L'histoire retiendra cette affaire comme l'un des grands scandales politiques canadiens. Le 7 février dernier, la rédaction du Globe and Mail affirmait que le bureau du Premier ministre avait fait pression sur l'ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould. L'objectif du bureau de Justin Trudeau: inciter fortement Mme Wilson-Raybould à trouver un règlement à l'amiable avec la firme d'ingénierie SNC-Lavalin. Rappelons que cette firme a été accusée de corruption en Libye par la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Cette entente hors cour n'a jamais été conclue entre le gouvernement canadien et SNC-Lavalin. Selon Guy Bertrand, avocat québécois, le gouvernement aurait d'abord dû trouver une autre solution que cette éventuelle entente. Maître Bertrand est l'un des constitutionnalistes les plus renommés au Canada.
«On ne règle pas ce genre de problème en donnant à une entreprise un régime privilégié de non poursuite criminelle […] Comme avocat d'expérience, je peux vous dire qu'il y avait d'autres moyens sur le plan politique et commercial de faire comprendre à cette compagnie que son nom était brûlé. Il fallait plutôt que cette firme change de nom et de direction. D'autres entreprises l'ont déjà fait. On aurait pu éviter tous ces problèmes-là», a affirmé maître Bertrand en entrevue avec Sputnik France.
Non-respect de la séparation des pouvoirs
Le 27 février dernier, Jody Wilson-Raybould a toutefois livré un témoignage qui a fait l'effet d'une bombe. Selon elle, le Premier ministre est intervenu lui-même dans ce dossier. Elle affirme même avoir reçu des «menaces voilées» de l'entourage de Trudeau. D'une manière ou d'une autre, onze personnes auraient fait pression sur elle à la lumière de ses récentes déclarations.
«À ce moment-là [le 17 septembre, ndlr], le Premier ministre est intervenu, insistant qu'il y avait une élection au Québec et qu'il était un député au Québec. […] J'étais vraiment surprise. Ma réponse a été de poser au Premier ministre une question directe en le regardant dans les yeux. Je lui ai demandé: "Est-ce que vous intervenez politiquement dans mon rôle, dans ma décision en tant Procureur général? On m'a déconseillé de le faire"», a affirmé Jody Wilson-Raybould devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
«Au niveau politique, il y a eu une très grave erreur de la part du cabinet du Premier ministre. Cette erreur est inexcusable, car il y a trop de gens instruits dans ce milieu pour que l'on ne fasse pas la distinction entre l'indépendance judiciaire —la protection de la primauté du droit- et le politique. La primauté du droit ne doit jamais être en apparence attaquée, d'autant plus que la confiance des gens envers la justice est fragile comme du verre de cristal», a affirmé maître Bertrand.
«Si j'étais Procureur général du Canada, j'aurais pris la même décision que Mme Wilson-Raybould. J'aurais pris la même décision, parce que je trouve odieux que l'on poursuivre de nombreuses petites personnes, des citoyens ordinaires, et non des grands de ce monde […] Je pense que l'ancienne ministre Wilson-Raybould a suivi la loi, son code de déontologie et sa conscience. Elle s'est dit qu'elle ne faisait pas d'exception pour les criminels», a mentionné Guy Bertrand.