Le héros principal du film Aquarelle est l'eau. Le tournage a été réalisé dans les recoins les plus magnifiques de la planète, du lac Baïkal au Groenland. Le réalisateur Viktor Kossakovski a expliqué pourquoi il avait changé de format et pourquoi, à ses yeux, le cinéma ne sera plus le même d'ici deux ans.
Pourquoi 96 images par seconde
J'ai pensé: quand on voit la pluie au cinéma, en général ce sont des pointillés blancs, tout se confond. Or elle n'a pas cette apparence. Je voulais voir la pluie, j'ai commencé à faire des tests à 72 et 120 images par seconde. Le meilleur résultat a été obtenu avec 96 images par seconde. Mais il fallait inventer de nouveaux logiciels de montage, tromper l'ordinateur car il ne comprenait pas ce format, il n'arrivait pas à le gérer.
Personne ne l'avait encore fait. Une tentative avait été menée aux États-Unis, mais ils n'avaient pas réussi à trouver de projecteur pour le montrer. Le fait est que les caméras, techniquement, sont capables de filmer jusqu'à mille images par seconde, mais aucun projecteur ne peut retranscrire ces images avec la fidélité nécessaire.
Ce matin, Ang Lee (le réalisateur taïwanais détenteur d'un Oscar et de deux Lions d'or de la Mostra de Venise), qui a essayé de tourner en 120 images par seconde, m'a écrit: «Wow, incroyable! Au moins quelqu'un essaie de le faire. Venez vite me voir en Amérique, ici nous le montrerons tous les deux et persuaderons le monde entier qu'il faut passer au nouveau format!» James Cameron, qui a réalisé Avatar, s'engageait sur cette voie — peut-être qu'à ce moment précis il réalise un film dans ce format. Le fait est qu'il faudrait remplacer tous les projecteurs de cinéma dans le monde. Autrement dit, il ne s'agit pas de technologie — mais d'un modèle commercial.
La situation est similaire avec le son: en général on utilise cinq ou six pistes son, alors que mon ingénieur du son en a utilisé 118. C'est un travail unique. Après l'avoir entendu une fois, il est impossible de revenir à la stéréo ou au dolby stéréo. Mais, une fois encore, il faut du temps pour rééquiper tous les cinémas.
Même ici à Venise, pendant un grand festival, une seule salle de cinéma a pu diffuser un tel film. C'est une autre planète et les gens vont commencer à le comprendre. Les changements demanderont deux ans tout au plus: maintenant que mes partenaires ont vu ce qu'écrivaient sur Aquarelle les meilleurs réalisateurs du monde, ils ont compris qu'une révolution aurait lieu à Hollywood. Plus personne ne voudra plus travailler à l'ancienne.
L'idée
Quand j'ai eu la possibilité de faire un film sur l'eau, j'ai compris que je devais commencer par le Baïkal. Je suis venu, j'ai installé ma caméra au même endroit et je me suis préparé à tourner. C'était effectivement magnifique. J'ai fait quatre fois le tour du monde, j'ai tout vu, mais rien ne pourrait être comparé au Baïkal. La glace, en hiver, fait plus d'un mètre d'épaisseur, mais elle est transparente — comme si l'on marchait sur du verre. Je voulais le filmer, et tout à coup devant la caméra une tragédie s'est produite: une voiture avec des personnes à bord s'est enfoncée sous la glace.
Le hasard russe et la force de l'eau
Je n'avais pas l'intention d'utiliser cet épisode, puis je me suis dit qu'il dévoilait notre essence russe — ça passe ou ça casse. Après tout on voit que la glace a déjà fondu par vagues, mais les locaux disent: «Jeune homme, je suis né ici, ça fait 30 ans que je roule sur cette glace, ne me donne pas de leçons. Je connais cette glace comme ma poche, rien ne m'arrivera, ce sont les touristes idiots qui se noient.» Ils sont allés chercher des cigarettes, pour un tel final — c'est de la folie.
C'est dans cette scène que l'on voit la force de l'eau. A gauche, les gens s'enfoncent sous l'eau, à droite, ils s'enfoncent, et là où une personne se noie la glace est si épaisse que trois hommes ne peuvent pas la briser. Voilà la force: elle peut te tuer et tu ne lui feras rien. Je me suis demandé ce que je pourrais filmer encore et j'ai compris: il faut partir au Groenland, au royaume des glaces. Le plus terrifiant, c'est de s'approcher d'un glacier. Pas comme des touristes à cinq kilomètres, mais s'approcher de très près et de le toucher.
Surmonter l'impossible
Nous avons installé la caméra sous un iceberg à 800 m de profondeur. Chaque épisode avait quelque chose d'incroyable. Les opérateurs d'Hollywood m'envoient des lettres où ils tirent leur chapeau parce qu'ils n'arrivent pas à comprendre comment nous avons réussi à faire. Emmanuel Lubezki, qui a réalisé trois films ayant décroché un Oscar, Gravitation, Birdman et Le Revenant, a témoigné son respect et a demandé: «Comment vous avez fait?» Je voulais expliquer, mais les producteurs ont décidé que nous devions écrire un livre car il y a tellement d'innovations.
La perception des spectateurs
Imaginez que vous roulez dans une voiture ou dans un train à grande vitesse et regardez par la fenêtre. Les arbres éloignés sont bien visibles, mais ceux qui sont au premier plan sont flous. Mais au format 96 images par secondes, ils sont également visibles. Le cerveau ne comprend pas cet effet, simplement il voit l'espace différemment. Et c'est le point principal. En réalité, nous ne savons pas très bien comment le cerveau nous trompe. Il nous habitue à percevoir les choses d'une certaine manière.
Prenez les cinq premières images de mon film — tout le monde est persuadé que c'est tourné depuis un avion, la caméra survole le lac glacé, mais en réalité l'altitude est de 10 cm. Nous ne voyons pas du tout la même chose. Et pas besoin de lunettes 3D.
Je le comparerais à l'effet obtenu par Leonard de Vinci avec Mona Lisa, c'est comme si elle tournait la tête en vous regardant. C'est la même chose — l'espace est en deux dimensions, mais nous voyons plus que d'habitude. Pas seulement plus de détails — nous obtenons une autre notion des dimensions et de la perspective.
Le financement
La recherche de budget est ce qui a demandé le plus de temps. Même avec ma réputation il était difficile de persuader les gens que je pouvais faire un film sur l'eau sans récit ni voix off. Les discussions avec les producteurs se déroulaient en général ainsi: «Qui est le héros principal? L'eau? Et que se passera-t-il? Rien? OK… Et comment nous le vendront?» C'est pourquoi j'ai des producteurs anglais, allemands, danois, puis américains, mais il s'est avéré que l'argent manquait tout de même pour une idée aussi grandiose et technologiquement incompréhensible.
J'ai pris le risque et j'ai envoyé un épisode à Hollywood. C'était un fragment de 25 minutes du Baïkal. J'ai reçu la réponse 26 minutes plus tard: «Reste où tu es, ne pars pas.» Dans 27 minutes ils ont écrit: «Nous achetons, n'en parle à personne d'autre.» Hollywood a compris ce que c'était et a financé la moitié de la production.
Le genre
Je dirais que c'est un tube philosophique. Je voulais faire en sorte que le film soit populaire, que les gens le regardent dans tous les cinémas du monde. A en juger par les échos de la presse et de ceux qui veulent acheter notre film, ce sera le cas. Et bien évidemment je continuerai à tourner en 96 images par seconde. Car c'est absurde de tourner dans un format plus réduit.