Les leaders religieux de l'ouest du Cameroun veulent tenir la conférence générale des anglophones envers et contre tout.
C'est ce qu'a rappelé le cardinal Christian Tumi, chef de file du groupe des organisateurs de la conférence, ce mercredi 14 novembre lors d'un point de presse à Douala. Cette réunion est prévue les 21 et 22 novembre prochain à Buéa, dans le sud-ouest anglophone du Cameroun. Outre le cardinal Tumi, ce groupe est notamment constitué de l'imam de la mosquée centrale de Bamenda, l'imam de la mosquée centrale de Buéa et le rapporteur de l'assemblée presbytérienne du Cameroun.
Le cardinal Christian Tumi, chef de file du groupe des organisateurs de la conférence générale des anglophones au cours d'un point de presse, ce mercredi 14 novembre à Douala.
Initialement prévue les 29 et 30 août 2018, les dates du 21 et 22 novembre 2018 ont été retenues le 8 août dernier à la suite d'un conclave. Une date qui devait permettre de mieux préparer l'évènement et d'assurer la participation de toutes les parties concernées. Cette initiative des religieux, comme l'indique le communiqué annonçant la rencontre, est une étape préparatoire entre anglophones, visant à définir les questions qui doivent être examinées lors du dialogue national et à désigner les personnalités qui représenteront les régions anglophones à cette occasion.
La conférence devrait donc permettre de débattre des solutions à la crise que traversent depuis deux ans le nord-ouest et le sud-ouest du pays. Une crise qui s'est transformée en conflit armé fin 2017, faisant des centaines de morts parmi lesquels des civils, des militaires et policiers, ainsi que des combattants séparatistes. Les organisations internationales dénombrent près de 300.000 déplacés internes. Selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la crise a déjà fait plus de 20.000 réfugiés camerounais au Nigéria.
En juillet dernier, le porte-parole du gouvernement de Yaoundé ne s'était pas montré favorable à l'annonce de ces préalables posés par le prélat, notamment l'idée de libérer tous les prisonniers:
«On ne peut pas également non plus demander à un État de droit comme le nôtre de libérer ceux qui ont tué, massacré et qui se trouvent aujourd'hui arrêtés et qui quoi qu'il arrive, parce que nous sommes dans un État de droit, seront donc traduits devant les tribunaux pour répondre de leurs forfaits» précisait Issa Tchiroma, interrogé au journal télévisé du 27 juillet 2018 sur la chaîne publique Crtv.
Le ministre de la Communication avait aussi désapprouvé la démarche des religieux.
«Je voudrais marquer un étonnement qui consiste à dire qu'on ne peut pas se permettre de placer sur un même piédestal l'armée républicaine, qui aujourd'hui se déploie et se bat pour la protection de l'intégrité territoriale de notre nation, la mettre au même niveau que des bandes armées, des terroristes qui tuent, égorgent, décapitent, brûlent les écoles, commettent un crime imprescriptible, qui consiste à empêcher aux jeunes Camerounais, à nos enfants, les futurs dirigeants de notre nation d'acquérir les connaissances indispensables pour la gouvernance de notre nation.»
Malgré la détermination de l'archevêque émérite de Douala et des autres leaders religieux, la tenue de la conférence générale anglophone n'est nullement garantie. Elle suscite des réticences, même parmi les chefs de file de la mouvance séparatiste. Des menaces venues de ces derniers auraient contraint certains organisateurs à quitter l'équipe, notamment Simon Munzu, secrétaire permanent en charge de l'organisation, l'un des leaders de cette organisation, dont la position fédéraliste lui a valu des menaces de mort de militants anglophones prônant la sécession.
Cette conférence est aussi confrontée à l'opposition du maire de Buea, ville anglophone dans laquelle elle doit se dérouler. Celui-ci avait déjà appelé le gouvernement à l'interdire. Pourtant, l'autorisation et le soutien du gouvernement sont quasiment indispensables. À quelques jours de l'évènement, il ne s'est pas officiellement opposé à la tenue de la rencontre.
L'International Crisis Group souligne dans l'un de ses rapports publiés en septembre 2018
qu'«interdire la conférence ou faire obstacle à son bon déroulement nuirait à l'image du gouvernement à l'intérieur et à l'extérieur du pays et renforcerait la perception selon laquelle il est opposé au dialogue. Cela apporterait plus de crédit aux séparatistes et aux groupes armés auprès des populations anglophones et des partenaires internationaux.»
Les organisateurs de la conférence générale des anglophones se disent déterminés à la tenir, dans l'espoir de trouver une solution durable à cette crise. Cependant, la participation des leaders séparatistes de la diaspora demeure hypothétique dans le contexte actuel. Là encore, il faudra l'aval du gouvernement pour que ces derniers puissent rejoindre le pays sans risquer de se faire arrêter. Un point d'autant plus sensible que pour l'heure, les leaders séparatistes déjà arrêtés depuis le début de la crise n'ont pas été libérés.
Néanmoins, les leaders religieux comptent transmettre les résolutions de la conférence à Paul Biya, Président de la République, pour l'ouverture d'un dialogue national. Dans son allocution du 6 novembre 2018, jour de sa prestation de serment, Paul Biya (au pouvoir depuis 36 ans), reconnaît les frustrations des citoyens des régions anglophones.
«Je me suis attentivement penché sur les frustrations et les aspirations de la grande majorité de nos compatriotes du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Un bon nombre de réponses à ces préoccupations et à ces aspirations sera apporté dans le cadre de l'accélération du processus de décentralisation en cours. Dans les meilleurs délais possible, des mesures seront prises pour élargir le champ de compétences des collectivités territoriales afin de leur donner les moyens d'une plus grande autonomie.»
Paul Biya a aussi lancé un appel aux séparatistes anglophones, leur demandant de déposer les armes.
L'escalade de la violence et la multiplication des foyers d'affrontement entre forces de l'ordre et bandes armées dans le Sud-ouest et le Nord-Ouest ont gravement affecté les populations. C'est le 1er octobre 2017que le leader indépendantiste Julius Sisiku Ayuk Tabe déclarait symboliquement l'indépendance de la république fantôme de l'Ambazonie. Un an plus tard, le conflit s'est enlisé et menace de se transformer en guerre civile. L'International Crisis Group plaçait encore ce conflit parmi les sept priorités de l'union africaine en 2018.