En RDC, l'Église catholique insinue que l'opposition a remporté la présidentielle

© AFP 2024 PATRICK MEINHARDT un employé de la CENI
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En annonçant connaître le nom du vainqueur de la présidentielle, la conférence épiscopale en RDC, la CENCO, «met en garde» Joseph Kabila, suspecté de vouloir favoriser illicitement son dauphin. Une annonce «crédible» pour l'analyste Leslie Varenne, vu le rôle ancien de contre-pouvoir de la CENCO dans le plus grand pays catholique d'Afrique.

Quand en 1988, le pape Jean Paul II reconnaissait le rite zaïrois comme mouture légitime du rite liturgique romain, il n'entendait qu'autoriser une «procession en cadence». Pas plus que la danse, qu'aucun rite chrétien ne reconnaît, le roulement de tambour, une pratique prisée au Burundi voisin, ne fait partie du rite zaïrois.

Pourtant, ce 3 janvier 2019, à quelques jours de l'annonce officielle des résultats de l'élection présidentielle, l'Église catholique en République démocratique du Congo (RDC), franchit le Rubicon (ou le Tanganyika).

Le roulement de tambour porté par l'annonce de l'abbé Donatien Nshole, a largement contribué à chauffer l'ambiance post-électorale, dans ce pays sous extrême tension politique et sécuritaire depuis deux ans. Raison pour laquelle, probablement, le prélat se garda bien de donner le coup de cymbales.

En effet, prenant la parole devant un parterre de journalistes, au siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), le secrétaire général du collège des évêques congolais a affirmé que «les données en sa possession, issues des procès-verbaux des bureaux de vote, consacrent le choix d'un candidat comme président de la République».

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Pourtant aucune révélation fracassante comme le nom de l'heureux élu. La déclaration contenait surtout une mise en garde à peine voilée, adressée juste après à la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Cette institution réputée aux mains du pouvoir, à l'instar de ses homologues subsahariennes opérant comme instruments privilégiés de toutes les contorsions électorales, a été priée «en tant qu'institution d'appui à la démocratie, de publier, en toute responsabilité, les résultats des élections dans le respect de la vérité et de la justice».

Le peuple congolais, quant à lui, devrait veiller, en demeurant «vigilant… à l'aboutissement heureux du processus». Le choix du peuple, ajoute l'abbé Nshole en guise de dernier indice, «n'a pu être entamé considérablement» par les irrégularités relevées.

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«En fait, il semble que la déclaration de l'abbé Nshole soit une mise en garde à la CENI pour leur dire qu'ils ont, eux, leurs propres résultats. La CENCO avait déployé 40.000 observateurs sur le terrain, c'est énorme», décrypte pour Sputnik Leslie Varenne, présidente de l'Institut de veille et d'étude des relations internationales et stratégiques (IVERIS).

«Ils pensent à juste titre que le gouvernement de Joseph Kabila s'apprête vraisemblablement à proclamer Emmanuel Shadary vainqueur. Cela va être extrêmement difficile, parce que de tout ce qui revient, cela paraît impossible qu'Emmanuel Shadary soit élu. Il arriverait en 3e position derrière Martin Fayulu et Félix Tshisekedi et cela correspond à ce qui s'est passé pendant la campagne électorale.
Tout cela, ce sont des pressions comme toutes les déclarations et il y en a beaucoup du gouvernement américain, actuellement, pour que Joseph Kabila et son entourage ne commettent pas l'irréparable en proclamant Emmanuel Shadary vainqueur», analyse Leslie Varenne.

L'élection présidentielle du 30 décembre dernier opposait 21 candidats, dont trois favoris. Il s'agit de Martin Fayulu, «candidat unique» de l'opposition, jusqu'à la dissidence de Félix Tshisekedi, à la tête de l'UPDS, le parti d'opposition historique, autre favori de ce scrutin. Les deux camps se disaient largement en tête des élections, au lendemain du vote, alors que le candidat de la majorité présidentielle et ex-ministre de la Sécurité, Emmanuel Ramazani Shadary, s'est dit serein pour succéder à Joseph Kabila.

