Le Polisario force la main de Tokyo: impair diplomatique japonais, le Maroc voit rouge

© AFP 2024 Ryad KramdiSaharawi men hold up a Polisario Front flag in the Al-Mahbes area near Moroccan soldiers guarding the wall separating the Polisario controlled Western Sahara from Morocco on February 3, 2017
Saharawi men hold up a Polisario Front flag in the Al-Mahbes area near Moroccan soldiers guarding the wall separating the Polisario controlled Western Sahara from Morocco on February 3, 2017 - Sputnik Afrique
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En haussant le ton face au Japon, coupable d’avoir invité à l’insu de son plein gré le Polisario à une réunion multilatérale, le Maroc voudrait s’assurer un «zéro-faute» lors du prochain sommet Japon-Afrique, prévu en 2019 à Tokyo. À traduire par: sommet sans la présence des Sahraouis, ennemis jurés de Rabat. Quitte à jouer quitte ou double.

Quelque part, l'incident devait être une réplique «soft» de l'empoignade de Maputo, survenue dans la capitale du Mozambique, en août 2017. En terrain japonais, berceau des arts martiaux, les intéressés se sont gardés, cette fois-ci, de rivaliser en pugnacité. Tout au plus la délégation marocaine s'est-elle retirée de la salle, poursuivie par le regard froid des Sahraouis et de leurs soutiens africains. La partie japonaise, elle, s'est fendue d'une précision dans son mot de clôture. Et l'incident était clos.

«Je voudrais annoncer que même si un groupe, se revendique en tant qu'État, que le Japon ne reconnaît pas, est assis dans cette salle, cela n'enlève rien au fait que le Japon, ne le reconnaît pas en tant qu'État, ni implicitement, ni explicitement.
Je voudrais bien clarifier, aussi, qu'il n'est pas permis d'afficher, sur les chaises ou les tables, aucun nom, aucune plaque, à part ceux de l'Union africaine, co-organisatrice de l'événement, et du Japon. Quiconque contreviendrait à cela devrait quitter cette salle»,

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a averti le ministre japonais des Affaires étrangères, Taro Kono, à la clôture d'une réunion ministérielle UA-Japon, dans le cadre de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD). Ainsi, le Japon s'excusait-il presque d'avoir accueilli sur son propre sol, «à son insu», des membres de la délégation de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), membre fondateur de l'Union africaine, mais qui n'en divise pas moins la scène continentale.

Si le Maroc a gagné à sa cause un certain nombre de pays, notamment dans sa zone d'influence ouest-africaine, la RASD peut compter, parmi ses amis inconditionnels, l'axe historique Alger-Abuja-Pretoria. Ce serait justement l'Algérie qui aurait fourni des passeports algériens à la délégation du Polisario pour prendre part à cette réunion ministérielle, faute d'invitation japonaise. «L'infraction» a été révélée par des médias marocains. Contacté par Sputnik, Lamine Aba Ali, ambassadeur de la RASD à Addis Abeba et auprès de l'UA, n'a pas souhaité commenter cette affirmation.

«Ce que racontent les médias marocains, cela ne m'intéresse point. Et d'ailleurs, tout ça, c'est des détails. Ce qui est important à retenir, plutôt, c'est que la réunion TICAD a été programmée à Tokyo dans le cadre d'un partenariat UA et Japon. Et les choses étaient claires en ce qui concerne la participation de tous les États membres de l'UA.
Il y a un grand nombre de décisions de l'UA qui affirment, de façon on ne peut plus formelle et claire, que tous les États membres ont le droit de participer à toutes les réunions dans le cadre des partenariats étrangers. Cela a été dit en 2015, rappelé en 2016, et jusqu'au dernier sommet de l'UA de Nouakchott, début juillet dernier, où l'on a évoqué la réunion de Tokyo.
En tant que membre fondateur de UA, on a assisté à cette réunion, de Tokyo, comme à d'autres réunions de partenariats. Le sommet UE-UA, à Abidjan, par exemple», a affirmé l'ambassadeur sahraoui à Sputnik.

«Sauf que ces décisions de l'UA ne lient en aucun cas les partenaires hôtes!», riposte une source diplomatique au sein de l'organisation continentale. Ceux-ci demeurent libres d'inviter aux réunions qu'ils organisent les délégations de leur choix, conformément aux règles protocolaires voulant que les invitations soient délivrées par le pays hôte. Ces recommandations de l'UA lient d'autant moins les partenaires que certains pays africains ont cru bon s'en affranchir. En novembre 2017, à l'occasion du sommet UE-UA, auquel l'ambassadeur sahraoui fait référence, si la RASD a bien pris part à l'événement, elle n'a pas été invitée par le pays hôte, la Côte d'Ivoire…

«Ce serait aberrant, d'ailleurs, que des mesures africaines qui n'ont pas été discutées avec les partenaires étrangers puissent s'imposer à ceux-ci! L'UA ne veut toujours pas comprendre que le partenaire demeure totalement libre de respecter, ou pas, ces recommandations. D'autant plus que des pays membres ne respectent pas, eux-mêmes, ces décisions.
En 2017, par exemple, lors du sommet UA-UE, la Côte d'Ivoire, qui était le pays hôte, renonça, sous pression marocaine, à inviter les Sahraouis. Ceux-ci ont bien participé au sommet, sauf que l'invitation est venue de… l'UA, qui a pu rectifier le tir en terre africaine!», a expliqué à Sputnik cette source diplomatique africaine.

