Mesures de Macron en faveur des Gilets jaunes, l'UE en embuscade?

© AFP 2024 Ludovic MARIN/POOLEmmanuel Macron
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Avec la mise en place des mesures annoncées par Macron pour répondre aux Gilets jaunes, la France pourrait sortir des clous budgétaires européens. Des dispositions qui restent pour l'heure difficiles à chiffrer avec exactitude et sur lesquelles revient Jean-Michel Naulot, ancien membre du collège de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF).

100 euros de revenu en plus pour les salariés payés au SMIC dès janvier 2019 «sans qu'il en coûte 1€ de plus pour l'employeur», défiscalisation des heures supplémentaires ou encore annulation de la hausse de la CSG pour les retraités touchant moins de 2.000€ par mois: Emmanuel Macron a annoncé le 10 décembre plusieurs mesures afin de calmer la grogne exprimée par les Gilets jaunes depuis plusieurs semaines.

«La présentation est très habile, car ce n'est pas le SMIC qui augmente, en réalité c'est la prime d'activité. Ce sont deux choses très différentes, parce que lorsque vous augmentez le SMIC vous augmentez les pensions futures, mais lorsque vous augmentez la prime d'activité il n'en est pas question»,

analyse Jean-Michel Naulot, ancien membre du collège de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et auteur de Éviter l'effondrement (Éd. Seuil, 2017), au micro de Sputnik. Des mesures, chiffrées «entre 8 et 10 milliards» d'euros selon Olivier Dussopt, secrétaire d'État à l'Action et aux Comptes publics. Du côté de la presse, et de certains économistes, on estime que l'enveloppe s'élèverait plutôt aux alentours des 10 à 13 milliards.

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Toujours dans la presse, au-delà de ces premières estimations du gouvernement, on rappelle le coût des mesures annoncées mi-novembre par le Premier ministre, à savoir l'élargissement du chèque énergie, de la prime à la conversion ainsi que de l'indemnité kilométrique.

Coût auquel on rajoute parfois la hausse de la fiscalité écologique sur les carburants à laquelle l'exécutif a renoncé pour 2019. Étrangement, certains de nos confrères ajoutent aussi le manque à gagner du non-rétablissement de l'ISF sur les valeurs mobilières, une décision qui va pourtant à l'encontre des revendications de certains Gilets jaunes et qu'il semble donc difficile d'inclure dans le coût des mesures en leur faveur.

«À moins que l'on annonce de nouvelles mesures fiscales ou des économies dans les dépenses publiques, le déficit budgétaire va se situer entre 3 et 3,5%», constate Jean-Michel Naulot.

En effet, l'un des points clefs de ces mesures est que leur financement n'occasionnera pas seulement une réouverture du trou de la sécurité sociale (la défiscalisation des heures supplémentaires devrait représenter 1,2 milliard d'euros de recettes en moins pour la Sécu), mais fera repasser la France au-dessus de la barre des 3% du PIB de déficit budgétaire maximum imposée par les traités européens.

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D'ailleurs, la Commission européenne n'a pas manqué de signifier son intérêt pour le chiffrage des mesures d'Emmanuel Macron. «Nous surveillons de près les possibles mesures annoncées, mais nous ne pouvons faire aucun commentaire avant qu'elles aient été formellement annoncées et détaillées», a ainsi déclaré devant les Parlementaires européens Valdis Dombrovskis, vice-président de l'organe exécutif européen, dans la foulée des annonces d'Emmanuel Macron.

«Une certaine flexibilité est possible, mais uniquement si Paris reste en dessous des 3%», aurait-on fait savoir du côté européen, d'après le site d'information Euractiv.

Pour sa part, le Commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici estime dans une interview au Parisien que «dépasser cette limite peut être envisageable de manière limitée, temporaire, exceptionnelle.» Rejetant tous deux poids, deux mesures vis-à-vis de l'Italie d'une part et de la France d'autre part, jugeant «erronée» toute comparaison entre la situation des deux pays, l'ancien ministre du Budget de François Hollande rappelle que les règles européennes ne permettront pas à Paris de rester sous la barre des 3% de déficit budgétaire plus de deux années consécutives, moins d'une quant au seuil des 3,5%.

