Face à Trump l'Allemagne a trouvé un terrain d'entente avec la Russie et la Turquie, et ces trois pays se sont rangés du côté de l'Iran. La Chine cherche encore à stopper la guerre commerciale déclenchée par les Américains mais Pékin est, lui aussi, à bout de patience. Ces États formeront-ils bientôt une alliance?
Une pierre lancée dans le jardin de la Maison Blanche
Comme par pressentiment, pendant la rencontre avec le chef de l'État russe, la chancelière allemande a souligné que le projet Nord Stream 2 était une question réglée depuis longtemps et qu'il ne fallait pas y chercher de la politique. Vladimir Poutine a marqué son accord. La position commune sur le gazoduc a été la première pierre germano-russe lancée dans le jardin des Américains.
La seconde a été lancée quand Poutine et Merkel ont exprimé leur «préoccupation commune» vis-à-vis de la guerre commerciale déclenchée par les USA, dont Ankara est devenu la nouvelle victime il y a deux semaines. L'augmentation des taxes sur l'acier et l'aluminium turcs ont fait effondrer la livre. Pour rassurer le marché, les autorités turques ont entrepris des mesures anticrise extrêmes. Et Recep Tayyip Erdogan a annoncé un virage géopolitique de la Turquie vers de nouveaux partenaires, en tournant le dos aux USA.
Donald Trump, unificateur malgré lui
La position consolidée de Moscou et de Berlin sur plusieurs questions a provoqué une vague de débats en Occident. Certains journalistes et experts européens ont parlé de la formation d'un nouvel axe géopolitique auquel la Turquie, l'Iran et la Chine pourraient se joindre. Tous ces pays sont unis par leurs relations détériorées avec les États-Unis.
«L'opposition à l'imprévisibilité de Trump est le point sur lequel les positions de Moscou et de Berlin ont coïncidé. Mais l'ordre du jour des intérêts communs et croisés est plus large», explique Andreï Deviatkov de l'Institut d'économie affilié à l'Académie des sciences de Russie, qui précise que cette démonstration d'unité politico-diplomatique n'était pas une raison suffisante pour parler d'un «axe».
C'est également bénéfique pour l'Autriche, le partenaire le plus proche de la Russie en Europe: le transit ukrainien permet d'acheminer chaque année jusqu'à 30 milliards de mètres cubes de gaz vers le hub gazier autrichien de Baumgarten. Andreï Deviatkov suppose que ce thème était prioritaire pendant l'entretien de Vladimir Poutine avec le chancelier autrichien Sebastian Kurz, qui s'est tenu après le mariage de la ministre autrichienne des Affaires étrangères.
Un terrain d'entente avec le régime des ayatollahs
Dans la sphère des intérêts germano-russes, on retrouve également la situation en Syrie — sujet sur lequel la Russie a longtemps tenté de coordonner ses actions avec les USA. Depuis la libération de la majeure partie du territoire syrien des terroristes de Daech se pose la question du retour des réfugiés dans leur foyer. Mais, avant cela, il faut reconstruire l'infrastructure dans ce pays dévasté par la guerre.
«Le problème politique national clé de Merkel, les réfugiés, est lié au processus de paix syrien. L'Allemagne et la Russie souhaitent la tenue d'élections en Syrie et la garantie des conditions socioéconomiques nécessaires pour la renaissance du pays», déclare Andreï Deviatkov.
Le dialogue germano-russe pour le rétablissement de la Syrie a été soutenu par Téhéran. L'experte de l'Iran Ioulia Svechnikova l'explique par la volonté de Téhéran de maintenir sa présence en Syrie après le conflit. «L'Iran a investi beaucoup d'efforts et de moyens dans ce pays. Mais c'est la profonde implication de Téhéran dans le conflit syrien qui bloque l'aide européenne», analyse-t-elle.
La spécialiste doute qu'un axe géopolitique réunissant les pays qui sont confrontés aux sanctions ou aux taxes élevées des USA puisse faire son apparition. «Tous les participants à cette alliance supposée sont des pragmatiques qui agissent en fonction de la situation et de leurs intérêts diversifiés.»
Pékin et Ankara ont leurs propres intérêts
L'agenda des pourparlers germano-russes a été approuvé par la Turquie. Après l'aggravation de ses relations avec Washington, Ankara soutient par tous les moyens les rivaux des USA. «La Turquie a refusé de décréter des sanctions contre la Russie et l'Iran: ces derniers fournissent la majeure partie du pétrole et du gaz du marché turc, et les sanctions menacent donc la sécurité énergétique du pays», déclare Timour Akhmetov, expert du Conseil russe pour les affaires internationales, qui vit à Ankara.
Cependant, les spécialistes interrogés par Sputnik doutent que la Turquie abandonne entièrement l'Occident au profit d'autres partenaires. Ankara continuera plutôt de chercher un équilibre dans les relations avec les USA en se rapprochant de l'Europe, de la Russie et de la Chine. Quant aux intérêts de la Turquie à créer un axe antiaméricain, tout dépend des circonstances. «Les USA dominent l'économie mondiale. Cela pousse la Turquie à oublier les anciennes rancunes», poursuit Vladimir Avatkov.
La Chine manifeste également un intérêt situationnel pour la formation d'un axe antiaméricain. Bien que Pékin soit l'un des premiers à être touché par la hausse des taxes douanières, les Chinois cherchent à s'entendre avec la Maison Blanche. Alexandre Gabouev, directeur du programme «La Russie en Asie-Pacifique» du Centre Carnegie de Moscou, s'interroge: même en supposant qu'une amitié contre les USA puisse apporter quelque chose, quel serait l'agenda commun des pays formant cette alliance? «En réalité tout le monde essaiera de rétablir les relations avec Washington», conclut l'expert. Reste à savoir quand et sous quelles conditions.