Cela fait un an et demi que Sylvie Bermann occupe le poste d'ambassadeur de France en Russie. Alors que Paris et Moscou ont des regards différents sur des sujets de politique internationale, les deux pays œuvrent pour résoudre la crise syrienne et se montrent intéressés par le continent africain. Autre point de convergence: l'économie, où des projets conjoints, dont plusieurs dans le domaine de l'énergie, attirent des investissements et créent des emplois.
Ria Novosti publie des extraits d'une interview avec Sylvie Bermann, qui a également évoqué dans cet entretien la crise des Gilets jaunes et le refus de l'Élysée d'accréditer notre agence.
La situation en France n'est pas calme aujourd'hui avec les manifestations des Gilets jaunes qui n'en finissent pas. Est-ce que le gouvernement français dispose d'un projet détaillé pour la sortie de crise?
Le Président de la République a décidé d'un certain nombre de mesures, d'abord en ce qui concerne le pouvoir d'achat des Français et les mesures qui leur permettent d'avoir une augmentation de leur salaire, il y a eu également la défiscalisation des heures supplémentaires et par ailleurs pour entendre leurs doléances, il a organisé un grand débat national.
D'ailleurs sa cote de popularité est remontée après cela au même niveau qu'avant l'éclatement de la crise des Gilets jaunes.
En même temps, le rôle d'un gouvernement c'est de prendre des mesures contre les casseurs, c'est-à-dire des gens qui viennent [dans les manifestations, ndlr] non pas parce qu'ils ont des préoccupations économiques, mais pour susciter le désordre.
Pourquoi les journalistes de l'agence de presse russe RIA sont-ils interdits d'accès à l'Élysée? Pourquoi d'autres médias russes, Sputnik et RT, se sont vu refuser l'accréditation?
Je ne sais pas quelle est la situation aujourd'hui. Le Président de la République avait été très clair, il l'avait été dès le début à la conférence de Versailles avec le Président Poutine.
Il y a une réforme globale de Business France dans le monde. Business France a dû partir pour des raisons indépendantes de notre volonté, le directeur avait été expulsé à ce moment-là. Nous travaillons avec d'autres organisations françaises présentes pour assurer le soutien aux entreprises et nous réfléchissons à la structure définitive qui sera mise en place dans ce cadre.
Et qu'en disent les chiffres? Le volume des échanges entre les pays a-t-il augmenté ou diminué au cours de l'année dernière?
L'année dernière, le commerce entre la France et la Russie a augmenté. En termes d'investissements, on a été le deuxième investisseur en flux en 2017. Le troisième en 2018. Les investisseurs ne sont pas partis, les entreprises françaises sont restées après la crise et nous avons de nouveaux projets, y compris des projets d'investissements.
Et quelle est la situation dans le domaine du tourisme? Le flux touristique en provenance de France vers la Russie a-t-il augmenté? Et de Russie vers la France?
Il y a eu une augmentation du tourisme dans les deux sens. Il y a eu une augmentation du tourisme aussi à cause de la Coupe du monde. Dans le sens inverse, il y a eu 800.000 touristes russes en France ce qui est très important et nous nous en réjouissons.
Quels projets conjoints dans les domaines de l'économie et de l'énergie sont aujourd'hui négociés?
La décision d'Emmanuel Macron de réviser la directive gaz traduit-elle le changement de la position de Paris concernant le projet russe Nord Stream 2?
Je sais qu'il y a des discussions en prévision des réunions à Bruxelles, mais je n'ai pas d'informations précises. Nous nous coordonnons, naturellement, avec l'Allemagne sur ce sujet. [L'interview a été réalisée peu de temps avant que la France et l'Allemagne soient arrivées à un compromis en la matière, ndlr].
Pourquoi la France ne soutient-elle pas le projet Nord Stream 2?
Je sais qu'il y a une entreprise qui y est engagée. Il y a des discussions à Bruxelles concernant le rôle de la Commission.
Est-il vrai que M.Macron a annulé sa visite à Munich justement en raison du Nord Stream 2?
