Blocage de péages, d'autoroutes, de villes, de stations-service, de ronds-points, opérations escargot, la journée du samedi 17 novembre s'annonce agitée. Au milieu de cette mobilisation qui s'organise, tentant d'échapper à la récupération politique, quelques voix (de plus en plus nombreuses?) soutiennent la mesure.
D'après un sondage BVA pour La Tribune, 76% des Français interrogés estiment que les récentes hausses des prix du carburant ne sont pas justifiées par l'enjeu écologique. Mais ils sont aussi 23% à penser, au contraire, que ces augmentations sont nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique.
Si les Français sont sensibles à la question du réchauffement climatique, nombreux sont ceux qui craignent pour leur pouvoir d'achat. Toujours d'après le sondage, ils sont 83% à déclarer que les récentes hausses de prix du carburant ont eu un impact sur leur situation financière.
«Entre une France des métropoles et ce qu'on appelle une France des territoires […] Finalement, qui a besoin le plus de sa voiture pour se déplacer? C'est la France des territoires, des petites villes, des moyennes villes, de la France rurale. Qui subit la pollution? C'est la France des métropoles, les Parisiens, les Marseillais, les Bordelais. Ces deux mondes ont du mal à se comprendre les uns les autres.»
Par catégorie socioprofessionnelle, ce sont les employés et les ouvriers qui se sentent le plus impactés financièrement. 60% identifient un impact important, suivit par des ruraux (56%) et les membres de foyers à bas revenus, c'est à dire vivant avec moins de 1.500€ par mois.
À l'inverse, seulement 21% des habitants de l'agglomération parisienne et 29% des cadres indiquent que les hausses des prix du carburant ont eu un impact important sur leur situation financière.
L'essence est chère, certes, mais ce n'est pas une priorité d'action, estiment les opposants à la mobilisation du 17 novembre, se rassemblant autour du hashtag #sansmoile17.
Au lieu d'appeler à bloquer le pays le 17/11 contre la hausse des carburants, allez voir vos élus pour leur demander plus de transports, plus de pistes cyclables, plus de solutions pour se déplacer autrement.🐧
— Franck Bessiere (@FranckBessiere) 31 octobre 2018
Je ne me battrai pas pour des modèles dépassés 🌻#SansMoiLe17
Le message «un peu vénère» d'Anthony, partagé plus de 100.000 fois, fait le triste constat que les gens se déplacent dans la rue pour l'essence, mais pas pour le climat.
D'après le cabinet Linkfluence, expert français de l'écoute sur les réseaux sociaux, la présence publique du hashtag #sansmoile17 est quatre fois moins visible que #17Novembre (utilisé par pro ou contre), relate L'Express. Derrière ce hashtag, «on retrouve beaucoup de professions libérales […] une partie de la base électorale d'Emmanuel Macron. Plus à gauche, on trouve aussi beaucoup d'enseignants», poursuit l'hebdomadaire.
On peut aussi dénoncer la hausse des prix, mais ne pas soutenir le blocage de la France le 17 novembre. C'est le cas de Fred, dont la vidéo atteint les 4 millions de vues:
Malgré la verve anti-macron, le mouvement n'a pas d'origine politique: le mouvement des «Gilets jaunes» est majoritairement soutenu par les sympathisants LFI (73%) et PS (61%), aussi bien que par les sympathisants LR (84%) et RN (79%), toujours d'après le sondage BVA pour La Tribune.
À l'origine, comme le rappelle Libération, ce sont deux chauffeurs routiers de Seine-et-Marne qui lancé un appel sur Facebook, le 10 octobre dernier, et non l'extrême-droite, bien qu'ayant reçu le soutien de Nicolas Dupont-Aignan et de Marine Le Pen. Ce qui d'ailleurs en a découragé certains:
Au cas où cela n’est pas clair dans la tête de certains: le 17 novembre 2018: JE SOUTIENS LE GOUVERNEMENT! Ce sera donc #SansMoiLe17 pic.twitter.com/dRw3mLBEAK
— Laurent SEGNIS #SansMoiLe17 #FBPE (@LSEGNIS) 31 octobre 2018
Selon le site blocage17novembre.com, déjà 650 rassemblements sont prévus dans toute la France.
En quelques jours, des centaines de pages Facebook se sont créées, accompagnées de leur lot de rumeurs, et près de 800.000 internautes ont déjà signé une pétition demandant une «baisse du prix» et dénonçant des «motifs dont nous citoyens ne sommes pas responsables».
Ces mouvements disparates d'«automobilistes ruraux et provinciaux» fusionnent autour du gilet jaune, posé sur le tableau de bord, symbole de leur «ras-le-bol fiscal»:
Ce #GiletJaune sera le bonnet rouge des automobilistes ruraux et provinciaux, otages de ce racket fiscal aux accents pseudo-écologiques… #RasLeBolFiscal 😡 pic.twitter.com/XkPENBRrlt
— Binbin ن 🐝#Faire (@binbin59300) 26 octobre 2018
Au sein de la police, certains ont aussi a décidé de troquer son uniforme pour des gilets de sécurité routière: le syndicat Unité SGP Police FO, deuxième syndicat de la police nationale, se dit «solidaire» avec les automobilistes mécontents et a promis une journée «zéro PV».
L'association «Consommation Logement Cadre de vie» (CLCV), qui défend les consommateurs et usagers, appelle les pouvoirs publics à «geler les taxes pour 2019 afin de conserver un bénéfice environnemental et stabiliser le pouvoir d'achat».
«Les Français résidant dans les zones rurales et périurbaines — grands consommateurs de carburants et de fioul — sont les premiers impactés et perçoivent l'augmentation des taxes sur les carburants et sur le fioul comme une double peine», peut-on lire dans leur communiqué.
Avec l'opération «Stop au Coup de Pompe», l'association «40 millions d'automobilistes» invite les conducteurs à envoyer leur «ticket de paiement de carburant avec une lettre à M. Le Président de la République».
D'autres secteurs pourraient être touchés, comme celui des VTC, taxis, ambulanciers, livreurs, chauffeurs, routiers… mais la mobilisation du 17 sera-t-elle aussi fédératrice que celle des «bonnets rouges» d'octobre 2013? Teinté de régionalisme, la mobilisation bretonne contre l'écotaxe était parvenue à fédérer «les transporteurs, le patronat breton qui affrontait une crise dans l'agroalimentaire, les ouvriers licenciés» note Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l'IFOP dans Le Monde, avant de conclure:
«Il y a des points communs évidents entre les deux mouvements. Une fiscalité qui passe mal et une mobilisation par les réseaux sociaux […] Est-ce que le mouvement du 17 novembre va parvenir à fédérer à ce point? Ce qui est sûr, c'est que toute une partie de la population française est prise à la gorge.»