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Les trois reports de ce scrutin avaient permis à Joseph Kabila, que la Constitution n'autorisait pas à se représenter, de se maintenir au pouvoir deux ans après la fin de son dernier mandat, prévu en novembre 2016. La grave crise institutionnelle a été résorbée par une intervention de l'Église catholique, «très puissante dans ce pays», comme le rappelle Leslie Varenne. Dès lors, l'importance de «la mise en garde» tiendrait au moins autant à la légitimité dont se prévaut son auteur, qu'à son contenu lui-même.

«L'Église catholique est très puissante dans ce pays et c'est la seule à avoir accès à tous les coins de brousse les plus reculés. C'est la seule qui peut, dans n'importe quelle partie du territoire, avoir accès à un groupe électrogène par exemple. Donc forcément, ils ont des informations et l'annonce de l'abbé Donatien Nshole sonne comme une mise en garde contre le pouvoir. Une façon de leur dire qu'il faut que vous publiiez la réalité des urnes», poursuit Leslie Varenne.

La toute-puissance de la CENCO tient dans sa capacité à quadriller un territoire grand comme l'Europe de l'Ouest, en se basant sur un réseau de 1.445 paroisses, que coiffent 47 diocèses, eux-mêmes rassemblés dans six provinces ecclésiastiques, appelées archidiocèses. Dans un pays où la faiblesse du pouvoir central a souvent rimé avec un délitement du territoire, à la faveur des activités illicites de milices et groupes sécessionnistes, l'Église catholique apparaît comme «l'institution la plus ordonnée de la RDC», comme le rappelle le chercheur Laurent Larcher.

«Par son propre réseau, l'église catholique congolaise peut non seulement savoir ce qui se déroule dans l'immensité du pays et le faire savoir à l'extérieur de ses frontières […] La CENCO intervient dans tous les domaines qui concernent son gouvernement, sa pastorale, ses activités multiples et la société […]
Parmi les commissions qui la composent, une est dédiée spécialement à la défense de la dignité de la personne, la Commission Justice et Paix […] [Cette commission] est impliquée dans l'observation des élections [et] le suivi de la situation des droits de l'homme», Laurent Larcher «L'Église en République démocratique du Congo (encore) face au pouvoir», Notes de l'Ifri, Ifri, mai 2018.

La légitimité de l'Église catholique en RDC ne date pas de l'Accord de la Saint-Sylvestre qu'elle a arraché, le 31 décembre 2016, aux parties prenantes de la crise congolaise. Elle remonte d'abord à son implication dans le processus d'indépendance, à travers les prises de position de Joseph-Albert Malula et d'autres mouvements catholiques, rappelle le chercheur français.

Sa stature de médiateur de dernier ressort, basculant dans une franche opposition et pourfendant les «anti-valeurs», s'est certes cristallisée sous Joseph Kabila. Mais ses rapports mouvementés avec le prédécesseur de ce dernier, Mobutu, «le Léopard du Zaïre», confirme, toutefois qu'il s'agit d'une tradition dont l'ancrage n'a d'égal que l'implantation historique de cette institution, lointaine héritière de la colonisation portugaise du XVIe, qui passa le relais, vers la fin du XIXe siècle, aux Pères blancs de Léopold II, Roi des Belges.

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Après avoir fait acte d'acceptation de sa prise de pouvoir, en 1964, l'Église, par la voix du cardinal Joseph Malula, archevêque de Kinshasa, s'est opposée au virage dictatorial du régime de Mobutu à partir de 1966. Mobutu, qui n'appréciait pas que l'Église soit la seule institution à se soustraire à son autorité, le lui rendit bien en instaurant sa propre religion d'État et en adoptant des mesures anticléricales, comme le rappelle Larcher.
L'apaisement fut néanmoins au rendez-vous vers la deuxième moitié des années 70, et «signe de cette détente, Mobutu accueillit, à deux reprises, le pape Jean-Paul II (1980 et 1985)». Trois années plus tard, le rite zaïrois était reconnu par Rome.

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