J'ai vu qu'il n'allait pas à la conférence de Munich, mais tous les Présidents n'y vont pas chaque année. Et puis, pour le moment, il est très engagé personnellement dans le débat national.
Revenons à la question ukrainienne. La France participe aux négociations du «Format Normandie» pour le règlement de la crise en Ukraine. Aucun progrès n'a été fait dans ce sens au cours des dernières années, Kiev continue de violer les accords de Minsk. Ne pensez-vous pas que ce format soit devenu obsolète?
Moscou et Paris coopèrent activement sur la Syrie. Un sommet sur la Syrie a réuni en octobre les dirigeants de la Russie, de la France, de l'Allemagne et de la Turquie. Quand une nouvelle rencontre pourrait-elle avoir lieu? Est-il envisagé d'y impliquer d'autres acteurs?
Non, je ne sais pas quand il y aura une nouvelle réunion dans ce format, ce que je peux dire c'est que c'était une réunion très utile qui a été suivie d'une déclaration précise sur l'ensemble des sujets: la mise en place du comité constitutionnel, les conditions du rapatriement des réfugiés sur une base volontaire et dans des conditions de sécurité, et une reconstruction qui sera possible quand le processus politique sera engagé.
[En ce qui concerne de nouveaux acteurs au format d'Istanbul, ndlr] je ne sais pas. Je sais qu'il y a une réunion du groupe d'Astana à Sotchi la semaine prochaine, nous verrons après comment les choses se passent. Aucune réunion au format d'Istanbul n'a pour l'instant été décidée. Et les Présidents Poutine et Macron continuent à avoir un dialogue sur la Syrie. Ils se sont parlé au mois de janvier sur ce sujet.
La Russie et la France ont mené une opération humanitaire conjointe en Syrie. Paris est-il prêt à rejoindre Moscou sur la question de la reconstruction de la Syrie?
Nous avons mené effectivement cette opération humanitaire l'été dernier dans la Ghouta orientale, avec les ONG, en coopération avec l'armée russe, nous sommes prêts à considérer d'autres opérations humanitaires de ce type. Pour ce qui est de la reconstruction, on a clairement déclaré que la France, comme l'UE, ne peuvent pas le faire dans le contexte actuel, et qu'il est important d'avoir un processus de transition politique pour le faire.
Et après la transition?
Quand il y aura un processus, je pense que ça sera fait dans un cadre européen. Au mois de mars il va y avoir une réunion européenne consacrée à la Syrie. Mais je pense que ce processus n'est possible que s'il y a un processus politique qui représente un équilibre entre les différentes parties.
Les États-Unis ont annoncé leur intention de retirer leurs troupes de Syrie. La France envisage-t-elle de leur emboîter le pas?
Je rappelle que nous sommes intervenus pour lutter contre Daech* qui nous menaçait directement puisque c'est à Raqqa, [par le, ndlr] soi-disant État islamique, qu'ont été organisés les attentats contre les citoyens français, en particulier au Bataclan.
Selon Donald Trump, il sera prochainement annoncé que l'ensemble des territoires syriens a été complétement libéré de Daech*. N'êtes-vous pas d'accord? Pourquoi la France maintiendra-t-elle sa présence en Syrie?
Je ne crois pas que la Syrie soit complètement libérée des terroristes. Il y a eu encore un attentat à Manbij au mois de janvier. Il y a un autre sujet qui est à considérer également, ce sont les prisonniers.
Cela veut dire que la France restera en Syrie?
Pour le moment, c'est en cours d'examen.
Quelles sont les perspectives de la coopération franco-russe en Afrique? Dans quels pays et dans quels domaines?
Je pense que c'est très bien que les pays africains aient de nombreux partenaires, il n'y a pas de concurrence, il y a une complémentarité. Ce qui est important c'est qu'en particulier en Centrafrique il y ait une coopération en particulier en matière de sécurité entre les diverses forces, y compris avec les Russes, avec les Nations-Unies et les organisations internationales et avec nous également.