En RDC, «le chaos post-électoral est assuré»

CC BY-SA 2.0 / Bart Wursten / Police of the Democratic Republic of Congo (DRC)
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La RDC ne connaîtra-t-elle sa première alternance politique pacifique ? Au lendemain d'une élection aux innombrables couacs, le pays encourt le risque d'un véritable «chaos post-électoral». Un danger catalysé par les foyers de tension qui écument le plus grand territoire d'Afrique subsaharienne.

Le scrutin présidentiel qui s'est déroulé dimanche 30 décembre en République démocratique du Congo (RDC) pourrait donner lieu à «un chaos post-électoral» dans ce pays sous une tension politique et sécuritaire extrême depuis deux ans.

Avec deux ans de retard, et au bout de trois reports, le scrutin présidentiel qui s'est tenu «ne sera pas crédible» en raison des nombreuses vicissitudes qui entachent le processus électoral, mais aussi le jeu politique, estime Leslie Varenne, présidente de l'Institut de veille et d'étude des relations internationales et stratégiques (IVERIS), dans un entretien à Sputnik.

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La volonté présumée de l'actuel président Joseph Kabila de peser sur l'issue de cette élection, à laquelle il ne se représente pas, en favorisant son dauphin Emmanuel Ramazani Shadary, fait craindre à l'opposition et à la société civile congolaises des fraudes massives.

Dimanche, des violences ont fait quatre morts dans la province du Sud-Kivu (Est) après qu'un agent de la Commission électorale a été pris en flagrant délit de fraude en faveur du candidat au pouvoir.

Par ailleurs, le chaos logistique qui régnait dimanche sur l'ensemble des centres de vote est de nature à permettre au candidat au pouvoir de brouiller les cartes ou d'annuler l'élection en cas de victoire et ce malgré les irrégularités de ses opposants, estime Leslie Varenne.

Des rapports de presse, partiellement confirmés par la Commission électorale, ont fait état de l'ouverture très tardive de plusieurs centaines de bureaux de vote, de problèmes techniques et d'indisponibilité du matériel électoral ayant émaillé le scrutin, ainsi que de fortes tensions ayant accompagné les opérations de vote.

Par ailleurs, le fait Béni, Butembo et Yumbi — villes de l'Est du pays connues pour être des bastions de l'opposition — soient exclues du scrutin présidentiel, a été interprété comme une volonté du pouvoir de favoriser l'élection d'Emmanuel Shadary, candidat de l'alliance présidentielle.

Pour sa part, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) avait justifié cette exclusion par l'insécurité régnant dans ces trois villes, en proie à l'action de milices locales et au virus d'Ebola, privant ainsi plus d'un million d'électeurs de prendre part au scrutin.

«Ces manœuvres, comme les différents glissements opérés par Joseph Kabila, sont perçus comme des indices renseignant sur les velléités de Kabila de rester dans le jeu politique, à travers Emmanuel Shadary. Cette situation aurait pu être évitée par l'installation d'une transition politique quand le pouvoir, invoquant des difficultés financières et techniques, s'est avéré incapable d'organiser des élections en 2016. Kabila a planifié son maintien, de facto, à la tête de l'Etat au-delà de son mandat. C'était sa seule solution pour pallier son incapacité à se maintenir au pouvoir en changeant la Constitution, comme certains de ses pairs africains», analyse Leslie Varenne.

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En janvier 2015, un projet de loi électorale conditionnant l'organisation de la présidentielle à un recensement de la population pour actualiser le fichier électoral a provoqué de violentes manifestations dans tout le pays.

La société civile et l'opposition dénonçaient alors une manœuvre du pouvoir pour reporter la présidentielle et maintenir Kabila à la présidence au motif qu'un tel recensement prendrait jusqu'à trois ans pour un pays grand comme l'Europe de l'Ouest.

Le soulèvement des Congolais s'inscrivait à l'époque dans une vague de contestations de présidents africains ayant tenté de torpiller la Constitution pour se maintenir au pouvoir. En octobre 2014, le président burkinabè Blaise Compaoré a été chassé du pouvoir suite à sa tentative de déverrouillage de la limitation des mandats constitutionnels. Quelques mois plus tard, le président burundais Pierre Nkurunziza a dû faire face à un soulèvement populaire en se présentant à un troisième mandat à la faveur d'une interprétation constitutionnelle controversée.

«Le glissement de Joseph Kabila aura duré, finalement, deux ans. Si le président congolais a finalement accepté d'aller aux élections, c'est qu'il ne pouvait plus se maintenir davantage en mode «glissement». Il ne pèsera pas moins sur l'issue du scrutin en mettant en avant son ministre de la Sécurité, Ramazani Shadary. Or, celui-ci est impopulaire à double titre, puisqu'il assume le bilan politique mais aussi répressif du président congolais», relève l'analyste française.

