Le gouvernement a concocté une petite surprise de Nouvel An pour les Français et elle risque de ne pas plaire. En effet, un décret, passé en catimini pendant la période des fêtes durcissant les conditions d'accès aux allocations chômage, est paru au journal officiel le 30 décembre dernier.
Le texte agit sur plusieurs dispositifs relatifs au chômage, puisqu'il modifie de nombreux aspects liés à cette prestation sociale, comme la mission de Pôle Emploi, les conditions de radiation de la liste des demandeurs d'emploi ou encore les conditions de suppression du revenu de remplacement.
Pour mieux comprendre les conséquences des modifications du droit du travail introduites par le décret relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d'emploi, Sputnik a accueilli Stéphane Viry, député Les Républicains de la 1re circonscription des Vosges et membre de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Sputnik: Que pensez-vous de ce texte dans son ensemble? Va-t-il, selon vous, dans le bon sens?
Stéphane Viry: «D'une part, c'est hélas, une tradition qu'à chaque fin d'année, le gouvernement essaye de passer catimini des décrets dont on sait qu'ils traitent de dossiers sensibles. C'est malheureusement le cas s'agissant de la question du chômage, un sujet sur lequel la France rencontre manifestement des difficultés de différents ordres. Il ne faudrait pas que la problématique soit simplifiée uniquement aux hommes et aux femmes en situation de chômage ni aller vers la stigmatisation de celles et ceux qui sont à la recherche d'un emploi.
D'autre part, il faudrait qu'il y ait une obligation de moyens, qui soient mis à disposition de ceux qui sont inscrits à Pôle Emploi. Je parle bien d'obligation de moyens et pas d'obligation de résultat, c'est à dire se mettre véritablement en position d'une reprise d'activité.
Il faut donc être pragmatique et admettre que ce n'est pas parce que quelqu'un est au chômage qu'il est un poids pour la Nation. Le fait est que la Nation ne peut pas offrir une situation de travail à tout un chacun et c'est bien sur cela qu'il faut que le gouvernement s'engage.»
Sputnik: Le décret dont nous parlons prévoit d'étendre «l'obligation d'accomplir des actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi». Que vous inspire ce point précis? Vous paraît-il justifié?
S. Viry: «La formulation "acte positif et répété en vue de retrouver un emploi" est sujette à interprétation. C'est l'ambiguïté de telles formules un peu incantatoires. Il est clair que si un demandeur d'emploi ne se met pas en position active d'aller chercher un emploi, soit parce qu'il va refuser des entretiens d'embauche, soit parce qu'il ne va pas, en amont, se mettre en position d'aller chercher une formation pour augmenter son employabilité, il va de soi que cette personne est en difficulté.
Demander une démarche proactive me paraît légitime. La formule est sujette à interprétation, donc qu'est-ce que le gouvernement entend par là? Si c'est simplement l'absence à un rendez-vous, ça me paraîtrait excessif et anormal. On peut un jour manquer un rendez-vous, soit parce que l'on a une difficulté d'ordre personnel, médical ou de mobilité. Il faut raison garder. Je ne voudrais pas que cela devienne le prétexte pour radier abusivement et trop facilement des demandeurs d'emploi.»
Sputnik: Ce décret prévoit également de sanctionner de la même manière une absence de justification, qui peut éventuellement être involontaire, qu'une déclaration mensongère ou frauduleuse, qui implique pour le coup une volonté de tricher. Cela vous paraît-il normal?
S. Viry: «Sur ce point, je ne suis pas d'accord. C'est parfois compliqué de remplir un formulaire et on n'est pas à l'abri qu'une personne ne comprenne pas la question ou soit maladroit dans sa réponse et il n'y a donc aucune intention de frauder ou d'aller chercher un droit à indemnisation qui serait frauduleux.
Si au contraire, un homme ou une femme n'a manifestement pas la volonté de travailler et est dans l'idée de tricher et d'abuser du système, c'est totalement différent. Un traitement identique aux deux cas de figure me paraît anormal, je ne suis pas d'accord.»
Sputnik: Quelle est votre position concernant le transfert de compétences du préfet vers le directeur de Pôle Emploi pour ce qui est des radiations de la liste des demandeurs d'emploi?
S. Viry: «La véritable difficulté, ce sont les moyens de Pôle Emploi pour assurer ces missions de contrôle. On sait déjà que Pôle Emploi est en difficulté dans certaines agences. Il a été porté à ma connaissance que certains conseillers avaient, a minima, 200 demandeurs d'emploi, parfois jusqu'à 1.000 dans leur portefeuille. C'est inadmissible et déraisonnable. Ce conseiller ne peut pas remplir sa mission d'aider un demandeur d'emploi à retrouver un poste.
Ca me paraît être quelque chose, là encore, d'assez contestable, compte tenu de la mission première de Pôle Emploi, qui n'est pas forcément de faire des contrôles au sens littéral et compte tenu de la charge de travail qu'ils ont déjà à faire du placement à l'emploi.
Pour tout vous dire, j'ai été le député qui a proposé, à la fin de l'année 2018, à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale de faire une mission relative à Pôle Emploi, à ses capacités opérationnelles, à son efficacité, à son placement par rapport à la question du monde du travail. Pôle Emploi est pour moi un vrai sujet. L'Assemblée nationale a validé cette mission, qui va débuter dans la deuxième quinzaine du mois de janvier et j'en serai le rapporteur, donc c'est un sujet sur lequel je m'investis personnellement.»
Sputnik: Selon vous, privilégier «la suppression du revenu de remplacement» à sa «réduction» ou à sa «suspension» va-t-il permettre d'inciter les chômeurs à retrouver du travail? Ne pensez-vous pas qu'il puisse y avoir une pression à accepter des offres qui ne correspondent pas?
S. Viry: «Je crois que c'est manifestement l'intention du gouvernement avec ce décret. C'est coûte que coûte réduire le chômage en faisant fi des caractéristiques du demandeur d'emploi et le contraindre à accepter n'importe qu'elle offre, même si elle ne correspond pas à son expérience, à son profil, à sa formation, à ses qualifications. C'est manifestement ce que le gouvernement veut. Ça me paraît très limite.
Contraindre des hommes et des femmes à faire tout autre chose de manière un peu brutale, un peu coercitive est une réponse un peu dure du gouvernement. Son intention est très lisible à travers ce décret.»
Sputnik: Une des solutions ne serait-elle pas d'échanger des mensualités de revenus de remplacement par une formation de valeur équivalente, pour quelqu'un de dire «je renonce à quatre mois de chômage qui valent 1.500 euros, du coup je demande une formation qui coûte 6.000 euros à la place»?
Sputnik: On pourrait se dire que ce décret vise à lutter contre l'assistanat, pourtant, le fait de ne plus prendre en compte le salaire antérieur pour déterminer si une offre d'emploi est «raisonnable» invite plutôt à penser que la volonté est de contraindre les demandeurs d'emploi à accepter des salaires plus faibles. N'y a-t-il pas un risque de nivellement par le bas des salaires pour les chômeurs?
S. Viry: «Il y a depuis plusieurs mois un vrai sujet. C'est le pouvoir d'achat; la capacité des ménages à vivre, à payer leurs factures et à aller de l'avant. Si, à travers ce décret, on contraint à un nivellement par le bas des salaires, ça va directement alimenter le problème du pouvoir d'achat. Ce serait une très mauvaise réponse à cette question essentielle qui a provoqué un certain nombre de mouvements citoyens depuis l'automne dernier. Votre question traduit la philosophie et l'intention du gouvernement à travers ce décret, bien sûr.»