«Vilnius, Paris, Londres», l’Europe selon Andrei Kourkov

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Le nouveau roman d’Andrei Kourkov, «écrivain ukrainien russophone», comme il se définit lui-même, est désormais en librairie. À cette occasion, l’auteur du « Pingouin » a partagé avec Sputnik sa vision de l’Europe actuelle et de la place controversée de la langue russe en Ukraine.

La rencontre avec Andrei Kourkov devait avoir lieu à la «Librairie du Globe», une enseigne parisienne chérie de tous les amoureux de littérature russe. Mais dès le début, cette rencontre se voile de mystère, prend presque l'apparence de la clandestinité… en cause, les travaux encore en cours dans la librairie. Nous nous sommes alors dirigés vers une galerie-amie voisine, à quelque pas de là.

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Effectivement, toute cette atmosphère n'était qu'une apparence, puisqu'Andrei Kourkov est un auteur bien connu en Europe, où son œuvre est traduite dans une trentaine de langues. En France, il y a une douzaine d'années, son premier ouvrage traduit en français, «Le Pingouin», sous l'apparence d'un roman policier, a franchi d'un pas assuré le seuil des salons littéraires les plus huppés. La petite galerie d'art était comble et a aussitôt été réchauffée par le charme naturel de cet «écrivain ukrainien russophone», comme il se qualifie lui-même.

Andrei Kourkov a présenté la traduction de son avant-dernier roman, titré en russe «Une histoire de Schengen» («Шенгенckaiа история»), mais a été rebaptisé par son éditeur français Liana Lévi en «Vilnius, Paris, Londres». L'histoire commence à minuit, le 21 décembre 2007, quand les barrières sont levées et que la Lituanie intègre enfin l'espace Schengen. Tout comme la Lituanie «entre» en Europe, trois couples de Lituaniens entrent dans ce grand espace européen pour y tenter leur chance, pour y vivre leur destinée, « tour à tour tragique, comique et mélancolique »…

Dix ans plus tard, alors que l'Europe se déchire sur la question migratoire, quand certains pays se remettent à reconstruire les murs et à rabaisser des barrières, ce livre n'arrive-t-il pas trop tard?

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Pas du tout, selon Andrei Kourkov, puisque le processus de construction européenne est toujours en cours: «L'Europe d'aujourd'hui se caractérise par un nombre important de mouvements politiques chaotiques. Certains pays d'Europe ont peur de se refermer. Ceux qui sont aux confins sud de l'Europe —comme l'Italie- veulent se refermer, mais uniquement par en bas.» Pour l'écrivain, cette période est propice aux populistes qui cherchent à faire valoir l'euroscepticisme. Pourtant,

«J'ai l'impression que la vague de peur devant les migrants s'estompe, assure Andrei Kourkov. Le problème n'est pas encore résolu, mais il s'amoindrit. Le pays le plus grand d'Europe, le pays qui "pèse" plus que les autres au sein de l'Europe —l'Allemagne- supporte facilement les difficultés liées aux migrants arrivés suite à l'ouverture des frontières.»

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L'actualité semble confirmer en partie cette affirmation de Kourkov, puisque le 1er octobre dernier, les partis de la coalition au pouvoir en Allemagne sont tombés d'accord pour adopter courant 2019 une loi facilitant l'accès au marché du travail allemand aux «étrangers extracommunautaires qualifiés». Et ce, malgré le contexte politique marqué par une forte poussée de l'extrême droite.

Et Andrei Kourkov poursuit: «L'unité de l'Europe c'est justement une convention dont je parle dans mon roman. L'Europe possède maints visages. Pourtant, certaines lois européennes ne s'appliquent pas dans toute l'Europe.»

«Chaque pays "devient impertinent" à un degré autorisé par sa propre tradition. Plus il y a d'anarchie, plus l'impertinence est grande, et plus c'est toléré par les pays voisins. Et tout cela s'appelle "une particularité nationale".»

