Sur la route longue de 80 kilomètres qui relient la capitale économique Douala à la région du Sud-Ouest, la multiplication et le renforcement des barrages de police donnent le ton de la situation sécuritaire.
Pour accéder à la région anglophone du Cameroun, il faut montrer patte blanche. Tous les engins roulants sont systématiquement stoppés et très souvent fouillés par des hommes en uniforme, lourdement armés. Au carrefour Mutenguene, localité située à une dizaine de kilomètres de Buéa, la vie suit péniblement son cours. Non loin de là, quelques élèves en tenue sont visibles à la sortie du Regina Pacis college, l'un des établissements confessionnels de la région, dont les responsables ont souvent reçu des menaces du mouvement sécessionniste, qui attaque les écoles encore ouvertes. Une situation qui les a très souvent obligés à stopper les cours et à renvoyer les élèves chez eux.
Plus loin, maisons fantômes et propriétaires invisibles meublent le décor rural sur la route étroite qui mène dans la ville de Buea, l'un des bastions de la contestation sécessionniste. En septembre dernier, à l'approche de la présidentielle du 7 octobre, on avait assisté à l'exode massif des centaines de familles, fuyant la montée des violences et les combats intensifs entre force de sécurité et séparatistes. Une situation qui avait contraint les autorités à prendre des mesures pour limiter les déménagements. À l'entrée de la ville de Buea, une unité de l'armée veille au grain, établie pour certains derrière des lignes de sac de sable, surmontés de mitrailleuses en position de tir. Une fois identifié, on peut poursuivre son périple dans les rues d'une cité historique jadis paisible, installée au pied du mont Cameroun et visiblement essoufflée par le climat tendu qui y règne depuis deux ans déjà.
«Avant tous ces commerces-là étaient ouverts. Les bars que vous voyez là aussi. Ça,c'était un coin chaud, mais là vous voyez c'est mort, ça ne vit plus»,
lance avec nostalgie notre chauffeur, habitué de cette ligne depuis une décennie, lâchant son volant de temps à autre pour exprimer avec une gestuelle prononcée sa désolation. La ville de Buea, maintes fois ciblée par les attaques, a été marquée au corps. Ce vendredi 26 octobre, le mont Cameroun, l'un des plus hauts sommets d'Afrique, drapé sous un manteau nuageux, semble vouloir nous raconter les séquences sanglantes de cette guerre à huis-clos.
Dans les rues, les citoyens ne sont pas plus bavards que ça sur les épisodes de cette interminable crise. Au lieu-dit «Bokwango junction», Timbo, 35 ans, vendeur de bananes plantain à la braise, se décide à nous confier quelques mots. Il a perdu sept amis depuis le début des violences dans la région. Contrairement à certains qui ont déserté la ville pendant la période électorale, il a décidé de rester.
«Il ya des violences, mais quand tu te confies à Dieu, tu es protégé. Quand c'était fort au début du mois d'octobre, les gens fuyaient, mais je suis resté grâce à la foi. Je compte sur la protection divine. C'est pour ça que je suis resté.»
Ce fils «métissé», issu d'un mariage entre un père francophone et une mère anglophone, dit ne pas comprendre les élans séparatistes.
«Pour moi, il n'y a pas de problème entre anglophones et francophones.»
Pourtant, le premier octobre 2017, les séparatistes avaient amplifié leur mouvement en procédant à une proclamation symbolique d'«indépendance» de leur république fantôme. Dans certains villages des deux régions anglophones du Cameroun, des drapeaux de l'Ambazonie, nom de l'État que les séparatistes armés entendent créer, avaient même été hissés en lieu et place du drapeau camerounais.
Un an plus tard, le conflit n'a fait qu'empirer. Depuis le début de cette crise qui a déjà fait des centaines de morts, les organisations internationales dénombrent près de 300.000 déplacés internes. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la crise a déjà fait plus de 20.000 réfugiés camerounais au Nigéria. Une situation qui demeure tendue, avec des conséquences économiques importantes.
Avant le début de la crise, la ville de Buea était en passe de devenir l'épicentre de l'économie numérique de l'Afrique centrale. Les jeunes promoteurs de start-up y avaient installé ce que l'on appelle ici «la Silicon mountain», en référence à la Silicon Valley californienne. Un véritable bassin d'innovation technologique, dont l'influence se faisait déjà sentir au-delà des frontières nationales. Aujourd'hui, leur écho entrepreneurial est sur le point de disparaître, étouffé par la violence quotidienne. Nous y avons rencontré Churchill Mambe, 33 ans, l'une des têtes couronnées de l'innovation numérique de Buea. Dans les locaux de son entreprise, ils ne sont plus que deux, sur la dizaine de collaborateurs, à faire de la résistance.
«Les autres sont partis en septembre à l'approche des élections et ils ne sont pas encore revenus. Ils ont peur pour leur vie», se désole Churchill Mambe au micro de Sputnik.
Beaucoup d'entrepreneurs de la région ont également fui les violences et les activités ont sensiblement ralenti.
«Il yavait des entreprises qui montaient en puissance. On a du mal aujourd'hui à faire augmenter les activités, notamment celles qui nécessitent l'arrivée d'investisseurs. C'est difficile. Les gens ont peur d'investir, parce qu'ils ont peur de l'avenir. Avec la crise, les investisseurs ont peur de venir ici.»
Churchill évoque les freins à l'activité de son entreprise
Churchill y croit malgré tout et espère un jour voit le rêve de sa Silicon mountain se réaliser.
«Je veux continuer à bâtir la Silicon mountain. Nous y croyons, même si l'activité a baissé. Tant qu'on est en vie, on va continuer à travailler pour bâtir notre ville.»
Churchill dit sa volonté de poursuivre son rêve d'entrepreneur à Buea
Un espoir adossé sur un retour attendu de la paix. Dans le pays, les regards se tournent maintenant vers Paul Biya 85 ans, dont 36 au pouvoir, victorieux de la dernière élection présidentielle. Quelles mesures va-t-il prendre pour résoudre ce conflit? Pour explorer une sortie de crise, des représentants religieux annoncent une conférence générale anglophone les 21 et 22 novembre prochain, dans cette même ville de Buea. Affaire à suivre, donc.