Les «malgré-nous», «un incroyable viol de la conscience alsacienne», s'insurge Eugène Philipps.
Ce sociolinguiste alsacien a été enrôlé de force suite à la décision du Gauleiter Robert Wagner d'introduire le service militaire obligatoire en Alsace durant la Seconde guerre mondiale. «C'était à la fois une agression politique —les Alsaciens étaient toujours de nationalité française- et une agression au niveau de l'humain. Cette décision faisait fi du sentiment des Alsaciens qui, dans leur immense majorité, étaient antinazis et antiallemands», affirme Eugène Philipps, l'auteur d'«Une tragédie pour l'Alsace», dans une interview.
En juillet 1944, 1.500 Français sont libérés et envoyés en Afrique du Nord, où ils rejoignent l'armée du général de Gaulle. Mais des milliers de prisonniers sont restés dans le camp. Ils reposent désormais dans des fosses communes, sur lesquelles la forêt a depuis repris ses droits. Peu de temps après la guerre, un monument aux prisonniers de Tambov est érigé en Moselle et au début des années 1980, l'ouvrage volumineux «La Tragédie des malgré-nous» est publié en France par l'historien Pierre Rigoulot. D'après son estimation, un peu plus de 80.000 personnes originaires des provinces françaises annexées sont revenues, de 5 à 10.000 Français sont morts dans le camp près de Tambov, environ 25.000 dans les rangs de l'armée allemande et 18.000 «malgré-nous» sont portés disparus.
«Mon père est resté en Russie. J'avais six mois quand il est parti. Mes parents étaient à peine mariés, j'ai été fille unique. Il n'est pas revenu, je ne l'ai pas connu», dit Marlène Dietrich.
Depuis, tous les deux ans, «les anciens» vont à Tambov, où ils sont «reçus sur place d'une façon exceptionnelle, comme si on faisait partie de la famille». Sur place, différents organismes officiels et des particuliers se sont mobilisés: à la mairie, à l'école, à l'université. Au début, il a eu deux accords bilatéraux —entre la France et la Russie et entre la France et l'Allemagne- l'Allemagne payant une partie et la France une autre. Mais, à un moment donné, il a fallu reprendre l'initiative et ce «jumelage dans l'histoire» est devenu une vraie collaboration entre les sociétés civiles. C'est ainsi qu'on a vu croître la participation des jeunes: «Nous avons toujours envoyé un groupe de jeunes Français qui déblayaient et débarrassaient le terrain. Ils le font avec les jeunes Russes qui les accompagnent pour entretenir ce cimetière», détaille la présidente de l'association.
Parallèlement, le travail de recherche dans les archives s'est poursuivi.
«En 2010, grâce à l'historien Valeri Tcherkezov, on a découvert le cimetière n°7. Et c'est là que j'ai découvert la fosse commune où repose mon père. Auparavant, c'étaient des monticules de terre, au bout de quelques années la forêt a tout envahi, ça me travaillait. J'ai dit: nos parents ont aussi droit à une sépulture correcte. L'année dernière, on a pris les choses en main.»
La décision a été prise rapidement, une fois les devis faits et la réflexion sur le financement bouclée avec les 160 membres de l'association «Pèlerinage Tambov». C'était possible! Le 25 août dernier, l'association «Pèlerinage Tambov» inaugurait un nouveau complexe commémoratif au-dessus des fosses communes de prisonniers de guerre décédés au camp.
«C'est comme cela qu'on a aménagé ce cimetière n°7, avec 55 fosses communes et la rotonde des cérémonies. Le 25 août de cette année, à la date anniversaire où nos parents ont étés incorporés de force, on a inauguré ce cimetière», ajoute Marlène Dietrich.
On estime que plus de 2.000 personnes sont inhumées au cimetière n°7. Certains sont répertoriés, d'autres pas. Grace à l'historien Valeri Tcherkezov, les Alsaciens et Mosellans continuent à retrouver les lieux du dernier repos de leurs ancêtres. Les historiens russes travaillent en collaboration avec les archives de Waldowisheim et la division des archives des victimes des conflits contemporains à Caen.