«N'ayez pas peur!» Oui mais encore? Je souhaitais connaitre Bernard Lecomte, longtemps correspondant de l'Express à Varsovie et Moscou, également spécialiste du Vatican, biographe de Gorbatchev et de Jean-Paul II. Ses deux passions professionnelles? Le Vatican et le Kremlin. Après tout, pourquoi pas? Les deux se sont côtoyés, un peu forcés, certes.
Pour le rencontrer, il faut compter deux heures de voiture. Il habite à Saint Denis-sur-Ouanne, une petite bourgade au milieu de nulle part, pas trop loin d'Auxerre, en sortant de l'A6. Vous savez, c'est l'autoroute qui mène directement dans le Sud. Et bien arrêtez-vous dans l'Yonne et vous découvrirez une terre surtout connue pour… Guy Roux.
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Peut-on comparer le pape polonais à François? Conservatisme ou progressisme? Alors que le Pacte de Marrakech a beaucoup fait jaser ces dernières semaines, pourquoi le pape François a-t-il encouragé la signature de cet accord onusien? Bernard Lecomte me répond que François suit littéralement les enseignements du Christ, comme JPII l'aurait sans doute fait:
«Il se réfère à l'Évangile, l'accueil de l'étranger. Tous les papes disent un peu la même chose. Quand on est catholique, quand on a la foi, on accueille l'étranger.»
Tous les papes sont conservateurs. Le pape François est contre l'avortement, contre le mariage gay. Si vous appelez ça du progressisme, c'est votre problème.»
Que retenir de Jean-Paul II et de ses enseignements sur les relations internationales en 2018? Karol Wojtyla connait la guerre à 19 ans dans une Pologne envahie par l'Allemagne nazie et dont la partie biélorusse et ukrainienne a été annexée par l'URSS. Un héritage lourd à porter. Le pape né de l'autre côté du Rideau de Fer, soutien de la première heure de Solidarnosc, a-t-il contribué à la chute de l'URSS? Pour Bernard Lecomte, le pape polonais ne croyait pas à l'inéluctabilité du communisme, estimant qu'il s'agissait d'une «parenthèse de l'Histoire». C'est pourquoi il a fortement soutenu les communautés chrétiennes:
«Il s'est appuyé sur des communautés catholiques, la Pologne bien sûr, les Slovaques, les Slovènes, les Lituaniens, une partie des Ukrainiens, les Hongrois, etc. Et petit à petit, les autres, les protestants d'Allemagne de l'Est, d'Estonie et de Lettonie, les orthodoxes de Roumanie, de Bulgarie. Puis, petit à petit, tous les chrétiens d'Europe de l'Est ont compris qu'il se passait quelque chose et que cet homme-là qui parlait en leur nom, il les connaissait».
« Le 1er décembre 89, c'est-à-dire trois semaines après la chute du Mur, lorsque Mikhaïl Gorbatchev rend visite à Jean-Paul II au Vatican à Rome, les deux hommes se voient évidemment pour la première fois, c'est une visite historique […] Ces deux-là ont parlé surtout de l'Europe, de la maison commune. Chacun avait son vocabulaire. Gorbatchev disait ʺla maison communeʺ et le pape parlait de ʺl'Europe qui parle avec ses deux poumonsʺ, le poumon occidental et le poumon oriental. En réalité, ils parlaient de la même chose, une Europe réunifiée et ayant sa propre culture.»
En outre, il ajoute que ces deux personnages partageaient la même crainte, celle de voir l'Europe tomber sous la coupe des États-Unis après la chute du Mur. Le premier successeur slave de Saint-Pierre n'avait aucune complaisance envers le libéralisme, il avait ainsi prévenu l'Europe en ces termes:
«Ce n'est pas parce que le communisme s'est effondré que le capitalisme a gagné.»
Mais le vaticaniste déplore le manque d'approfondissement des relations entre Moscou et Rome et ce pour des raisons qui ne sont pas forcément politiques. En plus de ses fonctions de chef d'État, ne l'oublions pas, le pape est aussi le chef de l'Église catholique, concurrente des églises orthodoxes russes et grecs. Si, pour des raisons politiques, catholiques et orthodoxes sont divisés depuis 1054, le concile Vatican II (1962), auquel JP II a activement participé, a établi une forme de réconciliation, ne considérant donc plus leurs frères slaves comme «schismatiques»:
«Le pape polonais rêvait d'aller à Moscou mais ça n'a pas été possible. Gorbatchev était prêt à le recevoir. Il l'avait invité même. Ce n'était pas l'État soviétique ou russe qui faisait barrage, c'était le patriarcat de Moscou, l'Église orthodoxe russe qui n'aimait pas ce pape, le considérait sinon comme un ennemi, en tout cas, un adversaire ».
Au cours des dernières années, les relations diplomatico-religieuses se sont progressivement apaisées entre le patriarche Kirill et le pape François et ce rapprochement a subi les affres de l'affaire ukrainienne. Jean-Paul II a aussi été à l'origine de la rencontre controversée d'Assise rassemblant les représentants des grandes religions en 1986, pour une «réunion de prière et de jeune».
«Le Vatican n'a pas de puits de pétrole, pas de bombe atomique, pas d'armée […] la seule armée du pape c'est ce qu'il dit […]. Le pape François considère déjà que l'Europe est déjà déchristianisée […] Il sait que 80% des catholiques sur la terre habitent dans l'hémisphère sud. L'hémisphère nord, c'est en plus, c'est l'Histoire, la culture, les racines. Mais la réalité des catholiques, c'est plus la France, l'Espagne et l'Angleterre. C'est le Brésil, le Nigéria et les Philippines».