec la nouvelle loi», a d'abord souligné Hicham Berouel en entrevue.

M. Berouel explique que les chauffeurs de taxi perdront beaucoup d'argent. Au Québec, le prix d'un permis de taxi peut s'élever jusqu'à 200.000 dollars CAD (132.000 euros). En abolissant le système des permis, le gouvernement de la CAQ réduirait à néant le prix des permis en vigueur. Selon ce leader du mouvement, le gouvernement devrait au moins rembourser la valeur des permis. L'adoption du projet est prévue en 2020.

«Pour exercer ce travail, le gouvernement du Québec exigeait d'avoir des permis. Certains chauffeurs ont payé récemment leur permis 60.000 dollars canadiens [40.000 euros, ndlr]. Après cette loi, ça vaudra 0$. Je trouve que le ministre est insensible à cette situation et qu'il s'est montré cavalier», s'est indigné Hicham Berouel.

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M. Berouel dit donc comprendre la «frustration profonde» de ses collègues. Il craint aussi que l'offre de taxis ne devienne beaucoup trop grande au Québec.

«Le service de taxi ne sera pas amélioré. Il y aura trop d'offre si on ne limite pas le nombre de véhicules. On a vu les résultats de ce genre de lois ailleurs dans le monde, par exemple à New York, où même des chauffeurs Uber sont sortis dans la rue pour dénoncer leurs conditions de travail. Si on ne limite pas le nombre de véhicules, cette situation va se produire», avertit le leader pro-taxis.

L'économiste Germain Belzile est plus optimiste. Maître d'enseignement à l'École des hautes études commerciales de Montréal (HEC), M. Belzile suit l'évolution de ce dossier depuis plusieurs années. En 2016, il a participé à la commission parlementaire de l'Assemblée nationale sur l'état de l'industrie du taxi. Il estime que l'abolition du système de permis permettra d'équilibrer naturellement l'offre et la demande:

«Ce système est génial, car lorsque la demande est plus forte, il y a plus de gens qui s'ajoutent et se joignent à l'industrie pour offrir leurs services. L'offre rejoint la demande beaucoup plus facilement. C'est un système beaucoup plus moderne et bien meilleur que celui qu'on avait», a affirmé l'économiste au micro de Sputnik.

M. Belzile croit que les changements apportés sont nécessaires et inévitables, car le combat contre Uber serait «perdu d'avance».

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Selon M. Belzile, «il y a des changements technologiques importants qui se sont produits, et ces changements sont irréversibles. Les nouvelles technologies sont sur le marché, avec les applications et tout le reste. Il nous fallait moderniser cette entreprise-là qui n'avait pas bougé au Québec depuis cinquante ans. […] C'est l'inévitable modernisation de l'industrie du taxi.»

Comme M. Berouel, l'économiste pense toutefois que certains chauffeurs de taxi devraient être dédommagés par le gouvernement. Mais pas tous, car certains propriétaires de permis auraient engendré d'énormes profits en les louant à des chauffeurs.

«Il y a bien des gens dont le gouvernement n'aura pas besoin de dédommager, car ils ont fait beaucoup d'argent au fil des années. Il y a quelques personnes qui détiennent un grand nombre de taxis et de permis, et qui ne conduisaient pas elles-mêmes un taxi. Mais pour certaines personnes, on peut penser à une compensation», a soutenu M. Belzile.

Qui remportera cette bataille au Québec? Jusqu'à présent, tout porte à croire que ce ne sera pas l'industrie du taxi «traditionnel».

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