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Tout autre est le cas de la réunion de la TICAD de samedi dernier. Les Japonais auraient été surpris de voir la délégation sahraouie prendre part à la réunion, parce qu'ils ne les auraient pas invités. La technique du «cheval de Troie» a été éprouvée sous d'autres cieux, où l'on est soucieux de ménager susceptibilités algériennes et marocaines. «Quand les Sahraouis participent à des réunions africaines au Caire, ils entrent avec des passeports algériens, et se font discrets. Pas de plaques à leur nom ni de drapeaux», glisse une source égyptienne coutumière des aspects protocolaires. Quid du cheval de Troie japonais?

«L'information sur la promesse japonaise d'inviter la RASD a été annoncée par le vice-président de la Commission de l'UA (CUA), Kwesi Quartey, devant tous les représentants permanents. De deux choses l'une, soit les Japonais ont menti, soit la CUA savait que les Japonais n'allaient pas inviter les Sahraouis, mais voulait éviter un long débat dessus et préférait laisser les choses éclater à Tokyo», a supposé la source diplomatique africaine.

Pris au dépourvu, le Japon fit face, donc, au retrait du Maroc… et rendit cette déclaration où il rappelait sa position hostile au Polisario. Les choses auraient pu s'arrêter à ce niveau. Sauf qu'une source autorisée au sein du ministère marocain des Affaires étrangères a transmis à Sputnik cette note, au ton particulièrement sévère à l'endroit des Japonais, coupables de «dérapages enregistrés» lors de cette réunion ministérielle de la TICAD.

«Toutes les actions menées par le Japon n'ont pas pu préserver le format consacré de la TICAD, ni être en phase avec la légalité internationale pour être en cohérence et faire respecter la position nationale du Japon concernant la question du Sahara Marocain. Les autorités japonaises n'ont pas tenu compte de tous les engagements pris à l'égard du Maroc notamment à l'occasion de la rencontre entre les deux ministres des Affaires étrangères à New York, en marge de la 73e session de l'AG de l'ONU.
La délégation marocaine ne saurait tolérer l'hésitation dont a fait preuve le Japon qui constitue un précédent avec les autres processus de partenariat menés par des pays partenaires soucieux de préserver la légalité internationale et leurs relations bilatérales avec le Maroc», dit notamment la source marocaine.

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Lancée en 1993, la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD) est un mécanisme de coopération entre l'Union africaine et le Japon, autour de thématiques en rapport avec la croissance économique, la sécurité humaine et les changements climatiques.

À ce titre, l'événement présente un enjeu important pour les Sahraouis puisque «les partenariats est le dernier terrain dans lequel ils peuvent encore rivaliser avec les Marocains depuis que ces derniers ont arraché la décision de Nouakchott qui soustrait la compétence du traitement du dossier du Sahara au Conseil de paix et de sécurité» (CPS). Depuis sa création, au début des années 2000, l'organe exécutif de l'Union africaine — et sa clé de voûte — a toujours été sous influence algérienne.

Pour réduire la marge de manœuvre sahraouie, les Marocains seraient bien résolus à bloquer la route au Polisario, à l'occasion du prochain sommet du TICAD. «Si les Marocains se sont exprimés en des termes forts à l'adresse des Japonais, c'est en prévision du sommet de la TICAD, pour que les Japonais soient plus vigilants». Le sommet de 2019, ainsi, en ligne de mire. C'est le cas aussi pour les Japonais, désormais dans l'embarras.

«En concurrence avec les Chinois en Afrique, les Japonais ne voudront pas rater l'occasion d'avoir 55 chefs d'État chez eux pour faire avancer leurs projets bilatéraux. Le Maroc le sait bien et veut abuser, quitte à faire brandir le boycott. Le Japon n'a que deux choix, satisfaire le Maroc et risquer un boycott des pro-RASD… ou le contraire.
Cela dit, dans les faits, le boycott du Maroc et de ses amis est très difficile à envisager vu les intérêts de ces pays avec le Japon. D'autre part, les pays qui soutiennent le Maroc n'iront pas, à mon avis, jusqu'à snober le Japon pour autant. Mais c'est du poker, et le Maroc va le jouer à fond», prévoit la source de Sputnik.

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