En Haïti, les heurts entre forces de l'ordre et manifestants ont déjà fait 26 morts et 77 blessés, selon la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH). Un signe de plus de la gravité de la crise politique que Haïti traverse depuis le 7 février dernier.
Plusieurs manifestations ont eu lieu dans la capitale, Port-au-Prince, pour réclamer le départ du Président Jovenel Moïse. Les opposants au Président l'accusent essentiellement d'avoir détourné des fonds du Petrocaribe, un prêt accordé à Haïti par le Venezuela. Selon l'ex-candidat à la présidentielle et chef de l'Union Nationale pour l'Intégrité et la Réconciliation (UNIR), Clarens Renois, le scandale du Petrocaribe a mis le feu aux poudres:
«Une enquête a été ouverte sur le Fond Petrocaribe, un programme financé par le Venezuela à la hauteur de plusieurs milliards de dollars pour aider Haïti. Malheureusement, l'argent n'a pas été bien dépensé. Des firmes ont eu de gros contrats et les projets n'ont pas été réalisés.
Il se trouve que M. Jovenel Moïse, qui a aussi des firmes, a bénéficié de ces contrats. […] C'est ce qu'a révélé la Cour supérieure des comptes d'Haïti. Le nom du Président figure parmi les personnes présumées responsables de cette vaste corruption», a affirmé M. Renois en entretien avec Sputnik.
«Nous avons toujours exprimé, dans nos déclarations ainsi que dans nos conversations diplomatiques, notre confiance envers la légitimité des institutions haïtiennes et ses élus», a déclaré l'ambassadrice américaine à Voice of America.
Une déclaration qui tranche avec l'attitude de Washington dans plusieurs pays, notamment au Venezuela, où le Département d'État a désavoué le Président Maduro et reconnu Juan Guaido dès le 23 janvier, jour où ce dernier s'est autoproclamé Président par intérim.
Clarens Renois estime qu'il s'agit surtout d'un «soutien conjoncturel», car ne pas reconnaître le Président en place pourrait aggraver la crise. Les États-Unis et la France, entre autres pays, seraient bien conscients de cette éventualité. Dans une certaine mesure, le soutien des États-Unis à Jovenel Moïse viserait donc à atténuer les tensions.
Washington a une grande influence en Haïti. Toutefois, il ne parviendra pas à faire pencher la balance du pouvoir, estime M.Renois. Si la crise devait durer, les Américains seraient incapables de renverser la tendance, à moins qu'ils n'interviennent directement, ce qui est peu probable. «La rue va l'emporter sur les États-Unis», a tranché notre interlocuteur.
«S'il y avait un autre mouvement populaire très important, qui réclamait la démission du Président, comme c'était le cas la semaine dernière, le soutien des États-Unis ne changerait rien à la situation. Les États-Unis ne pourraient pas décider du gouvernement en place», a affirmé M. Renois à Sputnik France.
Pour illustrer son propos, Clarens Renois donne l'exemple de Jean-Bertrand Aristide, plusieurs fois Président d'Haïti entre 1991 et 2004. En 2004, les États-Unis l'avaient officiellement appuyé, mais il avait été chassé du pouvoir à la suite d'un coup d'État.
«Dans le passé, en 2004, il y avait cette même situation. Le gouvernement américain avait apporté son soutien au Président qui était en exercice [Aristide, ndlr] et la rue avait fini par l'emporter, par le renverser. C'est un soutien ponctuel qui n'est pas une garantie de pérennité au pouvoir», a souligné Clarens Renois.
Clarens Renois observe la montée d'un certain sentiment antiaméricain en Haïti. Lors d'une récente manifestation contre le Président Moïse, un drapeau américain a été brûlé a et des gens présents ont réclamé l'aide de la Russie.
«Il y a une sorte de colère exprimée de temps en temps par des groupes et des associations de jeunes qui sont mécontents de la politique des États-Unis en Haïti. Cette colère s'exprime parfois ouvertement. […] Quand il y a ce genre de crises, on voit des manifestations de jeunes qui disent que les États-Unis ont trop d'influence», affirme M. Renois.
Jovenel Moïse, Président chouchou des États-Unis?
L'opinion publique haïtienne associerait Jovenel Moïse au pouvoir des Américains. Dans une certaine mesure, s'opposer au Président en place reviendrait aussi à s'opposer aux États-Unis. Le scandale du Petrocaribe est la principale source de la colère, mais l'influence américaine reste un thème important du débat.
«À tort ou à raison, on attribue l'élection du Président de la République, Jovenel Moïse, aux Américains. Comme pour l'ancien Président Michel Martelly, on pense que ce Président a été imposé par les États-Unis. Ce n'est toutefois pas seulement l'opinion publique qui attribue son élection aux Américains. L'universitaire brésilien Ricardo Seintenfus, il y a deux ans, a signalé dans son livre comment tout avait été manipulé», a souligné Frantz Voltaire.
«C'est plus vis-à-vis les politiques américaines que s'exprime un certain ressentiment. Depuis le tremblement de terre [de 2010, ndlr], on n'a pas vu où est passée l'aide internationale. On attribue à Bill Clinton le fait que tout ce qui a été promis ne s'est jamais matérialisé.
L'aide humanitaire a été gérée entièrement par les Américains et les ONG, et dans les deux cas, on n'a pas su ce qui était arrivé avec les ressources. Il n'y a pas eu d'audit ni de vérification», a dénoncé Frantz Voltaire.