«Quand on voit que ces dernières semaines, on a fait la leçon à l'Italie, parce qu'elle présente un budget pour l'année prochaine avec un déficit de 2,4%, nous on va être très au-dessus. Et encore, ce que l'on ne souligne pas, c'est que le déficit budgétaire français, c'est un vrai déficit, alors que le déficit budgétaire italien, c'est essentiellement dû au paiement des intérêts. Depuis la naissance de l'euro, l'Italie a toujours été en excédent budgétaire primaire, c'est-à-dire avant le paiement des intérêts financiers.»

Un budget italien à 2,4% que Bruxelles a retoqué fin octobre. Pour Jean-Michel Naulot, si l'approche européenne d'Emmanuel Macron doit s'infléchir, notamment dans sa manière d'opposer les «progressistes» aux «populistes», il estime qu'au niveau des instances européennes ont doit également «changer d'attitude» et «laisser les États respirer». Pour notre intervenant, «si on a l'impression que les décisions sont prises ailleurs qu'à Paris c'est extrêmement dangereux- je pense- pour le projet européen» précise-t-il, avant d'ajouter:

«Toutes ces règles budgétaires, ces contraintes, cette manière d'aller passer un examen à Bruxelles- comme si la souveraineté nationale n'existait plus, tout cela, je pense, peut être discuté. Si on ne le fait pas, s'il n'y a pas un changement d'attitude de ce côté-là, ce sont dans les urnes que nos concitoyens iront prendre leur revanche. Si les Gilets jaunes estiment également aujourd'hui que les réponses qui ont été proposées ne sont pas satisfaisantes, hé bien il y aura ensuite un prolongement dans les urnes et c'est cela qui est dangereux.»

Bien qu'il insiste sur le fait qu'il ne souhaite pas «jeter de l'huile sur le feu», Jean-Michel Naulot note notamment que «rien» n'a été dit concernant l'égalité dans le discours du Président, soulignant qu'au sein du mouvement des Gilets jaunes «il y a une double demande: de pouvoir d'achat et pour davantage d'égalité».

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Pour l'ancien régulateur, le chef de l'exécutif français doit «apporter des réponses de très grande ampleur» à cette crise. À cet effet, il rappelle qu'en mai 1968, le gouvernement Pompidou avait concédé une augmentation du SMIG (ancêtre du SMIC) de plus de 35%. La France faisait alors face à la plus importante grève générale de son histoire.

«Je pense que les mesures que l'on vient d'évoquer sont assez décalées, par rapport à la gravité de la crise actuelle. On n'est pas du tout en face d'un mouvement social ponctuel comme on est parfois en face lors d'une grève importante», estime Jean-Michel Naulot.

En plus des «erreurs, très graves» qu'auraient commises Emmanuel Macron au début de son mandat en matière de communication, l'auteur d'Éviter l'effondrement avance deux autres «causes précises» à la crise «majeure» que traverse actuellement la France.

La première, est le fait que nous subissions toujours les répercussions la crise financière de 2008, «depuis 10 ans le pouvoir d'achat n'a pas bougé et il a même baissé pour certaines catégories» insiste-t-il. La désindustrialisation «dramatique pour toutes nos régions» constitue la deuxième raison avancée par Jean-Michel Naulot.

Sur ce dernier point, il considère d'ailleurs que la monnaie unique tient sa part de responsabilité dans la dégradation du tissu industriel de nations économiquement et socialement différentes.

«En Allemagne, la production industrielle a augmentée de 35%, pendant qu'elle baissait de 10% en France et de 17% en Italie», développe Jean-Michel Naulot.

Notre intervenant émet également des doutes concernant la portée de la défiscalisation des heures supplémentaires «C'est certainement une très bonne chose, mais encore faut-il que les heures supplémentaires soient payées, ce qui n'est pas toujours le cas.» Une défiscalisation des heures supplémentaires qui, comme le rappelle Le Parisien au cours de son interview de Moscovici, fut supprimée par ce dernier. Jean-Michel Naulot rappelle également que certaines mesures d'économies, prises par le gouvernement, n'ont pas été évoquées.

«On a passé sous silence, en revanche, une mesure d'économie qui a été prise récemment et qui est très pénalisante, pour les années 2019 et 2020, les retraites qui ne sont plus indexées sur l'inflation. Or, l'inflation est tout de même assez soutenue- autour de 1,5%- donc là il y a une perte de pouvoir d'achat, c'est quelque chose de tout à fait important.»

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