Andrei Kourkov croit que le Conseil européen ne peut pas devenir autocrate vis-à-vis des pays européens. Tout comme il ne peut pas créer des règles unifiées de vie sociale, politique et humaine. Pour lui, il ne peut que créer un certain cadre.

«En fait l'Europe réunie, c'est un équilibre des petits mouvements hauts-bas et gauche-droite à l'intérieur du cadre européen.»

Le travail d'un écrivain russophone en Ukraine ne doit pas être facile, compte tenu les décisions prises à tous les niveaux pour endiguer la diffusion de la langue et de la culture russe. Il y a quelques semaines, le Conseil régional de Lviv a décidé d'imposer un moratoire sur l'utilisation par le public de «produits culturels de langue russe» dans la région.

L'Ambassadeur du Canada en Ukraine, Roman Vashchuk, a critiqué cette décision, la qualifiant de discriminatoire.

​La position d'Andrei Kourkov à propose de l'utilisation de la langue russe lui a souvent valu la critique des Ukrainiens, ce qui n'ébranle point sa vision des choses:

«Les gens normaux ne prêtent pas attention aux décisions de ce type de pouvoirs locaux. Après cette décision, nous avons organisé devant la mairie une manifestation où nous avons lu —en russe- les récits d'Oleg Sentsov [cinéaste ukrainien arrêté en Crimée en 2014 et condamné à 20 ans de prison en Russie pour terrorisme, ndlr]. Puis, lors du Salon de livre à Lviv, certains discours ont aussi été prononcés en russe. De telles décisions ne sont que la poudre de perlimpinpin, qui ne font plaisir qu'à ceux qui y prêtent attention.»

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L'écrivain affirme qu'à Lviv, les gens sont tolérants vis-à-vis du russe et que les réactions épidermiques vis-à-vis de cette langue que l'on observe parfois viennent du fait que l'on entend plus parler russe dans les rues à cause des réfugiés du Donbass. «Toutes les décisions des pouvoirs locaux qui ne sont pas de leur ressort seront un jour annulées, point», assure Andrei Kourkov.

Néanmoins, ses considérations posées et raisonnées ne sont qu'une partie du système linguistique que propose Andrei Kourkov pour apaiser la question de la langue russe en Ukraine.

«Il faudrait "privatiser" le russe sur notre territoire, propose l'écrivain, Créer l'Institut de la langue russe ukrainienne, et ainsi fixer officiellement la différence entre la langue russe en Russie et en Ukraine.»

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A partir de ce «divorce consommé», il propose à surveiller le développement du «russe ukrainien». Ainsi, on pourrait légaliser la langue sans lui attribuer de statut. «Ça serait la langue de la minorité ethnique russe, et c'est à l'Etat ukrainien d'assurer —comme il est indiqué dans la Constitution du pays- le développement des langues minoritaires,» suggère Andrei Kourkov.

L'idée de l'écrivain est que les philologues écrivent des articles dans la revue de l'Académie des sciences, en soulignant les différences d'orthographe ou de grammaire. Et tout le système devrait s'appuyer sur la littérature russophone ukrainienne. Pour illustrer son idée, l'auteur parle de la relation de la France à ses anciennes colonies, où «on voit un processus normal linguistique et non politique». «La philologie vainc la politique», soutient Andrei Kourkov, qui voit la relation à la langue russe comme un «miroir» des relations entre la Russie et l'Ukraine:

«Dès que nous retrouverons les relations "philologiques", cela signifiera que nous avons dépassé le stade de la crise politique et que l'on peut considérer la langue en tant qu'instrument de culture et de communication, et non comme une cause d'actions militaire ou des sanctions politiques.»

Et pour ceux qui ne parlent ni russe, ni ukrainien, il y a un nouveau roman d'Andrei Kourkov «Vilnius, Paris, Londres», où de jeunes Lituaniens voient l'eldorado européen s'éloigner de jour en jour, où Kukutis, un vieux sage, traverse l'Europe à pied, ou l'auteur «donne un visage à tous les désenchantés du rêve européen». Bonne lecture!

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