Le gouvernement de la RDC a souvent été épinglé pour ses multiples «exactions» et «restrictions» de la liberté d'expression des médias, notamment depuis la fin du dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila, en décembre 2016, et les protestations qui s'en suivirent.

La société civile congolaise, ainsi que de nombreuses ONG internationales, ont régulièrement dénoncé une «répression policière» contre les manifestants avec un bilan faisant état de plusieurs dizaines de morts.

Par ailleurs, une cinquantaine de prisonniers politiques croupissent encore dans les prisons de la RDC et quatre radios proches de l'opposition ont été fermées par les autorités, s'alarme l'Association congolaise pour l'accès à la justice (AJAC).

Ces accusations ont été formellement démenties à plusieurs reprises par les autorités congolaises qui ont assuré avoir libéré tous les prisonniers «dits politiques». L'action des forces de l'ordre sur le terrain est dirigée, quant à elle, contre «une minorité » qui sème le trouble et s'attaque aux forces de l'ordre, a justifié courant 2018 le porte-parole du gouvernement Lambert Mendé dans une interview à la station télévisée Al-Jazeera.

La présidente de l'IVERIS estime néanmoins que «l'opposition n'a pas joué son rôle dans la mesure où elle a accepté toutes les conditions du pouvoir».

«On ne va pas à une élection alors qu'il y a des prisonniers politiques, ni quand les listes électorales sont remplies de noms fictifs, ni quand la très importante diaspora congolaise (10 millions) ne peut pas voter, ni quand de nombreuses irrégularités ont accompagné le processus d'enrôlement, ni quand on refuse à trois villes de prendre part au vote. Pour peser face au candidat du système Kabila, les opposants auraient dû être solidaires de tous les Congolais et refusé d'aller à ces élections. Le fait de ne pas présenter, finalement, de candidature unique, a été l'erreur la plus regrettable», poursuit la spécialiste française.

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En novembre dernier, un conclave des principaux leaders de l'opposition s'est organisé à Genève avec la facilitation de la Fondation Koffi Annan pour désigner un candidat unique de l'opposition à la présidentielle de décembre.

La désignation de Martin Fayulu, à la tête d'une petite formation politique, mais bénéficiant de l'appui de deux ténors de l'opposition, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, a été aussitôt dénoncée par Félix Tshisekedi, à la tête du parti d'opposition historique UPDS.

«Lors de sa campagne électorale, Martin Fayulu a rencontré un franc succès, à en croire les foules qui se déplaçaient à sa rencontre ou qui scandaient son nom pendant les meetings de son concurrent Shadary. Il bénéficiait en cela, de la bonne implantation territoriale de Moïse Katumbi et de Jean-Pierre Bemba, mais aussi d'une certaine image d'homme valeureux et courageux qu'il s'était forgée auprès des populations, puisqu'on le voyait, souvent, en tête des manifestations. Malgré tout, les opposants réunis à Genève n'étaient pas dupes, et savaient très bien qu'un Joseph Kabila disposant des moyens de l'Etat, pourrait inverser illicitement la donne électorale. Mais l'idée était de faire de Martin Fayulu, un chef de rébellion citoyenne au lendemain de l'annonce des résultats, forcément truquées, en invoquant l'article 64 de la Constitution, que le communiqué final du conclave de Genève mentionne expressément», analyse Leslie Varenne.

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L'article 64 de la Loi fondamentale congolaise précise que «tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l'exerce en violation des dispositions de la présente Constitution».

Toutefois, la a mise en œuvre de cette disposition est de nature à plonger le pays dans une grave crise politico-sécuritaire dont les implications seront aggravées par l'instabilité que connaît le territoire, met en garde Leslie Varenne.

S'étendant sur plus de 2.3 millions de km², la RDC est parcourue par de nombreux foyers de tensions. Des dizaines de groupes armés aux revendications aussi diverses que floues se concentrent sur la bande est du territoire. La région du Kasaï, au centre du pays, connaît depuis 2016 une insurrection sanglante qui a fait plus de 5.000 morts et un million de déplacés, alors que de nombreux autres conflits intercommunautaires écument le territoire.

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L'ex-Zaïre n'a jamais connu d'alternance politique pacifique depuis son indépendance le 30 juin 1960. Quelques mois plus tard, le colonel Joseph Mobutu neutralisait le premier ministre Patrice Lumumba et le président Kasa-Vubu avant de prendre officiellement le pouvoir en 1965.

Après de 31 ans de règne sans partage, le génocide rwandais aidant une rébellion emmenée par Laurent-Désiré Kabila, conduit à la chute du «Léopard du Zaïre». À la suite de l'assassinat de Kabila père, en janvier 2001 le pouvoir est transféré à son fils Joseph, réélu à deux reprises en 2011 et 2016, au terme de présidentielles contestées.

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